#HHC43 : 50th anniversary of ethnic massacres in Burundi, in which 100,000-300,000 died (AFP)

Après deux ans de fermeture, Kigali a rouvert, en mars dernier, ses frontières terrestres avec le Burundi. Les autorités burundaises tardent toujours à faire de même, au grand dam des arboriculteurs

Une partie de Bujumbura dit Rural est une région très propice à la culture des fruits. Dans ces zones surplombant le lac Tanganyika, chaudes, au sud du Burundi, on produit surtout des quantités importantes d’oranges et de mandarines. Avant 2015, ces produits inondaient le marché rwandais. Des Rwandais, propriétaires des unités de production de jus, s’approvisionnaient au Burundi.

Avec la présente saison de récolte, les arboriculteurs ne savent plus à quel saint se vouer. « C’est vraiment très difficile à dire. Voilà, les plantations sont mûres. Mais, je n’ai pas de marché d’écoulement. C’est une grande perte », raconte Gaspard Ndimubandi, un arboriculteur de la colline Migera, commune Kabezi, province Bujumbura, à une vingtaine de km de la capitale économique.

« Avant 2015, des Rwandais venaient en grand nombre pour acheter nos fruits. Je pouvais avoir facilement autour de 1000 dollars américains pour une saison mais aujourd’hui, tout va pourrir ici », se lamente-t-il, notant que le maintien de la fermeture des frontières burundaises n’avantage personne.

Même plaintes chez Bède Kazoviyo, un autre arboriculteur dans la commune de Muhuta de la même province : « Ces fruits me permettaient de subvenir aux besoins de la famille. Après l’écoulement de toute ma récolte, je pouvais totaliser 800 dollars américains. L’absence des Rwandais nous affecte beaucoup. Car, au niveau local, impossible de consommer tous nos produits.

Les usines de transformation sont moins nombreuses ». Il se rappelle qu’en 2014, n’eussent-été ses plantations d’oranges, il n’aurait pas envoyé son fils au Lycée.

Affligé, ce père de sept enfants menace de déraciner toutes ses plantations fruitières pour laisser la place aux cultures vivrières. « En tout cas si les frontières burundaises ne sont pas ouvertes d’ici peu, ça sera la solution. Car, on ne va pas continuer de cultiver des arbres qui ne nous apportent plus rien. Qu’on ouvre ces frontières comme le Rwanda l’a fait », lance-t-il.

Des pertes aussi à l’ouest

Même situation à l’ouest du pays. Là, dans la province de Cibitoke frontalière avec le Rwanda, leur spécialité est la production des mangues, d’ananas et des tomates. Des agriculteurs investissent beaucoup dans ces cultures qu’on retrouve sur des grandes étendues. Et dans le temps, avant 2015, une quantité importante alimentait le Rwanda via la frontière burundo-rwandaise de Ruhwa. « On ne sait plus quoi faire. Moi, pour la saison dernière, les pertes sont estimées à plus de 1500 dollars américains. J’ai été obligé de vendre une petite quantité au niveau local, des tonnes et des tonnes ont pourri », se lamente Canésius Kabura, un arboriculteur de Rugombo. Aujourd’hui, il assiste impuissant à la pourriture de quantités importantes de ses récoltes. « C’est nous le bas peuple qui sommes sanctionnés. Pour cultiver ces fruits-là, on y met de l’argent. Et voilà, au moment de la récolte, on ne trouve pas de marché d’écoulement ».


Très remonté, I.N, un autre arboriculteur, dit ne pas comprendre comment on refuse d’ouvrir les frontières terrestres alors que des responsables rwandais ou burundais font des va-et- vient dans les deux sens. « S’il y avait encore des choses à régler, ces hautes personnalités rwandaises ne viendraient pas au Burundi ou vice-versa. C’est nous le bas peuple qui sommes en train de perdre énormément », analyse-t-il, rappelant qu’avant 2015, même des Burundais importaient certains produits du Rwanda : « Nous pouvions avoir facilement des pommes de terre appelés Ruhengeri, du lait en abondance, etc. Mais, avec ces histoires de mauvaises relations, tout s’est arrêté ».


Pour lui, il est temps que le conflit cesse et que les Burundais et les Rwandais recommencent leurs échanges commerciaux.

Un frein aux échanges

Interrogé par l’Agence Anadolu, Gabriel Rufyiri, économiste et président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), confirme que la fermeture des frontières burundaises au Rwanda pénalisent les agriculteurs burundais. « Ils écoulaient leurs produits agricoles au Rwanda. Je citerai le haricot, le riz, les fruits, etc. Mais aujourd’hui, ils ne trouvent pas de marché extérieur qui rapporte beaucoup d’argent », analyse-t-il, rappelant d’ailleurs que les échanges commerciaux entre Burundais et Rwandais datent de très longtemps. « Ils partagent presque la même langue, même culture, etc. Ce qui fait que même les relations sociales soient fortes et anciennes », note-t-il.


Pour Rufyiri, les deux pays devraient trouver une solution pour permettre la relance des échanges commerciaux. « Je ne doute pas que même des Rwandais qui écoulaient leurs produits au Burundi ou s’approvisionnaient en certains produits agricoles du Burundi sont affectés. Bref, on devrait faire comme l’ont fait le Rwanda et l’Ouganda récemment », propose-t-il. Sinon, prévient-il, la fermeture des frontières burundaises risque de freiner le développement de l’agriculture de marché au Burundi. « En effet, avec ses multiples unités de transformation des produits agricoles, les agriculteurs burundais y compris les arboriculteurs pouvaient compter sur le marché rwandais pour écouler leurs surplus agricoles », explique-t-il, notant que le Burundi est très propice aux fruits tropicaux.


Pour Gitega, il n’est pas encore temps d’ouvrir ses frontières avec le Rwanda. « La République sœur du Rwanda a pris la décision d’ouvrir ses frontières. C’est une décision souveraine que nous apprécions, que tout le monde apprécie mais pour le cas du Burundi, cette décision n’est pas encore prise », a réagi Albert Shingiro, le chef de la diplomatie burundaise. Via les ondes de la radio nationale, il a souligné que le Burundi attend la normalisation de ses relations avec le Rwanda. « Nous y travaillons encore. Le jour où ce processus de normalisation prendra fin, nous vous mettrons au courant », a-t-il précisé.

Le rapprochement est en cours

Avec l’arrivée au pouvoir, en 2020, du Président Evariste Ndayishimiye, des initiatives de rapprochement entre les deux pays à superficies presqu’égales (Burundi : 27834 km2, Rwanda : 26338km2) ont été lancées.

Le 1er juillet 2021, lors de la célébration du 59ème anniversaire de l’indépendance du Burundi, Kigali s’est fait représenter par son premier ministre Edouard Ngirente. De son côté, Gitega a envoyé, le 10 janvier 2022, une délégation dirigée par le ministre des Affaires de la communauté est-africaine à Kigali pour rencontrer le Président rwandais Paul Kagame.


Et dernièrement, le 16 mars dernier, une délégation rwandaise conduite par le ministre de la Défense, le général-major Albert Murasira, a rencontré le Président Evariste Ndayishimiye, à Gitega, la capitale politique. « Cette rencontre qui s’est tenue à huis-clos s’inscrit dans le cadre de la poursuite du dialogue en faveur de la normalisation des relations entre le Burundi et le Rwanda voisin. (…) Le dégel des relations en cours pourrait aboutir à l’ouverture des frontières du Burundi et à l’extradition des putschistes », a annoncé Gitega.


Les relations entre le Rwanda et le Burundi se sont dégradées depuis fin avril 2015, suite à une crise née de la contestation contre le troisième mandat du défunt Président Pierre Nkurunziza.


Le Burundi accusait le Rwanda d’héberger ses opposants, dont des putschistes auteurs de la tentative de coup d'État du 13 mai 2015 et de son côté, Kigali accuse Bujumbura de collaborer avec les rebelles FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) accusés d’avoir perpétré le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.

AA