La Suisse serait-elle islamophobe ?
Le 1er janvier dernier, la loi anti-burqa est entrée en vigueur. Il est désormais interdit de se couvrir le visage en Suisse. Meriam Mastour, la cofondatrice des Foulards violets milite contre l’islamophobie en Suisse.
Affiche publiée par le parti d'extrême droite UDC en Suisse lors de la campagne pour la votation anti-burqa / Photo: EPA (EPA)

Le collectif “Les Foulards Violets” est né en 2019 avec le vote de la loi sur la laïcité dans le canton de Genève (l’équivalent d’un département) qui interdit à toute employée de l’administration comme à toute enseignante de porter le voile.

“C’était une interdiction qui tombait de nulle part. Elle a été mal perçue, elle était incluse dans une loi très dense sur la laïcité à Genève et l’interdiction du voile était dans un simple alinéa”.

Était-ce quelque peu caché intentionnellement ? Le texte est finalement accepté à une courte majorité, laissant la communauté musulmane de Genève déconcertée et avec un sentiment amertume.

La militante et avocate Meriam Mastour fait le point sur l’application de cette loi cantonale. La fondation DIAC à Genève traite des cas d'Islamophobie et gère une permanence islamophobie pour répertorier les incidents, les insultes racistes et les propos islamophobes.

Elle a été contactée par des employeurs et des employées qui ignorent les modalités d’application de cette loi : “Il y a eu des cas où on a demandé aux femmes de sortir une mêche de cheveux de leur voile pour que celui-ci ne soit plus considéré comme un voile islamique”. En tant que juriste, elle s’irrite de ce flou juridique qui, finalement, engendre davantage d’interrogations qu’il n’apporte de réponses.

Quelques exemples d'affiches utilisées par le parti UDC lors des votation sur l'interdiction des minarets, sur l'interdiction de la burqa et contre l'immigration

L’application de la loi anti-burqa est également difficile à mettre en œuvre, selon elle. La même loi a été votée dans le canton du Tessin (canton italophone) en 2013. En une décennie, on compte seulement une soixantaine d’amendes, la moitié pour des casseurs, l’autre moitié pour des personnes musulmanes. Meriam Mastour ajoute qu’aucune amende n’a été délivrée depuis 2020, parce qu’il suffit de porter un masque anti-Covid et des lunettes, avec un foulard pour contourner la loi.

La loi nationale anti-burqa entrée en vigueur le 1er janvier 2025 ne concerne qu’une trentaine de femmes en Suisse, les riches touristes du Golfe risquent d'être les plus impactées, ce qui fait craindre aux professionnels du tourisme une baisse de fréquentation.

Enfin, la loi anti-minaret de 2009 n’a pas empêché la construction de nouvelles mosquées. On en dénombre 300 aujourd’hui, dont quatre seulement disposent d’un minaret construit avant l’interdiction de 2009.

À quoi servent ces lois anti-Islam ?

Si ces lois finalement ne concernent que des micro-réalités, si elles ne changent rien ou presque dans les faits, quel est leur objectif ?

Meriam Mastour a sa réponse : si ces lois ne changent rien ou presque sur le terrain, si elles ne répondent pas à un problème majeur sur le terrain, chaque débat libère les paroles racistes, permet de diaboliser les musulmans, souligne-t-elle.

En suisse, il est désormais interdit de se dissimuler le visage dans les espaces publics, selon une loi découlant de l'...

Posted by TRT Français on Wednesday, January 1, 2025

In fine, la communauté musulmane en Suisse souffre de ces débats permanents, insiste l’avocate.

Ces débats islamophobes qui, estime-t-elle, traversent la frontière, se sont développés au cours des 15 dernières années. “Il y a l’influence française. Dans la partie romande de la Suisse, on écoute les médias français, on invite des chroniqueurs ou spécialistes français qui propagent leurs idées. Et avec la multiplication des débats sur l’Islam au parlement, lieu du pouvoir, et à la télé, les personnes qui sont racistes se sentent légitimées”, argumente-t-elle.

Questionner la place des musulmans en Suisse sert à propager l’idée que leur présence ou leurs pratiques religieuses ne sont pas acceptables. Le parti extrémiste UDC (Union démocratique du centre) a fait de la lutte contre l’Islam son cheval de bataille. Il a été condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale et est à l’origine de l’initiative anti-burqa mais c'est aujourd’hui le premier parti de Suisse représenté au gouvernement et au parlement ainsi que dans les parlements régionaux. L’UDC s’est même fait une marque de fabrique de ses affiches provocatrices où les femmes étrangères sont voilées et les hommes étrangers des délinquants.

Stopper l’islamisme radical dit l’UDC !

Dans une étude publiée par la Commission fédérale des étrangers, le politologue Matteo Gianni, professeur au département d’études politiques de l’Université de Genève écrit en 2019 : “La politisation de la “question musulmane” a trouvé un retentissement national en 2004, avec la campagne de votation sur la naturalisation facilitée des étrangers des deuxième et troisième générations. La mobilisation des partis de la droite populiste, et en particulier de l’UDC, a contribué à transformer ce scrutin en une sorte de référendum sur l’admission des musulmans dans la communauté nationale. La campagne de l’UDC valaisanne, avec l’affiche représentant une carte d’identité suisse au nom d’Oussama ben Laden, illustre bien cette tendance“.

Le professeur Gianni est également co-auteur d’un livre intitulé “les musulmans de Suisse”. Dans ses publications, il a maintes fois rappelé que les attaques multiples contre la communauté musulmane ont pour effet de dissuader certains de s’intégrer plus avant, de s’associer à la vie civile ou politique.

Libérer la femme musulmane ou islamophobie genrée ?

Peut-être pour élargir sa base électorale, lorsque le comité Egerkingen (proche de l’UDC) lance l’initiative pour l’interdiction de la burqa (Initiative: un vote populaire local ou national après qu’un texte déposé par une association ou un parti politique a recueilli assez de signatures pour obliger les autorités à organiser un scrutin), en avançant parmi ses arguments la libération des femmes musulmanes. Elles seraient victimes du machisme de leurs familles ou conjoints et interdire la burqa permettrait de protéger ces femmes. Le même argument est d’ailleurs souvent utilisé en France par les autorités, les politiques et certains mouvements féministes pour justifier les appels au boycott du foulard islamique.

Meriam Mastour et son collectif Les Foulards Violets se sont mobilisés contre cette initiative, dénonçant ici une islamophobie genrée : “Les pro-initiative ont mis en avant des arguments pseudo-féministes, du fémonationalisme, l'utilisation du féminisme à des fins racistes. On les a entendu dire : on va sauver ces femmes musulmanes, on va les protéger des hommes qui les obligent à se voiler. En réalité, c’est une attaque contre toutes les personnes musulmanes et contre la liberté des femmes. C’est pour cela qu’en Suisse, on s’est battues contre de projet de loi, toutes les associations féministes se sont ralliées contre ce projet anti-burqa. Le collectif les Foulards violets a fait campagne sur un seul message: "Liberté pour les femmes de se voiler ou pas !”.

La Suisse neutre mais pas imperméable au racisme

Entre deux votations contre les étrangers ou contre les marqueurs de l’Islam, Les Foulards Violets multiplient les interventions pour sensibiliser et expliquer la religion musulmane. En tant que femme, juriste, militante et musulmane, Meriam Mastour veut conclure sur une note positive le travail de sensibilisation.

Le travail d’alerte mené par son collectif porte ses fruits : “Je peux dire qu’en Suisse on a aujourd’hui une plus grande sensibilité à ce qu’est l’islamophobie, l’arabophobie. Par exemple, avant on parlait d’hostilité envers les musulmans ; et maintenant on utilise l’expression plus juste de ‘racisme anti-musulman’. Cette année une étude mandatée par l’Etat évaluera le racisme anti-musulman dans la Confédération helvétique. C’est un pas en avant, aujourd’hui on admet en Suisse qu’il y a un racisme spécifique qui touche les personnes perçues comme musulmanes.”

La communauté musulmane en Suisse compte 450 000 membres et représente un peu plus de 5% de la population. Elle est également extrêmement hétérogène et une majorité de ces personnes est originaire des Balkans et de Turquie.

TRT Francais