Quelle analyse faites-vous du rapport d’Amnesty International, sur les mauvais traitements et les actes de torture des migrants haïtiens noirs aux Etats-Unis ?
l y a un lien avec l’histoire des rapports entre les États-Unis et Haïti qui datent de la révolution, c'est à dire au moment où Saint-Domingue, ancienne colonie française, devient Haïti. À cette époque, Dessalines, empereur et architecte de l'indépendance d'Haïti, essayait de tisser des contacts commerciaux avec les États-Unis. Mais les représentants du sud des États-Unis commençaient
progressivement à s'en alarmer et ils se sont dit que ces esclaves, prétendant traiter d'égal à égal avec les Blancs, pouvaient causer des problèmes. On avait peur par exemple que les marins haïtiens, pouvant accoster tranquillement aux États-Unis, puissent propager la révolte et l’idée de la rébellion parmi les esclaves aux États-Unis. Il y a eu finalement un bannissement des bateaux haïtiens, une traque des Haïtiens, ces marins noirs français, comme les
appelaient à l'époque les Américains. L'Haïtien était devenu l'ennemi à abattre. Je ne dis pas que les personnes qui réalisent aujourd'hui ces violences contre les Haïtiens ont cet imaginaire très clairement en tête. Mais en tout cas, il y a une histoire, notamment dans le sud des États-Unis, de détestation évidemment de tous les Noirs, en particulier les Haïtiens, en tant que terroristes du point de vue du système colonial. Il y a un lien entre l’histoire des lynchages dans le sud des
Etats-Unis et les actes de torture d’aujourd’hui. C’est cette histoire qui est sous-jacente à ces types de violence envers les migrants haïtiens noirs.
Que nous disent ces actes de tortures, à caractère racial, de ce racisme systémique aux États-Unis à l'endroit des personnes Noires ?
Cela nous dit que, malgré les Obama, Kamala Harris, les grands artistes noirs, les personnalités noires dans l’appareil d’Etat, rien n'atténue une espèce de détestation et de crainte séculaire que cette nation entretient à l'égard des personnes noires de manière générale. On nous avait promis une Amérique post-raciale, la fin des communautés, un triomphe d'une Amérique aveugle à la couleur mais cela demeure une vaste fumisterie. Il suffit de voir ces populations noires d’Haïti qui n'ont absolument aucune possibilité de défendre leurs droits ou d'avoir un quelconque poids diplomatique. À part ces quelques institutions, comme Amnesty International, qui peuvent émettre des rapports et des avis, les migrants haïtiens noirs ne peuvent défendre leurs intérêts. Malheureusement, ils sont aux mains de personnes qui ont, qu'on le veuille ou non, au sein de leur héritage, la culture du lynchage, de la violence et de la mise à mort envers les personnes noires.
Depuis le meurtre de George Floyd en 2020, est ce que vous observez, en tant qu'universitaire, un changement dans l'attitude de l'institution de la police à l'endroit des personnes noires ?
Il y a des tentatives. On a vu que les assassins de George Floyd ont été condamnés. Si, évidemment, la tendance politique l'autorise ou l'encourage, des tentatives d'amener une certaine réforme policière peuvent se mettre en place. Malheureusement, cela n'a pas empêché évidemment de nombreuses violences et des meurtres perpétrés par la police. Il y a, malgré tout, des tentatives d'instaurer des meilleures pratiques dans certains endroits. Je ne dis pas dans toute la police car, aux États-Unis, c'est extrêmement décentralisé. Dans les grandes métropoles du Nord, avec de grandes populations hispaniques et noires, comme c'est le cas de Philadelphie, il y a eu cette tentative, disons, d'amoindrir le mordant sécuritaire de la police. Cependant, cela peut causer en réaction dans d'autres municipalités du sud ou plus conservatrices, le désir contraire de continuer cette course folle, depuis les années Clinton, d'armer la police avec des armes de guerre. Les policiers sont entrainés à des techniques militaires inspirées de l'armée israélienne et de l'armée américaine. Il y a toujours beaucoup de communication autour des visions politiques de la police. Dans les faits, on a tout de même une police très bien armée qui a tendance à faire un usage particulièrement immodéré, si j'ose dire, de sa légitime défense. C'est cela le principal problème de la police aux États-Unis ! Les affaires de violences policières entraînant la mort sont une extension délirante de la légitime défense. Cela fait malheureusement partie, je pense, de la culture de la police aux États-Unis en général, malgré les bonnes intentions que peuvent avoir certaines municipalités et certains procureurs.