L'Assemblée nationale du Sénégal a adopté dans la nuit du lundi en procédure d’urgence, dans une grande confusion, le projet de loi controversé visant à repousser la présidentielle, initialement prévue le 25 février, au 15 décembre 2024.
La loi a été adoptée, après que plusieurs députés de l'opposition tentant d’empêcher le vote ont été évacués de force par la gendarmerie. Le vote s’est ainsi déroulé en l’absence de l’opposition, avec une majorité de 105 voix favorables, une voix contre sur 165 députés. Il dispose aussi que le président Macky Sall reste en fonction jusqu'à l’installation de son successeur.
Le report de la présidentielle “vise à éviter une instabilité institutionnelle et des troubles politiques graves” et à mener “une reprise complète du processus électoral” d’après un rapport de la commission préparatoire.
La vie socio-politique Sénégalaise s’est brusquement crispée lorsqu'à la veille de la campagne électorale, le président sortant Macky Sall a annoncé l’interruption du processus électoral, en soumettant à l’Assemblée nationale un projet de loi en vue du report de la présidentielle.
Lundi, la ville de Dakar et une bonne partie du pays était paralysée du fait des heurts entre les forces de maintien de l’ordre et la gendarmerie. Des gendarmes lourdement armés, ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser des groupes de manifestants qui tentaient de se réunir devant l’Assemblée nationale à l’appel de l’opposition aux cris de “Macky Sall dictateur”.
Dans la foulée, l’accès aux données mobiles internet a été coupé alors que les députés se réunissaient pour discuter du report de la présidentielle. Une première dans ce pays africain, longtemps considéré comme une vitrine démocratique, pour n’avoir jamais connu de coup d’État. Ce qui est rare sur le continent.
La licence de Walf TV a été suspendue, à la suite de la coupure de son signal dimanche soir pour “incitation à la violence”.
L'ajournement du scrutin a été annoncé sur fond de conflit entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, qui a validé en janvier vingt candidatures, un record, mais en a rejeté plusieurs dizaines d'autres.
Deux ténors de l'opposition ont été exclus : Ousmane Sonko, en prison depuis juillet dernier, et Karim Wade, ministre et fils de l'ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012) qui a remis en question l'intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l'élection.
À son initiative, l'Assemblée a approuvé la semaine dernière la création d'une commission d'enquête sur les conditions de validation des candidatures. Et contre toute attente, des députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche.
Ce soutien a aussi nourri le soupçon d'un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter une défaite alors que le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Bâ, est contesté dans ses propres rangs et fait face à des dissidents.
L’opposition dénonce une dérive autoritaire du pouvoir. Elle soupçonne un plan pour éviter la défaite inévitable du camp présidentiel, voire pour prolonger la présidence Macky Sall, malgré l’engagement réitéré samedi par ce dernier de ne pas se représenter.
"La situation est complètement catastrophique, l'image du Sénégal est ruinée et je ne pense pas que nous nous relèverons de sitôt de cette faillite démocratique, de ce tsunami dans l'état de droit", a réagi, après le vote Ayib Daffé, un député de l'opposition.
La Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), l'Union africaine, les États-Unis, l'Union européenne, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, partenaires importants du Sénégal, ont exprimé leur inquiétude.
La crise fait redouter au Sénégal un nouvel accès de fièvre comme ceux qu'il a connus en mars 2021 et juin 2023, qui ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d'arrestations.