C’est de manière sarcastique que le général De Gaulle qualifiait les Nations unies de “Machin”. L’instance onusienne était empêtrée, dans les années 70, dans des joutes oratoires sans fin, frappée de paralysie à cause de “Monsieur niet”, comme on appelait le représentant de l’URSS, usant et abusant de son veto au Conseil de Sécurité.
L’immeuble de verre sur l’Hudson qui devait dire le droit (international) et frayer le chemin de la paix et de la sécurité, ce qui était sa raison d’être, était inopérant à cause de la guerre froide, qui était chaude par ailleurs, en Corée, au Vietnam, au Moyen-Orient, en Afrique, ou en Amérique latine. Elle n’avait de froid que le nom. La “coexistence pacifique” dont se paraient les Grands n’était qu’un euphémisme pour un hypothétique “équilibre de la terreur”.
Pourtant, dans l’esprit des concepteurs des Nations unies, il ne fallait pas rééditer le fâcheux précédent de la SDN (Société des Nations), l’ancêtre de l’ONU, avec l’absence notoire des Etats-Unis, ce qui l’a plongé dans la quasi-paralysie, sans moyen de dissuasion. Il y eut, dans l’impunité, l’occupation de l’Éthiopie par les troupes de Mussolini, et l’invasion de la Mandchourie (en Chine) par le Japon.
La SDN était inopérante faute de grands qui pourraient dissuader les moins grands. C’est ainsi qu’est née l’idée, à la conférence de San Francisco, qui conçut les Nations unies, de nations disposant de droit de veto au Conseil de Sécurité. C’était les grandes nations victorieuses de la deuxième guerre mondiale, contre celles de l’axe. Plus de la moitié de la planète, à l’époque, n’avait pas droit au chapitre, étant sous domination, ou en voie d’émancipation. Le droit de veto devait conférer à ses détenteurs une responsabilité morale pour veiller à la paix et à la sécurité dans le monde.
Parallèlement à l’architecture des Nations Unies, s’étaient ouvertes des voie de communication entre les Grands qui allaient de la coexistence pacifique, la détente, à la limitation de la course aux armements de destruction massive.
A la fin de la guerre froide, on avait pensé qu’enfin les Nations unies allaient s’affranchir de l’arme du véto qui avait paralysé son fonctionnement, l’idéologie étant jetée désormais aux orties. C’est ainsi que le chapitre 7 de la Charte des Nations unies fut invoqué pour sévir contre l’Irak après son invasion du Koweït par l’Irak. Bush père avait parlé au lendemain de la guerre du Golfe (1991) qui a délogé l’Irak du Koweït, d’un Nouvel Ordre Mondial. La suite on la connaît.
Au cœur de l’Europe, éclata une guerre civile sans précédent, dans l’ex Yougoslavie. Les Bosniaques se faisaient canarder dans l’indifférence de la communauté internationale. Le représentant du secrétaire général, le chevronné Owen, prônait l’inaction pendant que les scènes de nettoyage ethnique faisaient rage. Le Rwanda fut déchiré par une barbarie sans précédent. La Somalie, tiraillée entre la famine et ses chefs de guerre qui faisaient la “loi”.
L’instance qui devait veiller à la paix et à la sécurité et concrétiser le nouvel ordre mondial brillait par son absence dans les grands tests post-guerre froide. Le secrétaire général de l’ONU, à l’époque Boutros Ghali, qui avait pensée possible une certaine autonomie de l’ONU, devait buter contre la “Pax Americana” et l’“Assertive action” prônée par l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright, faisant peu de cas du multilatéralisme… Le pauvre Kofi Annan l’apprit à ses dépens. La fonction de Secrétaire général de l’ONU n’a jamais autant déprécié que du temps de la “Pax Americana”.
L’histoire est connue, et l’organisation des Nations Unies a failli à ce qui est sa raison d’être : la paix et la sécurité dans le monde. Ne parlons pas de solidarité dans un monde interdépendant. L’instance demeure tributaire du bon vouloir des Grands, du financement des moins grands, et des grandes attentes des petits, qu’on saupoudre à coût de programmes épisodiques et thématiques, le temps d’une saison ou d’une crise.
Des appels à la réforme des Nations unies fusaient de partout. On a appelé à élargir le droit de veto au sein du Conseil de sécurité… Mais est-ce la solution ? On convient que le monde est plus grand que cinq nations. Mais comment décliner cette évidence ? Est-ce par l’élargissement du droit de veto ? N’est-ce pas là un rafistolage ? Les détenteurs du droit de veto se conforment-ils à l’obligation morale qui leur incombe en vertu de ce privilège ? Le droit de veto n’a pas empêché les Etats-Unis de lancer la guerre contre l’Irak en 2003 sans le parapluie des Nations unies, ni la Russie contre l’Ukraine, février dernier, contre les principes de cette même instance.
Le problème n’est pas tant d'élargir le droit de veto, que de le remettre en question. Les problèmes du monde sont plus grands que la seule restructuration du Conseil du Sécurité. On ne pourrait parler de refonte sans parler des autres instances de l’ONU, voire des organisations qui gravitent autour d’elle. De nouveaux problèmes, liés les uns aux autres, ont émergé : la sécurité alimentaire, l’environnement, le réchauffement climatique qui interpellent la communauté internationale et qui appellent à de nouveaux outils. Plus grave encore l’arme nucléaire, qui n’a jamais été aussi menaçante, sans instance de régulation ni canaux de communication, en l’absence des vieux mécanismes de la guerre froide.
Faut-il élargir le droit de veto ou plutôt l’abolir ? Il peut toujours exister, mais sans être l’apanage d’une nation, mais plutôt “à la carte”. Ce n’est pas tant la composition du Conseil de Sécurité qui devrait primer que ses attributions… Il serait même possible d’assortir les questions qui mettent en danger la paix et la sécurité à un mécanisme de pondération des voix.
Ce qu’il faut désormais, c’est un nouveau paradigme pour la paix, la sécurité, et la solidarité… En somme, un Global New Deal. Pour cela il faut un nouveau paradigme, de nouveaux outils, et fatalement de nouveaux acteurs. On ne peut insuffler un regain de vie à cette instance qui se voulait la conscience du monde sans refonte. Il y a urgence.
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