Le communiqué de Human Rights Watch commence par un décompte. Neuf personnes ont été arrêtées en mai, deux journalistes, deux avocats, cinq personnes travaillant dans des ONG (Tunisian Refugee Council, Terre d’Asile Tunisie, et Mnemty). L’ONG dresse un bilan sombre de la situation en Tunisie.
Il n’y a pas eu seulement les arrestations de deux avocats et deux journalistes. Il y a eu les arrestations de cadres d’association qui aident des migrants, un journaliste qui a milité pendant la Révolution tunisienne et collabore avec le site d’information sur internet Nawaat, Houssem Hajlaoui a été arrêté jeudi et placé en détention.
Il y a une campagne féroce contre la société civile en Tunisie avec une pression particulière sur les organisations qui aident les migrants. Même le vice-président du Conseil tunisien pour les réfugiés ainsi que deux journalistes ont été aussi arrêtés .
Ils vont être poursuivis dans le cadre de l’art. 54 pour propos critiques envers la Tunisie. La présidente de l’association anti-racisme Nemty, Saadia Mosbah, est placée en détention. Elle a été arrêtée dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent.
Lire aussi: L'interminable attente des proches de jeunes migrants tunisiens perdus en mer
17 000 demandeurs d'asile sont enregistrés en Tunisie. Il y a aussi la présence de dizaines de milliers de candidats à la migration vers l’Union européenne. Alors est-ce qu’il y a une crise migratoire qui pourrait expliquer la stratégie du gouvernement tunisien ?
Il n’y a pas de problème migratoire en Tunisie, il y a un problème de la gestion de la migration en Tunisie. Le problème vient des autorités tunisiennes et surtout du président Saïed qui a une approche ouvertement raciste. Il évoque régulièrement un complot pour changer la composition de la société tunisienne.
Il y a des règles de droit international sur les migrations qui doivent être respectées, elles ne le sont pas en Tunisie. Il y a eu des expulsions vers des zones désertiques de migrants.
Ce durcissement de l’attitude du gouvernement tunisien est-il lié à l’accord signé avec l’Union européenne sur la gestion des migrants ?
Il y a un lien. Ce pacte signé en juillet 2023 prévoit une somme de 105 millions d’euros pour arrêter les migrants qui veulent atteindre l’Union européenne. Ce pacte a été signé sans condition. Il n’y a aucune demande pour garantir le respect des droits humains. L’Union européenne a promis près d’un milliards d’euros d’aides diverses à la Tunisie dont 105 millions d’euros pour bloquer les migrants, ceci après avoir fait les gros titres pour les mauvais traitements infligés aux migrants, donc ce gouvernement aujourd’hui se dit qu’il a les coudées franches. Il se sent encouragé. L’Union européenne est à blâmer, absolument. Elle a une grosse part de responsabilité.
Lire aussi: Tunisie: 18 tentatives de migration irrégulière repoussées en une nuit
Aujourd’hui comment vous décrireriez la situation en Tunisie ?
Depuis le coup d'État que le président Saïed a conduit pour faire main basse sur les institutions et démanteler les organisations démocratiques en Tunisie, l’indépendance de la justice est mise à mal, la liberté d’expression et la liberté de la presse sont attaquées. Ce qui se passe aujourd'hui n’est pas étonnant et on observe cette tendance depuis trois ans maintenant.
Pour rappel, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a activé l’article 80 de la Constitution de 2014 qui donne des pouvoirs exceptionnels au président en situation d’urgence.
Ce vendredi 16 mai, la porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a dénoncé les perquisitions contre l’Ordre des avocats en Tunisie. Elles “portent atteinte à l’État de droit et violent les normes internationales relatives à la protection de l’indépendance et de la fonction des avocats”, a déclaré Ravina Shamdasani à Genève lors d’un point presse.