En juillet dernier, lorsque le président Xi Jinping prit la parole lors d'une cérémonie sur la place Tiananmen à l’occasion des 100 ans du Parti communiste, l'un des thèmes récurrents de son discours fut « l’humiliation » et « l’assujettissement » du peuple chinois à la suite des guerres de l'opium (1839-42).
Le traité de Nanjing de 1842 et d'autres accords avaient ouvert la voie aux commerçants occidentaux pour entrer dans plusieurs villes chinoises. Plus important encore, ils forcèrent la Chine à accepter les pratiques commerciales occidentales, donnant aux nations occidentales un avantage injuste sur les autochtones.
« L'Occident -en particulier la Grande-Bretagne et la France- œuvra sans relâche afin d’obtenir des privilèges économiques en Chine », a déclaré Helin Sari Ertem, professeure associée de relations internationales à l'Université Medeniyet d'Istanbul, à TRT World.
« Les guerres de l'opium leur donnèrent cette opportunité et leur permirent de commencer l'exploitation occidentale en Chine, en d'autres termes, le "siècle de l'humiliation", qui causa une grande souffrance au peuple chinois », dit Sari Ertem.
« A travers cette référence à l’humiliation du dirigeant chinois Xi Jinping, on peut comprendre à quel point la douleur causée par la domination occidentale est encore vive pour le peuple chinois et permet aux dirigeants nationalistes comme Xi Jinping la manipulation des masses ».
La contrebande occidentale d’opium
Au début du XIXème siècle, la contrebande de l’opium en Chine devint un enjeu commercial majeur pour la Grande-Bretagne, qui le produisait depuis ses colonies. L’empire du Milieu tenta d’interdire la vente de cette drogue ravageuse.
S’ensuivit alors la première guerre de l'opium qui commença en 1839 et se termina le 29 août 1842 à la suite du traité de Nanjing. La Chine paya alors 21 millions de dollars à titre d'indemnité, céda le territoire de Hong Kong et accepta d'établir ce que les Britanniques qualifièrent de tarif « juste et raisonnable ».
Quatorze ans après la première guerre, le deuxième conflit eut lieu entre 1856 et 1860, à la suite de nouvelles demandes des Britanniques. Une alliance anglo-française causa une nouvelle défaite des Chinois. Les puissances occidentales obtinrent ainsi encore plus de privilèges commerciaux, ainsi que des concessions juridiques et territoriales en Chine.
Ces guerres eurent pour conséquences l’ouverture du marché chinois au commerce et à l'influence occidentales, ainsi que l’affaiblissement du pouvoir de la dynastie Qing, qui fut finalement renversée en 1911.
Souvenir traumatisant dans l'histoire de la Chine, ces conséquences des guerres de l’opium sont qualifiées par Xi Jinping d’« humiliation et d'aberration honteuse causées par des étrangers malveillants et une faiblesse chinoise impardonnable ».
Persistance de l’anti-occidentalisme chinois
Commentant l'impact des guerres de l'opium sur l’actuelle position anti-occidentale de la Chine, le Dr Kadir Temiz, professeur adjoint de relations internationales à l'Université Medeniyet d'Istanbul, explique que « les expériences historiques de n'importe quel État dans le monde façonnent généralement leur construction identitaire dans la patrie. Cela contribue également à rendre les gens plus unis sous l'égide de l'État-nation actuel, qui tente de trouver une légitimité au pouvoir ».
« Depuis de nombreuses années, la légitimité du pouvoir de la Chine reposait sur le développement économique. Après 40 ans de processus de réformes, la priorité de la Chine s'est tournée vers une légitimité plus nationaliste et ambitieuse basée sur un récit victimaire de la guerre de l'opium, à l'époque de Xi Jinping », a déclaré Temiz à TRT World. « Le récit de la guerre de l'opium est devenu le nouveau discours des sentiments nationalistes anti-occidentaux dans la Chine de Xi ».
Selon Sari Ertem, « les traumatismes nationaux ont toujours joué un rôle important dans le comportement des États-nations en matière de politique intérieure et étrangère. C'est le cas de la Chine d'aujourd'hui. Les guerres de l'opium du XIXe siècle ont créé l'un des plus grands traumatismes de l'histoire chinoise ».
« Comme le souligne Kissinger, la Chine revendique un ‘universalisme culturel’ et cela affecte également la politique mondiale d'aujourd'hui. A travers sa fameuse "Belt and Road Initiative" [l’initiative "la ceinture et la route"], la Chine est partout avec ses propres valeurs, ses règles commerciales et son insistance. D'une certaine manière, elle prend sa revanche sur "l'ère de l'humiliation" ».
Interrogée sur la façon dont la Chine pourrait utiliser les mêmes récits dans ses actions futures qui pourraient déclencher de nouvelles crises, Sari Ertem estime que « l'orientalisation de la finance et de la politique mondiales devrait se poursuivre ».
« Cela crée bien sûr une tension dans les pays occidentaux, notamment les États-Unis, qui ont peur de perdre leur supériorité hégémonique », ajoute Sari Ertem, affirmant qu’il était possible que « les États-Unis paient en fait le bagage historique amer causé par le Royaume-Uni et la France en Chine ».
Selon Sari Ertem, les guerres de l'opium et l'ère de l'humiliation qui les a suivies ont définitivement influencé les nationalistes chinois d'aujourd'hui et leur vision de la politique étrangère.
« Comme le soulignent de nombreux responsables chinois, la Chine fera tout son possible pour ne jamais retomber dans une telle situation. La Chine est déterminée à jouer le jeu politique mondial avec ses propres règles, malgré toutes les critiques. Elle est déterminée à devenir l'une des principales puissances mondiales, peut-être la plus forte, à l'avenir ».