Il est l'un des mythes du football marocain. Mais aussi des Bleus: si Larbi Benbarek a vu sa légende contrariée par la guerre, puis s'effilocher avec le temps, la demi-finale du Mondial France-Maroc est l'occasion de se rappeler "l'empreinte" de l'un des plus grands joueurs de tous les temps, laissée sur les deux rives de la Méditerranée.
Natif de Casablanca, il est passé par l’OM avant-guerre puis au Stade français et à l’Atlético de Madrid. Il s'est d'abord illustré en sélection du Maroc (1934-1937) puis en équipe de France (1938-1954), le Maroc étant alors protectorat français... Son record de longévité résiste encore à ce jour en équipe de France : 15 ans et 10 mois.
Retour sur l'histoire
Alors que l'Europe s'apprête à sombrer de nouveau dans la folie guerrière, les premiers joueurs maghrébins pointent le bout de leurs crampons sur les terrains du Vieux continent. Parmi eux, un pionnier, Larbi Benbarek, "le premier à avoir percé à un aussi haut niveau", explique Ahmed Bessol, spécialiste du football maghrébin et auteur de plusieurs ouvrages sur son histoire.
Jusqu'au milieu des années 50, cet attaquant de grande classe, doté d'une "technique hors norme", vif et surpuissant, "a marqué l’époque de son empreinte. Le public à travers toute la France allait le voir jouer, c’était quelque chose d’extraordinaire. Et il y a tellement d’histoires sur lui!", rappelle cet expert algérien de 76 ans.
Et pour cause, il aura marqué l'histoire du foot maghrébin. Notamment lors de ce match de bienfaisance du 7 octobre 1954. Un match qui se jouera au Parc des Princes, en hommage aux victimes d'un séisme en Algérie, et qui opposera l'équipe de France à une sélection de pros Nord-Africains. Benbarek qui, âgé de 37 ans n'était plus sélectionné en équipe de France depuis quelques années, choisi la sélection Nord-Africaine dont il sera le capitaine. Sur le terrain il guidera les talentueux joueurs Algériens, Marocains et Tunisiens dont Zitouni et Ben Tifour, qui contre toute attente, battront la France 3-2, face à un stade médusé. Benbarek sera ovationné et son retour en équipe de France sera réclamé par le public.
Une légende oubliée
Malheureusement, rares sont les images du joueur Benbarek ayant enchanté les pelouses d'Europe, à une époque où la télévision ne s'est pas encore imposée dans les foyers.
Né un jour de 1917 - à une date jamais vraiment connue -, Larbi Benbarek a tapé dans ses premiers ballons à Casablanca, la capitale économique du royaume, où sa classe finit par attirer le bon oeil des dirigeants européens de l'US Marocaine. Viennent ensuite plusieurs clubs européens : l'Olympique de Marseille, le Stade Français, et l'Atlético Madrid, club espagnol qu'il enchanta au tournant des années 50 avec plus de 60 buts en 120 matches. En équipe de France? "C’était la star, il n’était pas seulement talentueux, il était génial!", s'exclame Ahmed Bessol.
En réponse à la demande populaire, Larbi Benbarek débute avec les Bleus fin 1938 à Rome, lors d'une défaite (1-0) en terrain hostile, dans l'Italie de Benito Mussolini. Son récital, le Casablancais le garde pour le début de l'année suivante, au Parc des Princes, face à la Pologne (4-0). Il gagne le surnom de "perle noire", mais son ascension est stoppée nette par la guerre, qui l'amène à rentrer au Maroc.
France-Maroc : une occasion de penser à lui
Après 1945, l'étendue de son talent lui rouvre la porte des Bleus, jusqu'à son départ en Espagne, mal vécu en France, en 1948. Puis, une dernière fois, en octobre 1954, face à la RFA, à 38 ans et demi. Là, si son corps le lâche - il sort sur blessure -, il vit "son plus grand souvenir", selon ses propres mots, pudiques, à l'ORTF.
La suite? Une pige d'un an à l'USM Bel Abbès, dans une Algérie lancée dans une guerre de libération, et quelques expériences d'entraîneur, notamment à la tête des Lions de l'Atlas - un Maroc indépendant depuis 1956 pour lequel il n'aura malheureusement pu jouer.
Progressivement, Larbi Benbarek tombe dans l'oubli, sur les deux rives de la Méditerranée, jusqu'à décéder dans une quasi indifférence à Casablanca en 1992. En 2011, toutefois, un réalisateur marocain, Driss Mrini, lui consacre un documentaire "Larbi, ou le destin d'un grand footballeur", puis l'Institut du monde arabe (IMA) une exposition en 2019 à Paris. "Au Maghreb, j'étais content de voir qu'on en parlait", dit Ahmed Bellos. Et s'"il est mort sans qu’on lui rende l’hommage qu’il aurait mérité, peut-être que, là, avec ce France-Maroc, on va penser un peu à lui", ajoute-t-il.