"Le paludisme est une maladie transmise par un parasite appelé plasmodium falciparum dont le vecteur est l’anophèle femelle. En Afrique, le climat est favorable à la prolifération des moustiques, vecteur responsable de la transmission du paludisme", a déclaré à l’Agence Anadolu Shep Dominique, médecin burkinabè généraliste.
Selon le dernier Rapport sur le paludisme dans le monde, publié en 2021, on comptait 241 millions de cas de paludisme en 2020 contre 227 millions en 2019. Le nombre estimé de décès palustres s’établissait à 627 000 en 2020, soit une augmentation de 69 000 décès par rapport à l’année précédente.
La même source précise que la région africaine de l’OMS continue de supporter une part disproportionnée de la charge palustre mondiale. En 2020, on y dénombrait 95 % de l’ensemble des cas de paludisme et 96 % des décès dus à cette maladie. Les enfants de moins de 5 ans ont représenté environ 80 % de l’ensemble des décès palustres dans la région.
Un peu plus de la moitié de tous les décès palustres dans le monde étaient enregistrés dans quatre pays africains : le Nigéria (31,9 %), la République démocratique du Congo (13,2 %), la République-Unie de Tanzanie (4,1 %) et le Mozambique (3,8 %).
Shep Dominique souligne que plusieurs programmes ont été développés en fonction des pays pour lutter contre le paludisme, notant entre autres, la formation des agents de santé communautaire qui sont au premier niveau de la prise en charge par le tri le dépistage et le traitement des cas simples.
Les progrès dans la lutte mondiale contre la maladie sont pourtant menacés par l’émergence d’une résistance de l’anophèle aux insecticides, selon le rapport sur le paludisme dans le monde qui précise que 78 pays ont signalé une résistance des moustiques à au moins une des quatre classes d’insecticides couramment utilisées au cours de la période 2010-2019.
Dans 29 pays, on a signalé une résistance à l’ensemble des principales classes d’insecticides.
La marche vers l’élimination de la maladie si difficile
Halidou Tinto est le Chef de l’Unité de Recherche Clinique de Nanoro (URCN) spécialisée dans la Recherche clinique pour le développement de médicaments et de vaccins contre le Paludisme mais aussi contre d’autres maladies infectieuses au Burkina Faso.
Son équipe a participé activement de 2009 à 2015 à la dernière phase (phase 3) de développement du seul vaccin contre le paludisme actuellement recommandé par l’OMS qui est le vaccin RTS, S ou Mosquirix.
"Après cette première étude historique, nous avons continué le développement d’un vaccin de deuxième génération appelé R21. Cette étude est menée en collaboration avec l’équipe du Professeur Adrian Hill de l’Université d’Oxford qui a conçu et optimisé la protéine R21", a-t-il expliqué à l’Agence Anadolu.
"Nous avons démontré à travers un essai clinique de phase 2, conduit à Nanoro au Burkina Faso, que ce vaccin est capable de générer une protection de 77% contre le paludisme simple chez des enfants âgés entre 5 et 17 mois. Ce résultat qui constitue une première mondiale (car jamais auparavant, un candidat vaccin n’avait atteint ce niveau d’efficacité), a permis de procéder à la mise en œuvre de la dernière phase (phase 3) du processus de développement de ce vaccin", a-t-il ajouté.
Cette phase 3 a débuté en avril 2021 à Nanoro et à Dandé au Burkina Faso, à Bougouni au Mali, à Bagamoyo en Tanzanie et à Kiliffi au Kenya.
Halidou Tinto qui est en outre directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique du Burkina Faso(CNRST) et Professeur honoraire de l’Academic Union d’Oxford (UK) et de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers en Belgique, pense que plusieurs facteurs limitent la lutte contre le paludisme en Afrique.
La première difficulté est d’ordre scientifique, selon lui, car contrairement aux virus et aux bactéries, "nous n’avons pas encore une parfaite connaissance de comment le système immunitaire de l’être humain réagit contre le parasite du paludisme".
En effet, a-t-il expliqué, le plasmodium est présent dans le corps humain sous plusieurs formes selon qu’il se trouve dans le foie, le sang ou chez le moustique qui transmet la maladie. La conséquence de cette multiplicité des formes est la difficulté pour l’organisme humain de régir de façon efficace.
En plus de cela, le parasite sous la pression des traitements médicamenteux, change/mute sans cesse, ce qui conduit à une résistance contre ces médicaments. "La conséquence immédiate de ce phénomène est l’impossibilité de contrôler la maladie à l’aide des médicaments", a-t-il dit, précisant qu’il faut ajouter la résistance des moustiques aux insecticides ; ce qui réduit fortement l’efficacité des moustiquaires pour le contrôle de la maladie.
Sur le plan économique, Tinto souligne le rôle primordial de l’industrie pharmaceutique dans la recherche des vaccins et des médicaments dans le monde.
"Il se trouve que le marché de vaccins antipaludiques n’est pas attrayant car il est pratiquement limité aux pays tropicaux qui sont généralement des pays pauvres ; ce qui ne garantit pas un retour sur investissement voire des bénéfices pour ces firmes", a-t-il indiqué.
Ainsi, pour lui, la recherche sur les vaccins et les médicaments anti-palustres n’a jamais bénéficié de moyens financiers colossaux qui sont mis à la disposition de la recherche pour des vaccins contre les virus comme le VIH ou le coronavirus par exemple.
La dernière difficulté qu’il mentionne est la volonté et l’engagement politique, proclamés depuis une trentaine d’années. "Cet engagement n’est pas toujours accompagné de mesures concrètes", a-t-il noté.
Par exemples le dernier rapport de l’OMS rapporte que seulement 3.3 milliards USD ont été investis pour le contrôle du paludisme en 2020 alors que le besoin était estimé à 6.8 milliards USD. En plus de cela, il faudra tripler cette somme donc environ 10.3 milliards USD par année d’ici 2030 pour atteindre les objectifs fixés.
L’espoir est permis
De plus en plus, des efforts sont fournis dans le sens du renforcement de la lutte contre le paludisme, s’est réjoui Tinto. Par exemple sur le plan scientifique, plusieurs équipes de recherche utilisent des approches novatrices pour le développement de nouveaux vaccins contre le paludisme.
Les candidats vaccins les plus prometteurs sont par exemple le candidat vaccin PfSZP de la firme de biotechnologie Sanaria aux USA. Il s’agit de sporozoïtes irradiés donc une approche utilisant le parasite entier atténué, a-t-il dit, assurant que PfSPZ a montré des résultats encourageant en phase 1 et 2 et un essai de phase 3 avait été annoncé pour 2021 en Guinée Équatoriale.
Toujours dans l’objectif de développer un vaccin ayant un niveau de protection proche de 100%, il y’a une initiative soutenue par l’OMS et le Fond Mondial pour l’utilisation de la "technique de l’ARN messager" pour le développement de vaccins contre le paludisme à l’image de ce qui a été fait avec succès pour le développement des vaccins contre la Covid-19, a-t-il noté.
Dans la lutte contre les moustiques vecteurs de la maladie "nous avons plusieurs études visant à introduire des moustiques irradiés ou transgéniques pour l’élimination des vecteurs naturels dans l’environnement", a fait savoir le chercheur burkinabè pour qui, dans ce domaine aussi des résultats encourageants ont été rapportés et notamment pour le contrôle du vecteur principal de Dengue (Aedes aegypti) en Asie et en Amérique Latine.
Enfin, plusieurs initiatives soutenues par l’OMS et d’autres organismes internationaux de philanthropie se sont engagés financièrement à soutenir la recherche de nouveaux outils et font un plaidoyer auprès des pays riches pour une augmentation des fonds alloués au contrôle du paludisme.
"Si toutes ces initiatives en cours aboutissent, l’espoir est permis quant à l’atteinte de l’objectif d’éliminer le paludisme dans la majorité des pays endémiques d’ici 2030", a estimé Tinto.
Vers un monde sans paludisme
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), plus d'un million d'enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi ont désormais reçu une ou plusieurs doses du premier vaccin antipaludique au monde, grâce à un programme pilote coordonné par ses services.
Plus de 155 millions de dollars US ont été obtenus de Gavi, l'Alliance du vaccin, pour soutenir l'introduction, l'achat et la livraison du vaccin antipaludique pour les pays éligibles à Gavi en Afrique subsaharienne.
"Les conseils de l'OMS sont à la disposition des pays lorsqu'ils examinent l'opportunité et la manière d'adopter le RTS,S comme outil supplémentaire pour réduire les maladies infantiles et les décès dus au paludisme", indique un communiqué de l’OMS.
"En tant que chercheur sur le paludisme, au début de ma carrière, je rêvais du jour où nous aurions un vaccin efficace contre cette maladie dévastatrice", a déclaré le Dr TedrosAdhanomGhebreyesus, directeur général de l'OMS.
"Ce vaccin n'est pas seulement une percée scientifique, il change la vie de familles à travers l'Afrique. Il démontre le pouvoir de la science et de l'innovation pour la santé. Malgré tout, il est urgent de développer des outils plus nombreux et de meilleure qualité pour sauver des vies et faire avancer les choses. Vers un monde sans paludisme", a-t-il dit.
Dans la même lancée, "CS4ME" la plateforme mondiale des organisations de la société civile engagées pour l’élimination du paludisme, souligne que "chaque minute, un enfant de moins de cinq ans meurt du paludisme. Nous avons le pouvoir de changer cela. Agissons maintenant !"
"Nous saluons cette avancée significative mais sommes déçus par la faible efficacité du vaccin, par son coût élevé et par les défis que soulèvent sa disponibilité et sa distribution", a lancé la plateforme dans un communiqué publié à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le paludisme.
"Nous demandons un investissement urgent pour accélérer la recherche et le développement, afin que nos enfants et nos communautés aient accès à un vaccin au coût abordable et disponible et dont l'efficacité serait d'au moins 80 % pour tous les enfants à risque", a-t-elle souhaité.