Les professionnels de l’association "Team Taxi" ont déclaré une manifestation avec un rassemblement prévu dans le 7e arrondissement sur l’esplanade des Invalides. Le rendez-vous s’est donné à 13h30 pour dénoncer "publiquement cette collusion entre l’État et les plateformes".
Les taxis ont pour objectif d’obtenir "une commission d’enquête parlementaire sur toutes les pratiques de lobbying des plateformes numériques dans le secteur du transport public particulier de personnes". Ils ont également demandé à ce qu'une délégation soit reçue auprès de l'Assemblée nationale.
"Un deal" entre Macron et Uber
Des journalistes d’investigations de plusieurs rédactions internationales ont relevé des informations sur la manière dont Uber s’est imposé violemment dans plusieurs pays, notamment la France. Dans le cadre des "Uber Files" qui reposent sur près de 124 000 documents, Le Monde révèle que Macron, alors ministre de l'Économie de François Hollande, a conclu un "deal" avec Uber pour faciliter ses activités en France.
Uber, entreprise qui met en relation des chauffeurs indépendants et des clients, s’installe en France fin 2011 après des évolutions législatives. En 2009, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a créé le statut d’auto-entrepreneur permettant à n’importe qui de créer son "auto-entreprise" de façon rapide et le statut de chauffeur de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur (VTC) a été également été déréglementé dans une loi de 2009, simplifiant les démarches et réduisant les contrôles.
Selon l’enquête, Uber s'est ensuite trouvé des alliés au pouvoir, comme Macron, qui aurait discrètement aidé la firme quand il était ministre de l'Économie. S'appuyant sur différents témoignages et documents, Le Monde fait état de nombreux échanges entre les équipes d'Uber France et Macron qui n’étaient pas inscrits dans l’agenda officiel du ministre.
Selon le journal, Macron aurait suggéré à l’entreprise de rédiger elle-même des amendements afin de les transmettre à des députés de la majorité qui pourraient ensuite les intégrer à la loi Thevenoud venue encadrer les activités de VTC.
Pour compenser l’interdiction en France de la plateforme UberPop (permettant à tout le monde de devenir chauffeur Uber), Macron aurait aussi promis à l’entreprise, un aménagement de la loi en simplifiant les conditions d’octroi des licences de VTC. Les amendements proposés par Uber n’ont finalement pas été adoptés mais Macron a permis de mettre en application les principaux axes par décret. Début 2016, un décret a réduit la durée de la formation nécessaire pour l’obtention d’une licence de VTC de deux cent cinquante à sept heures.
Des réactions virulentes de l’opposition
Les liens qui ont uni Macron et Uber ont suscité les critiques de l'opposition qui accuse le chef de l'État d'avoir défendu les intérêts de la multinationale.
Alors que la coalition de gauche Nupes a décidé de demander une commission d'enquête parlementaire, l'ex-candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot, a lui défendu "l'urgence absolue" d'une "grande loi de séparation des lobbys et de l'État".
"Macron ou le pillage du pays. Conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail. Et ce même, en faisant fi des décisions de justice", a de son côté tweeté Mathilde Panot. cheffe du groupe La France Insoumise à l’Assemblée Nationale.
"Emmanuel Macron a favorisé les entreprises privées américaines (...), il est le point d'entrée d'intérêts privés en France, il ne défend pas les intérêts français", a fustigé Jordan Bardella, président du parti Rassemblement national.
Le secrétaire général du parti conservateur Les Républicains, Aurélien Pradié a parlé d'"une affaire grave. On ne peut pas se comporter comme un banquier d'affaires lorsqu'on est ministre de la République. Y a-t-il eu des contreparties?".
"Révélations accablantes sur le rôle actif joué par Emmanuel Macron, alors ministre, pour faciliter le développement d'Uber en France. Contre toutes nos règles, tous nos acquis sociaux et contre les droits des travailleurs" a déclaré Fabien Roussel, député communiste.
L’ancien président de la République François Hollande a assuré que l’Elysée "n’était pas au courant" de ces échanges et ne pas "avoir le souvenir" d’avoir rencontré à cette époque le fondateur d’Uber Travis Kalanick.
Macron: "Je le referais demain"
Sous le feu des critiques, Macron a ouvertement assumé ses échanges en insistant sur "les milliers d'emplois" créés. "J'ai fait venir des entreprises, j'ai aidé des entrepreneurs français, j'ai surtout aidé des jeunes, à qui on n'offrait pas d'emplois, qui venaient de quartiers difficiles, qui n'avaient pas d'opportunités de job à en trouver pour la première fois de leur vie, et pour des milliers d'entre eux. (…) Moi je suis extrêmement fier (...), il est très difficile de créer des emplois sans entreprises ni entrepreneurs. Je le referais demain et après-demain ", a déclaré le chef de l'Etat.
"On introduit une espèce d'ambiance qui consisterait à dire que voir des chefs d'entreprise, en particulier étrangers, ce serait mal. Mais je l'assume à fond et en vous regardant! J'ai vu des chefs d'entreprise, l'horreur! Je les ai vus, ça a toujours été officiel, avec des collaborateurs. J'en suis fier! S'ils ont créé des emplois en France, je suis hyper fier de cela. Comme le dirait un de mes prédécesseurs, cela m'en touche une sans faire bouger l'autre", a-t-il plaidé.
L’UE s’inquiète du respect des règles sur le lobbying
Dans son rapport annuel sur l'État de droit publié le 13 juillet, la Commission européenne a recommandé à la France de mieux appliquer les règles sur le lobbying.
Rédigé avant les révélations, ce rapport demande à Paris de "garantir que les règles sur les activités de lobbying sont systématiquement appliquées à tous les acteurs concernés, notamment aux plus hautes fonctions de l'exécutif", précisant qu'"un grand nombre de préoccupations persistent" en ce domaine.
La Commission relève qu'une recommandation du Groupe d'États contre la corruption, l'organe anticorruption du Conseil de l'Europe, sur l'obligation de déclarer les contacts entre lobbyistes et les personnes exerçant de hautes fonctions au sein de l'exécutif, n'a pas été mise en œuvre.