Les conflits s’intensifient au Soudan, où depuis plus de cinq jours, la violence ne faiblit pas. Des affrontements violents ont éclaté autour de l'aéroport international de Khartoum, la capitale, ainsi que des aéroports de Maravi et Ubaid dans le nord, mais aussi aux abords du palais présidentiel, du quartier général de l'armée et de la télévision d'État.
Les Forces de soutien rapide et l'armée affirment toutes les deux qu'elles sont “proches de la victoire". Mais pendant ce temps-là, l'ONU recensait, déjà lundi soir, 185 morts et plus de 1.800 blessés. Au cœur des hostilités, tous les médecins le répètent, aucun bilan n'est fiable tant le champ de bataille est dangereux : de nombreux corps et de nombreux blessés n'ont pas encore été trouvés.
Pourquoi de tels conflits ont-ils commencé ?
L'armée soudanaise souhaite que les Forces de soutien rapide (FSR), qui ont été établies au Darfour sous le dirigeant déchu Omar el-Béchir avant d’étendre leurs activités à de nombreuses régions du pays, lui soient affiliées.
Mais les FSR posent comme condition préalable une transition vers un régime civil. Ces derniers mois, d'intenses discussions sur cette question entre les deux camps ont animé le Soudan. Mais le désaccord sur la réforme de la sécurité militaire, qui prévoit “l'enrôlement complet des FSR dans l'armée”, fut la goutte qui fit déborder le vase.
Qu'est-ce que les Forces de soutien rapide (FSR) ?
Les Forces de soutien rapide, issues des célèbres milices janjawids de la guerre civile de 2003 dans la région occidentale du Darfour soudanais, ont joué un rôle important dans la révolution populaire de 2018.
Pour rappel, le Darfour était plongé dans une guerre civile et une crise humanitaire au début des années 2000. Selon les Nations Unies, environ 300 000 personnes sont mortes pendant cette guerre et environ 2,5 millions de personnes ont été déplacées.
Le président soudanais de l'époque, Omar el-Bechir, a reçu le soutien des milices janjawids locales et majoritairement d'origine arabe de la région pour lutter contre les rebelles.
C’est alors que les dirigeants soudanais de l'époque ont commencé à travailler pour intégrer les FSR dans l'armée avec le processus de paix qui a commencé en 2010.
A cet effet, l'Etat a officiellement reconnu ces unités en 2014 en les intégrant à l'agence de renseignement soudanaise.
En 2013, Musa Hilal, qui dirigeait les milices armées appelées Janjawid, a coupé les ponts avec Omar el-Bechir, un tournant qui a ouvert la voie au cousin de Hilal, Mohamed Hamdane Daglo, connu sous le surnom de "Hemdti".
Le chef des FSR, Daglo, a formé une force paramilitaire efficace qui a pris part aux conflits au Yémen et en Libye et a contrôlé certaines mines d'or dans les régions soudanaises du Darfour et du Kordofan en 2017.
En janvier de cette même année, le Parlement soudanais a adopté la “loi sur les Forces de soutien rapide” concernant l'affiliation du FSR à l'armée dirigée par Bechir.
Lorsque les manifestations de rue ont éclaté dans des villes comme Atbara, Khartoum et Kesla fin 2018, les FSR, qu'Omar el-Bechir a déployées à Khartoum peu avant le renversement de son règne de 30 ans pour protéger le régime, ont continué à le soutenir pendant le processus de protestation.
Cependant, le leader des FSR a joué un rôle important dans le renversement de Bechir en prenant position avec le peuple à la fin de la révolution.
Un conflit historique entre Burhan et Hemdti
Les affrontements qui se poursuivent entre l'armée soudanaise dirigée par le général Abdul Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par le général de corps d'armée Mohamed Hamdane Dagalo (Hemdti) ont porté un coup dur à l'amitié Burhan-Hemdti, qui a commencé au Darfour en 2003. Cependant, ce n'était pas la première fois que ces deux commandants, qui détenaient le sort du pays, se retrouvaient face à face.
Omar el-Béchir était aux prises avec un conflit armé majeur au Darfour dans les années 2000. A cette époque, Abdul Fattah al-Burhan était sous le commandement de l'armée soudanaise au Darfour. Bechir a décidé d'obtenir le soutien de groupes de milices au lieu d'utiliser uniquement l'armée dans les conflits.
Le lieutenant-général Hemdti a formé un petit groupe armé pour combattre d'autres mouvements armés résistant à l'administration d'Omar el-Bechir dans la région à cette époque. L'ancien président Bechir a choisi de soutenir le groupe du lieutenant général Hemdti.
Ainsi, Burhan et Hemdti ont commencé à se battre du même côté contre un ennemi commun.
La relation entre les deux hommes s'est renforcée en avril 2019 sous la pression de la grande révolution populaire réclamant le renversement d'Omar el-Bechir. Burhan et Hemdti ont convenu de former un conseil de souveraineté (militaire) sous la direction du général Burhan pour renverser Bechir et prendre en charge l'administration du pays.
Hemdti a assumé le rôle de vice-président du Conseil de souveraineté. En 2021, la nouvelle étape planifiée par Burhan et Hemdti contre le gouvernement civil a conduit à une rupture entre les deux. A tel point que le général Burhan a ramené certaines personnalités du régime d'Omar el-Bechir à des postes importants au pouvoir, ce à quoi Hemdti s'opposait farouchement.
Le Conseil de souveraineté, dans lequel le duo jouait un rôle de premier plan, a délégué la tâche à un gouvernement civil.
Il était souvent réticent à passer le relais, mais l'économie et la sécurité du pays se sont considérablement détériorées. Sur ce, un accord-cadre pour le transfert du gouvernement du pays aux civils a été signé en décembre 2022.
Le général Burhan et le général de corps d'armée Hemdti ont signé cet accord qui stipulait le transfert du pouvoir aux civils et le retour de l'armée dans leurs casernes.
Cependant, un nouveau désaccord plus fort est apparu entre l'armée et les FSR après la mise en œuvre d'une des dispositions de l'accord-cadre sur la réforme militaire.
Tous deux avaient consenti à la remise du gouvernement aux civils, mais ne pouvaient toujours pas s'entendre sur qui dirigerait.
Alors que Hemdti demandait au futur chef d'État civil de diriger, Burhan préférait le Premier ministre de l'état-major général. Juste avant les affrontements violents, la tension se reflétait désormais dans les déclarations.
“Notre message à nos frères au pouvoir est qu'ils remettent le pouvoir au peuple sans revenir, expliquait le commandant adjoint des FSR et frère de Hemdti, Abderrahim Dagalo, avant d’ajouter : À partir d'aujourd'hui, nous ne permettrons plus que de jeunes militants soient tués et que des politiciens soient arrêtés.Nous ne voudrions pas en être la cause, mais nous ne compromettrons pas les principes fondamentaux qui unissent le peuple soudanais et garantissent la justice, et nous ne reculerons pas.
"En tant que soldats, nous sommes intéressés par l'intégration des FSR dans l'armée…, a répondu Burhan, ajoutant : Sinon, personne dans l'accord ne peut faire de progrès."
Comment le conflit au Soudan affecte-t-il le problème du Barrage de la Renaissance ?
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