C’est à Grenade, berceau de l’Alhambra, que tout a commencé, ou presque. Depuis l’Allemagne, en concertation avec ses amis installés à Grenade, il y a quelques mois, Mohammad Ali Deeb pensait déjà organiser des ateliers de Dabkeh, une danse folklorique du Moyen-Orient, dans le sud de l’Espagne. Une idée qui s’est concrétisée après le début des bombardements à Gaza, en octobre dernier.
«Quand la guerre a commencé à Gaza, on a décidé de mettre en œuvre ce projet et de participer de manière à récolter des fonds pour Gaza», explique Mohammad Ali Deeb.
Avec l’aide de ses amis, Lora Basil, militante très active en Andalousie et Lisa Nora, fondatrice de la plateforme culturelle et artistique engagée, Wasla, Mohammad Ali Deeb se rend à Grenade, dans le quartier arabe de l’Albaicín, pour monter sur les planches. «Je suis venu en décembre et j’ai donné deux spectacles, le même jour, à l’Albaicín à Grenade, les gens ont répondu présent en grand nombre. Nous avons récolté des fonds que nous avons envoyé à Gaza. Nous avons décidé de réitérer l’expérience, mais, cette fois-ci, à travers une tournée, en Andalousie».
Quelques semaines plus tard, le danseur décide de revenir dans cette ville andalouse où certains habitants arborent des drapeaux de la Palestine à leurs balcons, en soutien à la cause palestinienne. Cette fois-ci, en plus des spectacles, Mohammad Ali compte initier les Espagnols à la Dabkeh, lors d’une tournée dans plusieurs villes du sud de la péninsule ibérique. De Grenade à Jaen, en passant par Malaga et Séville, les cours du chorégraphe affichent complet.
D’ailleurs dans la capitale Andalouse, c’est notamment grâce la Plateforme de solidarité avec la Palestine à Séville que l’atelier de danse a pu voir le jour. Fondé en 2001, le collectif se mobilise régulièrement pour faire écho à la cause palestinienne. En organisant cet évènement, Sausan Al-Khouli Marin, l’une des membres actives de la plateforme, avait pour objectif, dit-elle : «de faire découvrir l’aspect culturel de la Palestine, car nous considérons que la culture est une forme de résistance».
Chaque semaine, à Séville et dans ses environs, les membres de la plateforme mettent en place des manifestations, débats, conférences... La Palestino-Espagnole, qui a rejoint l’association il y a une dizaine d’années, précise ainsi que «le collectif a toujours été actif, depuis ses débuts et s’est attelé à donner de la visibilité à la cause palestinienne».
A cette occasion, une trentaine de personnes a répondu présente à l’appel de Mohammad Ali et de la Plateforme de solidarité avec la Palestine à Séville.
Portant, pour certains, un keffieh en signe de soutien, les danseurs en herbe avaient à cœur d’en apprendre plus sur la Palestine.
C’est notamment le cas de Claudia qui avait également «envie de se rapprocher du peuple palestinien, le soutenir et être présente».
José Manuel qui a, pour sa part, découvert cet atelier sur les réseaux sociaux a trouvé «ce genre de danse passionnant». Le sévillan qui a tenu à être présent pour apporter son soutien à la cause palestinienne a, par ailleurs, expliqué qu’il avait du mal à comprendre la situation en Palestine : «nous vivons dans une période où il y a une telle globalisation, que tout se sait, je ne comprends pas comment une telle chose peut arriver. Israël est, soi-disant, un pays civilisé, non ? Mais je ne comprends pas comment ils peuvent en arriver jusque-là. Cela n’aurait jamais dû arriver», s’insurge-t-il.
La Dabkeh : un coup de pied pour la résistance
Si Mohammad Ali Deeb a choisi d’enseigner la Dabkeh, en Espagne, ce n’est pas un hasard.
Cette danse originaire du Moyen-Orient, inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, est également une manière de soutenir, à travers l’art, la cause Palestinienne et dénoncer le génocide en cours à Gaza.
Signifiant «coup de pied» en arabe, la Dabkeh vibre au rythme des pas et se décline en différentes variantes selon la région et le pays où elle est pratiquée.
Dansée dans les fêtes, mariages et autres grandes occasions, c’est aussi pour les Palestinien.nes une façon de lutter et contester l’occupation. Sur des chants entraînants, aux paroles souvent évocatrices, les danseurs tournent, sautent, frappent les pieds au sol, main dans la main, face à l’oppression et pour revendiquer leurs droits et leurs terres.
Lors de son cours, Mohammad Ali explique d’ailleurs que : «plus on se rapproche de la terre, plus on se connecte à la terre au niveau des pas, plus on s’approche de la mer plus il y a de la joie dans la danse. A Gaza, on peut voir, en ce moment même, de nombreuses personnes qui dansent le Dabkeh, les pas sont surtout marqués par des petits sauts».
Destin d’un exil forcé
Mohammad Ali Deeb est né et a grandi, avec sa famille, dans le camp de réfugiés de Jaramana à Damas, en Syrie. S’il n’est jamais allé en Palestine, le jeune homme porte pourtant dans son cœur et dans son âme le pays de ses origines. Très jeune, il se passionne pour la danse et le théâtre et parvient à intégrer l’une des plus prestigieuses compagnies de Syrie, la troupe Enana dance theater. «J’ai beaucoup voyagé avec eux, énormément appris et j’ai pu évoluer dans le domaine de la danse», raconte-t-il avec fierté.
En parallèle pendant huit ans, le jeune homme travaille avec les Nations unies, en Syrie, aux côtés des enfants réfugiés. «J’ai beaucoup appris surtout en ces temps durs, j’ai appris à travailler avec ces enfants qui avaient tout perdu. Cela m’a beaucoup aidé lorsque je suis venu en Europe notamment pour travailler avec les enfants réfugiés en Allemagne».
Lorsque la guerre fait rage en Syrie, Mohammad Ali est contraint de fuir le pays. Le spécialiste du Ballet et de la Dabkeh, s’installe alors en Algérie et travaille, quelques années, avec le théâtre national Algérien et le ballet national avant de quitter le Maghreb pour l’Europe.
Aujourd’hui, l’artiste palestinien vit en Allemagne entre Berlin et Sarrebruck où il performe, enseigne la danse et organise régulièrement des ateliers et master classes. «Quand on m’appelle pour travailler sur un projet en rapport avec la Palestine, je n’hésite pas une seconde, j’y vais ! C’est ma manière de dire aux gens que la Palestine existe».
En Espagne, Mohammad Ali a d’ailleurs été très touché par la mobilisation des Espagnols et des différentes diasporas présentes dans le pays, en soutien à la cause palestinienne .
«Je trouve ça tellement beau, quand je vois des Espagnols et d’autres personnes qui viennent pour apprendre la Dabkeh palestinienne . Ce qui me rend encore plus heureux, c’est quand je vois que ces gens viennent pour Gaza. Les gens se sentent impuissants face aux drames et à la mort qui persistent à Gaza. En tant que Palestinien je me sens impuissant, mais au moins, je me dis qu’à travers l’art que je propose, je peux participer en récoltant des fonds pour tenter d’aider nos amis, nos enfants, nos mères et femmes à Gaza. Et c’est le même sentiment que partagent les gens qui viennent au cours de Dabkeh».
Par ailleurs, les cours proposés par Mohammad Ali Deeb ont eu tant de succès auprès du public espagnol, que de nombreuses dates se sont ajoutées à sa tournée, notamment à Séville, Grenade ou encore Malaga.