Par: Joseph Takudza Maramba
Le règne dynastique au Gabon est désormais forclos. Le duo père-fils qui a dirigé le pays pendant plus de 50 ans a été renversé par un proche de la famille, le général Brice Oligui Nguema. La nouvelle de ce coup d'État s'est rapidement répandue le 30 août, suscitant la condamnation des Nations unies, de l'Union africaine et de la France, l'ancien colonisateur du pays, qui y a toujours déployé des troupes.
Les Odimbas ont été la famille la plus ancienne du continent, mais ils ne sont certainement pas les seuls dirigeants à avoir cherché à régner jusqu'à leur mort. Les dirigeants africains sont connus pour leur propension à s'accrocher au pouvoir, et à rarement le quitter de leur plein gré.
L'histoire de l'Afrique est marquée par une corruption endémique et une mauvaise gouvernance. Cette dernière est à l'origine d'une pauvreté généralisée régnant sur l'ensemble du continent, avec au moins 50 % de la population rurale vivant dans l'extrême pauvreté, selon une étude de 2022 publiée dans Statista. Elle a également contraint les populations à recourir à la désobéissance civile et à renverser, à plusieurs reprises, des dirigeants corrompus.
Les dirigeants africains ont souvent contourné les normes constitutionnelles pour s'assurer que le ressentiment de la population ne se traduise pas par une débâcle électorale, prolongeant ainsi leur séjour au pouvoir.
Robert Mugabe a dirigé le Zimbabwe pendant 37 ans. Avant son éviction, il a souvent déclaré qu'il "gouvernerait jusqu'à sa mort". Le changement politique qui s'est produit de manière spectaculaire après sa déposition est resté dans les limites de son parti, Emmerson Mnangagwa, son bras droit, ayant accédé au poste de président. Bien que l'intervention militaire ait eu toutes les caractéristiques d'un coup d'État, les soldats putschistes ont insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une prise de pouvoir illégale, mais plutôt d'une intervention soutenue par une majorité de Zimbabwéens. Avec le long règne de Mugabe, le parti ZANU PF règne sur ce pays enclavé depuis plus de 43 ans.
Yoweri Museveni dirige l'Ouganda depuis plus de 36 ans. Son ascension politique est le fruit de décennies d'instabilité et d'une série de conflits depuis que son parti a perdu les élections de 1980. Celles-ci se sont déroulées en faveur de Milton Obote sur fond d'allégations de truquage. La lutte pour le pouvoir a débouché sur la guerre du Bush en Ouganda, qui a fait plus de 100 000 morts, et qui a conduit à la destitution d'Obote. Museveni a aboli la limite des mandats présidentiels en 2005 et la limite d'âge en 2017, deux mesures idoines prises afin de prolonger son règne.
Ce ne sont là que quelques exemples. "Au moins 45 des 54 nations du continent africain ont connu au moins une tentative de coup d'État depuis 1950", selon les données compilées par les chercheurs américains Jonathan M Powell et Clayton L Thyne. Le rapport note également que "sur les 486 tentatives de coups d'État militaires ou coups d'État réussis dans le monde depuis 1950, l'Afrique en compte le plus grand nombre avec 214, dont au moins 106 ont été couronnés de succès".
pour la seule année 2021, six tentatives de coup d'État ont eu lieu en Afrique, dont quatre ont été couronnées de succès.
Bien que ces chiffres soient inquiétants, de nombreux Africains se demandent si le fait de renverser des dirigeants et des autocrates de longue date par des moyens militaires n’est pas le seul moyen de briser leur emprise sur le pouvoir.
Pour certains, c'est la seule réponse à des années d'assujettissement par des lois régressives, l'exploitation effrénée des ressources et un manque général de développement national. Ces prises de pouvoir militaires, aussi néfastes soient-elles pour la démocratie, sont rapidement acceptées par les citoyens désespérés des pays en question. Nous avons assisté à ce phénomène au Zimbabwe lorsque Mugabe a été chassé du pouvoir ; son éviction a été accueillie par une liesse populaire qui s'est répandue loin à la ronde.
Mais cette joie générale disparaît rapidement lorsque les chefs militaires - ou leurs agents civils - ne parviennent pas à tenir leurs promesses. Il ne faut pas longtemps pour que leur prise de pouvoir se traduise par une kleptocratie et une nouvelle suppression des droits de l'homme.
Les dirigeants corrompus en Afrique se sont presque toujours accrochés désespérément au pouvoir, craignant les représailles et la perte de leurs richesses dues à la corruption.
Claire Klobucista écrit dans le "Council on Foreign Relations" que "les dirigeants s'assurent de plus en plus souvent des mandats plus longs par le biais de "coups d'État constitutionnels", en proposant des amendements à approuver par le corps législatif, le pouvoir judiciaire ou des référendums nationaux".
Elle ajoute que "cette pratique est devenue plus fréquente après 2000, lorsque de nombreux dirigeants post-coloniaux approchaient de la fin de leur mandat constitutionnel".
La situation sur le terrain montre clairement que ces "coups d'État constitutionnels" volent la voix du peuple afin que les nouveaux dirigeants puissent gouverner même s'ils perdent le soutien de l'opinion publique.
Mais pourquoi les dirigeants africains se méfient-ils d'une transition pacifique du pouvoir ?
L'histoire du continent, enracinée dans la colonisation occidentale, a appris aux dirigeants africains à être impitoyables. Les procédés coloniaux qui ont bâillonné la démocratie pendant des décennies ont été empruntés et réutilisés. Le système même contre lequel les ancêtres des Africains se sont révoltés est celui que les régimes actuels utilisent pour réprimer leur propre peuple. Les dirigeants qui utilisent une "démocratie biaisée" comme paravent pour conserver le pouvoir préfèrent travailler avec les lois draconiennes de l'époque coloniale plutôt que de s'en débarrasser pour le bien public.
Les organismes régionaux et internationaux tels que la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), qui sont censés intervenir dans les zones d'instabilité, sont devenus des tigres édentés. Ils rugissent, mais ne dévorent pas.
Les troubles sociaux qui couvent, la corruption endémique au sein des pouvoirs et la morosité économique créent les conditions idéales pour un putsch. La situation au Burkina Faso en témoigne : le pays a connu neuf coups d'État depuis 1960 et est toujours considéré comme l'un des pays les plus instables du continent.
Au milieu de ce cercle vicieux de mauvaise gouvernance, les Africains, même s'ils ne sont pas des adeptes des interventions militaires, sont de plus en plus déçus par la démocratie. Et même s'ils en ont assez d'être trompés par leurs dirigeants, ils continuent d'aspirer à une vie digne.
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