Le gouvernement Bayrou vit sans doute ses dernières heures. Aux mêmes causes, les mêmes effets. En essayant de gouverner au centre avec les Républicains et sans majorité, sans compromis, Emmanuel Macron crée l’instabilité des institutions. Ce lundi, la gauche dans son entier, le Rassemblement national et même quelques Républicains ont annoncé qu’ils voteraient la censure du Budget 2026.
La France revit le psychodrame de la censure du gouvernement Barnier, gouvernement éclair qui était tombé sur le budget 2025.
Au-delà des coupes budgétaires qui ont cristallisé les oppositions, la manière de gouverner est également dénoncée par la classe politique française, même à droite! Ainsi, Nicolas Sarkozy, ancien président les Républicains, a montré tout le mal qu’il pense du chef de l’Etat dans une interview exclusive dans le Figaro.
La dissolution de juin 2024 a été une “bombe à fragmentation”, assène-t-il. Lorsque le journaliste lui demande ce qu’Emmanuel Macron va faire après le 8 septembre, il répond : “Connaissant (…) sa volonté de toujours vouloir faire entrer le pied droit dans la chaussure gauche, j’imagine qu’il va tenter une nouvelle fois de trouver un premier ministre”, avant de conclure que cela ne va pas fonctionner.
Au lendemain de la démission de Michel Barnier en décembre 2024, la presse européenne évoquait explicitement une fin de règne. À commencer par le quotidien suisse, le Tages-Anzeiger, qui qualifie le président français de "saboteur de la Ve République". Des analystes prévoient une démission mais, ironise le quotidien, ce serait comme "demander à un roi de descendre de son trône, ou au soleil de quitter le ciel".
Le quotidien italien Avvenire se montre tout aussi incisif quand il écrit que Macron était le "plus narcissique des présidents français, qui ne croit toujours pas à la possibilité d’une défaite alors qu’il l’a sous les yeux". Une présidence faite de deux records : le premier gouvernement de défiance depuis 1962, et l'exécutif le plus court depuis 1958, ajoute le journaliste italien.

La faute à la dissolution ou la faute à Macron ?
Interviewé par TRT Français, Jean Garrigues, historien et spécialiste de la vie politique française dédouane Emmanuel Macron. Ce qui bloque les institutions françaises actuellement, selon lui, c’est le résultat des élections, une Assemblée divisée en trois parties égales est sortie des urnes. “Dire que c’est la responsabilité unique de Macron est trop simple car ce sont les Français qui ont voté”, a-t-il dit.
C’est oublier le style Macron qui depuis 2022 fait passer en force ses réformes, malgré les contestations comme lors de la réforme des retraites et son refus de discuter avec les syndicats, rompant ainsi une tradition républicaine.
Cette démarche a valu à la France de vivre un état de crise permanente depuis 2017. La crise des gilets jaunes (2018) a fait perdre à la France des millions d’euros et a couté la vie à douze personnes. La réforme des retraites (2023) a soudé de manière inédite tous les syndicats dans une contestation qui a duré des semaines.
La liste est longue, avec les émeutes en banlieue, les affrontements sur le site de Sainte Soline pour imposer des bassines agricoles, la crise avec l’Algérie, le départ des troupes françaises de toute l’Afrique de l’Ouest à cause des tensions entre Paris et les capitales africaines, sans oublier les émeutes de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie qui ont mis à genoux l’économie de l’île du Pacifique, tout simplement parce que Paris voulait imposer une réforme du corps électoral afin de diminuer le poids des indépendantistes.
Même après la dissolution de juin 2024 et l’échec de son camp dans les urnes aux élections législatives qui ont suivi, le président refuse toute modification de sa réforme des retraites même si cela aurait aidé à trouver une majorité ou un bloc de non-censure à l’Assemblée nationale.
Macron ou l’hubris des Dieux
Certains l’ont surnommé “le petit Marquis” à son arrivée au pouvoir. On pourrait le baptiser aujourd’hui le “Roi sans discernement” et bientôt sans gouvernement.
Gérard Collomb, l’ancien maire de Lyon et soutien de la première heure a quitté le ministère de l’Intérieur, déçu par son poulain.: “Ce type se prend pour un seigneur.”, ajoutant ensuite “en grec, il y a un mot qui s’appelle “hubris”, l’orgueil, la démesure. C’est la malédiction des dieux. (…) Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre. “
Pour Antoine Grally, spécialiste de communication politique, les derniers sondages montrent un capital confiance au plus bas. 15% des Français pensent qu’il peut sortir de la crise politique, selon un sondage publié début septembre par le quotidien Le Figaro.
“La situation politique est anxiogène, la communication de Bayrou entretient l’anxiété mais le président français a fait beaucoup de ratés durant son second mandat. Un président doit créer du “commun” et s'adresser aux Français et il n’a pas réussi à le faire pendant ce second mandat sauf pendant les Jeux Olympiques et la restauration de Notre-Dame de Paris. Son image est dégradée.”
En effet, après avoir refusé un gouvernement de gauche après les élections en juillet 2024, Emmanuel Macron ordonne la semaine dernière au Premier ministre d’ouvrir des discussions avec le Parti socialiste mais bizarrement, dans le même temps, François Bayrou fait des clins d'œil au Rassemblement national en voulant restreindre par décrets l’Aide médicale de l’Etat aux étrangers.
“La communication des deux têtes de l'exécutif est brouillonne”, analyse Antoine Grally. “C’est typique d’élus qui ne savent pas trop où aller.”
L’impopularité du président brouille tout
Si certaines mesures ont été prises pour soutenir les petits revenus comme l'augmentation du minimum vieillesse ou celle de l’allocation adulte handicapé, il n’en reste pas moins que l’image du président français est celle d’un président des riches.
Quel héritage va-t-il laisser ? Aucun grand projet, un service public à l’agonie, une France divisée, un budget de pays surendetté grâce aux choix d’un ex-banquier. Il a essayé d’exister à l’international mais le style Macron, fait de petites phrases un tantinet méprisantes, lui a aussi valu quelques camouflets. L’armée française a dû quitter plusieurs pays d’Afrique en quelques mois et les relations sont exécrables avec l’Algérie, sans oublier le gentil mépris américain face aux tentatives du Français de lui expliquer le jeu diplomatique mondial.
Le grand échec de Macron, estime Jean Garrigues, c’est d’avoir amené le Rassemblement national au sommet. “Il est arrivé au pouvoir en disant vouloir éradiquer l’extrême-droite. C’est l’inverse qui s’est produit, c’est aujourd’hui la première force politique du pays. L’idée de gouvernance ni de droite ni de gauche est aussi un échec. Aujourd’hui toute la gauche est dans l’opposition, le nouveau monde promis n’a pas eu lieu et c’est aussi un échec majeur.”
Au regard de l’histoire des institutions françaises, il sera certainement présenté comme le Président qui a perdu deux gouvernements en moins d’une année. Pour Jean Garrigues, le bilan est d’autant plus négatif qu’il impacte l’ensemble de la classe politique, “la détestation de Macron est telle qu’elle discrédite tous les politiques”, regrette l’historien.
Le vote de confiance devant les députés aura lieu lundi 8 septembre et il est quasi acquis que le gouvernement Bayrou sera censuré.