Emmanuel Macron est attendu aujourd’hui en Algérie, pour une visite officielle qui se déroulera du 25 au 27 août à Alger et Oran. Selon l’Elysée, cette rencontre à l’invitation du président Algérien Abdel-Madjid Tebboune est organisée dans le but de "renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux" et de "poursuivre le travail d'apaisement des mémoires".
Macron en Algérie : le baptême du feu
La dernière fois qu’il s’était rendu en Algérie, c’était en décembre 2017. Emmanuel Macron venait d’entamer son premier mandat. Il est alors novice mais sait combien l’Algérie demeure un sujet brûlant. Son précédent voyage en Algérie lui avait déjà valu les foudres de la droite et de l’extrême droite française, alors que, candidat à la présidence, il avait osé déclarer que la colonisation était un crime contre l’humanité. "La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes." avait-il déclaré devant une télévision algérienne.
Une déclaration qui avait d’un côté suscité beaucoup d’espoir puisque jamais aucun responsable politique français n’avait encore utilisé des termes aussi forts. Mais qui, de l’autre côté, lui avait valu une salve d’indignation. "Honte à Emmanuel Macron, qui insulte la France à l’étranger !", s’était à l’époque insurgé Gérald Darmanin, devenu depuis son plus fidèle collaborateur, son ministre de l’Intérieur et membre de la délégation qui l’accompagnera aujourd’hui en Algérie.
C’était donc sur le ton de l’apaisement avec Alger que commenceront les premiers pas du président Macron. Mais pour éviter les polémiques internes, il ne restera que quelques heures sur le sol algérien, lors de sa première visite officielle en tant que président français quelques mois plus tard. Il tentera alors un geste de réconciliation lors du bref entretien avec son homologue de l’époque Abdel Aziz Bouteflika décédé depuis. Ce geste ? Restituer les crânes de résistants algériens tués entre 1840 et 1850 dans le Sud Constantinois, et conservés dans les collections du musée de l’homme à Paris. En échange, il demandera que l’on permette aux harkis de revenir dans leur pays natal. "Ces traîtres, jamais" lui aurait répondu Bouteflika lors de cet échange. 24 crânes de résistants qui avaient été assassinés, décapités et dont les têtes avaient été exposées bout de piques avant d’être conservées dans des boîtes en carton pendant plus de 100 ans, seront néanmoins restitués à l’Algérie en juillet 2020.
Le sujet est brûlant, sensible, et les mots sont importants. Emmanuel Macron le sait. Durant son mandat il reconnaîtra au nom de la République française, que le jeune mathématicien communiste Maurice Audin a bien été torturé à mort par l’armée française. Il reconnaîtra également que l’avocat algérien Ali Boumendjel a bien été torturé et assassiné par des soldats français. Mais pour les autorités algériennes, la reconnaissance de ces crimes sans excuses officielles ne sont pas des gestes d’apaisement suffisants. La position officielle du président Macron c’est la reconnaissance des fautes ou des crimes, mais pas les excuses. Alors que le président algérien Abdel Madjid Tebboune l’a dit et répété à plusieurs reprises, ce sont des excuses en bonne et due forme, envers le peuple algérien qu’il veut, face aux crimes "hideux" commis par la France.
Macron souffle sur les braises mémorielles
Cela n’empêchera pas Emmanuel Macron de créer quelques années plus tard l’une des plus grosses crises diplomatiques entre la France et l’Algérie. "La dernière crise c’était sur des questions mémorielles et sur des questions d’histoire." explique Amar-Mohand Amer, docteur en histoire de la mémoire; "les déclarations avaient été très très mal accueillies en Algérie, pas seulement par les autorités politiques mais aussi par une grande partie du peuple". Et pour cause, en septembre 2021, lors d’une rencontre retranscrite par le journal le Monde, le président français explique que l’Algérie s’est construite sur "une rente mémorielle" entretenue par "le système politico-militaire" basée sur "une histoire officielle totalement réécrite" qui "ne s’appuie pas sur des vérités" mais sur "un discours qui repose sur une haine de la France".
Des propos qui avaient suscité la colère d’Alger, le rappel immédiat de son ambassadeur pendant plusieurs mois, et provoqué de grosses tensions diplomatiques entre les deux pays. "Quand il était candidat il a eu le courage de dire que colonisation était un crime contre l’humanité, et quelques années après il tient ce genre de propos, on a deux discours complètement antagonistes à visées électoralistes. C’était des propos révisionnistes, basés sur le discours de l’extrême droite que tous les historiens y compris français ont contredit. Maintenant je pense que l’attente en Algérie, c’est de voir si Macron va faire une déclaration claire et nette sur ces questions-là. Est-ce qu’il va lever l’ambiguïté une fois pour toutes et faire une déclaration officielle sur la réalité de la colonisation en Algérie ?" s’interroge l’historien algérien.
La réalité de la colonisation française en Algérie, une question épineuse alors qu’Alger célèbre cette année les 60 ans de son indépendance. "On sait la portée politique de l’histoire entre la France et l’Algérie, on se souvient d’une grosse polémique en 2005 autour d’une loi pour enjoindre les professeurs à parler du rôle positif de la colonisation dans les manuels scolaires" rappelle Amar Mohand-Amer et d’ajouter "c’est très inquiétant lorsque ce ne sont pas les historiens qui font l’histoire mais que ce sont les parlementaires.... c’est très grave !". Effectivement, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un amendement UMP de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 en faveur des rapatriés et des harkis stipule que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française en outre-mer notamment en Afrique du Nord."
Mais au-delà des mots, de la reconnaissance, de la repentance c’est aussi la question de la réparation qui raisonne.
"Moi personnellement je n’attends ni excuses, ni repentance, mais la France s’honorerai à reconnaître que la colonisation est un crime. Les accords d’Evian ont balisé cette possibilité de réparation mais rien n’empêche la France de réparer les dégâts sur les essais nucléaires, par exemple. La France s’honorerai à reconnaître qu’au-delà des accords d’Evian, elle doit réparer et dédommager celles et ceux qui jusqu’à aujourd’hui restent des victimes de ces essais nucléaires et chimiques." En effet entre 1960 et 1966 au moins 17 essais nucléaires seront réalisés sur les sites d’In Ekker et Reggane dans le Sahara algérien, laissant les populations vivre avec les conséquences environnementales dramatiques de l’enfouissement des déchets radioactifs. Sujet qui ne semble pas à l’ordre du jour de la visite.
Un déplacement en grande pompe, pour apaiser les tensions
Cette fois, c’est une importante délégation qui visitera l’Algérie avec le président français. Au moins 90 personnes ont été invitées. Parmi elles, plusieurs représentants de ministères stratégiques (Économie et Finances, Intérieur, Affaires étrangères, Culture, Armées, Ancien combattants et Mémoires,) mais également des acteurs économiques comme Xavier Niel à la tête du groupe Iliad (spécialisé dans les télécommunications), ou encore Catherine MacGregor directrice du groupe énergétique Engie, (premier fournisseur de gaz naturel en France). D’autres personnalités du milieu de la culture ont également été conviées pour parfaire cette délégation. Jack Lang l’ancien ministre de la Culture et actuel président de l’Institut du monde arabe, le journaliste Rachid Ahrab ou encore le chef cuisinier Mohamed Cheikh. S’il n'était resté que quelques heures en 2017, cette fois, Emmanuel Macron a décidé de rester pendant trois jours, et selon l'Élysée, d'aller à "la rencontre de la jeunesse" qui compose 70% de la population algérienne.
Dans son programme, la délégation française semble avoir mis les grands moyens, plusieurs rencontres avec la société civile, des artistes, des jeunes entrepreneurs sont prévues à Alger et Oran et même une visite de Disco Maghreb, le mythique label de raï algérien mis à l’honneur il y a quelques mois par DJ Snake.
Pour Anouar Hachemane fondateur de la start-up culturelle Maghreb Expérience, convié à plusieurs de ces rencontres, il est intéressant de voir l’importance de l’aspect culturel de cette visite: "c’est la première fois que la France fait ça, pour une ancienne puissance coloniale c’est très symbolique puisque la France a contribué à déstructurer toute l’identité culturelle de l’Algérie pendant 132 ans, c’est peut-être quelque chose de bon aujourd’hui, dans le sens où c’est un premier pas, un accompagnement dans la reconnaissance de la culture et l’apaisement mémoriel". Autre question importante, celle de la francophonie, alors que l’Algérie tout comme ses voisins marocain et tunisien a décidé de remplacer le français par l’anglais dans le système scolaire. "Le français est un butin de guerre, mais l'anglais reste la langue internationale" avait alors déclaré le président algérien, annonçant que cette mesure serait mise en place dès la rentrée scolaire de septembre prochain.
La question du gaz
Alors que la Russie a cessé de livrer du gaz à la France depuis le 17 juin, et que l’hiver approche à grand pas, "le président français va certainement demander à l’Algérie de faire un effort pour essayer d'accroître ses productions de gaz" explique l’économiste algérien Abderahmane Mebtoul à l’AFP.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Algérie, l’un des dix plus importants producteurs de gaz au monde, est devenue un interlocuteur privilégié dans une Europe soucieuse de ne plus dépendre du gaz russe. L’Algérie est ainsi devenue le premier fournisseur de gaz en Italie, via le gazoduc Transmed qui passe par la Tunisie. Ce nouvel accord signé avec Mario Draghi, président du Conseil italien, le 18 juillet dernier, garantit 4 milliards de m³ de gaz supplémentaires à l’Italie. Pour Abderahmane Mebtoul, "si les Français en veulent plus, il faut qu'ils investissent" dans l'industrie gazière et les énergies renouvelables en Algérie.
Quant à la question de l’opportunisme, Amar Mohand Amer la balaye d’une traite: "la situation politique régionale et internationale impose une accélération des pourparlers et l’apaisement des relations, ça n’est pas de l’opportunisme, c’est du pragmatisme... "