Pour Leslie Varenne, journaliste d’investigation, spécialiste de l’Afrique francophone et directrice du Think Tank IVERIS, le retrait des militaires français du Mali, à la demande de ce dernier, "va devenir le symbole de la perte de l'influence française en Afrique".
Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de la dégradation des relations entre la France et le Mali depuis l'intervention de la France au Mali en 2013 ?
Je ne pense pas qu'il y ait des grandes étapes ou s’il y en a une, c’est le coup d'État d'août 2020. Il a balayé le président Ibrahim Boubacar Keita, élu depuis 2013, qui avait été très mal réélu. Pour comprendre ce premier coup d’État, il faut revenir à l’année 2018 au cours de laquelle il y a eu de grandes manifestations au Mali contre le pouvoir d'Ibrahim Boubacar Keita, la corruption, sa gestion de la situation sécuritaire qui allait de mal en pis. Malgré la présence de l’opération Barkhane, la situation de sécurité au Mali s'était vraiment dégradée à partir de 2016-2017, notamment dans le centre du Mali. Ce qui me pose question, est que la France n’a pas vu venir le coup d'État de 2020 avec tous ces éléments de tension observables sur le terrain. J’en ai parlé dans un de mes articles qui était intitulé : “Va t-on survivre à l'élection présidentielle de 2018 ?”. Beaucoup ont applaudi le coup d'État parce qu’on ne savait pas encore qui étaient ces colonels. Même la communauté internationale et la France ont assez vite acté la fin d'Ibrahim Boubacar Keita.
Qu'est-ce que la France reproche à la junte militaire au Mali ? Et qu'est-ce que ce dernier reproche à la France ?
Aujourd’hui, il y a plusieurs reproches que les deux parties s’adressent. Je pense qu'Emmanuel Macron était au courant des choix de Bah N’Daw. Il n'a pas supporté que ce dernier, de qui il s'était rapproché, soit évacué comme ça. Maintenant, je n'ai pas la preuve, mais si vous voulez, le ver est dans le fruit à partir de ce moment-là. A partir de l'éviction de Bah N’Daw et de Moctar Ouane du gouvernement, la junte militaire a eu très peur et s’est méfiée de la France. Les rapports deviennent tendus et la junte militaire décide, à ce moment-là, de faire appel au groupe Wagner. Je pense qu'au début, le groupe Wagner vient seulement pour protéger la junte, sans volonté de combattre au Mali.
Est-ce un moment historique ?
Oui, c'est un moment historique pour la France. Les votes aux Nations unies concernant la guerre en Ukraine ont montré une chose qui ne s'était jamais produite en 60 ans d'indépendance : La France n'avait plus ces quatorze voix à l'ONU (14 pays africains francophones). Et ça, c'est historique ! Cela explique en partie l'énervement d'Emmanuel Macron car c'est le premier président de la cinquième République qui n'a plus quatorze voix à l'ONU pour soutenir la France dans ses décisions. C’est historique et je pense que les gens ne mesurent pas ce qui s'est passé au cours de ces cinq dernières années.
Pour vous, c'est un moment de bascule ?
Oui, c'est un point de bascule. Je pense que pour faire la grande histoire, parfois, il y a besoin de l’addition de beaucoup de petites histoires. Ce qui va faire l'histoire avec un grand H est que la perte du Mali va devenir le symbole de la perte de l'influence française en Afrique. C’est grave car les militaires français n'ont pas mal agi. C'est plutôt la politique française qui ne les a pas aidés. Les militaires français ont fait le job qu'on leur demandait au Mali au péril de leur vie. L'Armée française au Mali, c'était un peu le dernier levier de puissance de la France. Le départ de Barkhane, dans ces conditions, c'est aussi quelque chose qui affaiblit encore un peu plus la France et l'armée française. La façon dont elle est partie du Mali peut être considérée comme un échec, même si l'armée française n'a pas failli, contrairement à la politique française.
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