L’annonce par le Tchad de la fin de sa coopération militaire avec la France à la suite du Sénégal, a surpris même les observateurs les plus avertis des affaires africaines.
Les sites internet de la radio publique française RFI et de la Tribune de Genève ont fait état d’un “camouflet”.
La surprise est d’autant plus grande que Jean-Marie Bockel, l'envoyé spécial du président Macron pour l’Afrique, préposé pour proposer une réforme de la coopération militaire, a remis le 25 novembre dernier son rapport pour une refonte stratégique du dispositif militaire français.
L’ancien ministre suggère de diminuer le nombre de soldats sur le sol africain, avec une idée : moins de présence, plus d'efficacité.
Le nombre de bases militaires françaises en dehors de Djibouti passerait, ainsi, de quatre à deux. Mais, pour la France, les pertes vont au-delà des chiffres.
C’est une équation que l’annonce du Tchad remet en question. La fin annoncée de la coopération militaire avec le Tchad fait perdre gros à la France : “la France perd une position géostratégique privilégiée”, souligne Seidik Abba, journaliste, auteur d’une dizaine d’ouvrages sur le Sahel.
“La France coloniale avait estimé qu’avoir une position au Tchad était très important pour conduire des opérations militaires.(...) Avant l'appellation de Ndjamena, la capitale tchadienne s'appelait Fort Lamy (le nom d’un militaire), car c'était un fort militaire”, poursuit le journaliste.
Le Tchad, explique le spécialiste du Sahel, servait à contrer les ambitions expansionnistes du colonel Kadhafi qui dans les années 1980 avait tenté d’envahir le Tchad. “Il fut stoppé par l'opération française Epervier déployée depuis le Tchad”, relate Seidik Abba.
Le Tchad était un atout “de taille” pour la France au Sahel. “Après son (la France) départ forcé du Mali, du Niger et du Burkina Faso, c'était son dernier point d’ancrage dans le Sahel”, souligne pour sa part Eric Topona, analyste politique tchadien et auteur notamment de Essai pour la refondation du Tchad, paru à l'Harmattan en 2021.
Seidik Abba y voit tout simplement “un revers du point de vue du positionnement stratégique” pour la France “privée désormais d’allié dans le Sahel”.
“La menace terroriste aujourd’hui c’est dans le Sahel”, insiste-t-il. “La présence militaire permet de prévenir et de circonscrire le mal.”
Autre allié perdu, le Niger
Avant le Tchad, la France avait aussi perdu le Niger, “un allié de poids”.
Ce pays producteur d’uranium est au centre de “toutes les sollicitations”.
Le 18 mars dernier, la porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh, a déclaré que le gouvernement américain avait eu des conversations "directes et franches" au Niger (...) exprimant leur inquiétude quant aux relations potentielles du Niger avec la Russie et l'Iran".
Elle faisait allusion à la visite en Iran du Premier ministre nigérien, Ali Mahamane Lamine Zeine, en janvier 2023. L’Iran a montré son intérêt pour l'uranium au Niger.
De quoi inquiéter les Américains, mais aussi les Français. Dans ses mémoires, Jacques Foccart, l'ancien conseiller Afrique de plusieurs présidents français, rapportait en substance que la présence des troupes françaises au Niger visait aussi à empêcher que le pays ne vende de l’uranium à des pays “indésirables”.
Il référait à l'Iran et à la Libye dont le dirigeant Kadhafi rêvait d’un programme atomique.
Affranchi de la France et des États-Unis, le Niger cherche de nouveaux partenaires, il se rapproche de plus en plus de la Russie et de l’Iran. La France perd en Afrique des acquis gagnés au prix de longs efforts militaires et diplomatiques.