« Rions, car cela fait des siècles que nous n’avons pas ri », disait Nasser, du haut du balcon à Alexandrie où il avait annoncé la nationalisation du canal du Suez en juillet 1956. Et je suis tenté de faire mienne la phrase de Nasser, suite à l’exploit de l’équipe marocaine au Mondial du Qatar.
Partout, ceux qui ont fait l’objet d’une configuration, in absentia, et d’un reformatage politique et culturel, sans leur consentement, ont donné libre cours à leur joie devant l’exploit de l’équipe marocaine au Mondial du Qatar. Ce n’est qu’un jeu, pourrait-on dire, et gagner dans un match n’est pas remporter la vraie bataille de développement. Ô que oui, et pourtant, il y a un subconscient collectif qui s’est déchaîné lors de ce mondial, de part et d’autre.
Les sirènes de la haine et des préjugés tout prêts, se sont estompés devant l’impeccabilité de l’organisation du Mondial au Qatar et l’exploit de l’équipe marocaine. Cette dernière ne jouait pas que pour les couleurs de son pays, mais pour un monde. Elle savait qu’elle était portée par les supporters, certes marocains, mais aussi par les proscrits de tous bords. Aurait-elle réussi l’exploit qu’elle a accompli si elle avait joué ailleurs qu’à Doha ? A Doha, elle se sentait chez elle. Et l’équipe marocaine à chaque fois que ses membres, ou son coach, parlaient au public, exprimaient leur dette à qui de droit : le peuple marocain, le monde arabe, le monde musulman, l’Afrique, et pour tout dire, les proscrits. Sans oublier le peuple palestinien, fort présent dans ce mondial. A chaque victoire, les joueurs marocains arboraient le drapeau palestinien, pour rappeler que la Palestine n’est pas que l’affaire des Palestiniens.
J’allais presque dire que le Mondial du Qatar est un Bandung bis, cette rencontre des proscrits en 1955, qui voulait ouvrir une lucarne pour les laissés pour compte. On a vu les bambins à Gaza, les cafetiers à Ifrine, les législateurs à Ankara, les supporters dans les rue d’Alger, à Taez au Yémen, grands, petits, sauter de joie, quand l’arbitre a sifflé la fin de match du Maroc contre le Portugal.
J’avoue que l’exploit de l’équipe marocaine a secoué quelque chose d’enfoui en moi, d’habitude réservé. Je sais que le football est un jeu, que la réalité prendra le dessus, mais pourrai-je ignorer ce sentiment de fierté qui a secoué le monde arabe, ou cet élan de solidarité qui a traversé la planète. Il est réel, ce sentiment, mais il était enseveli, à tel point qu’on avait pensé, et fait penser, qu’il n’existe pas, que ce n’était que des lubies de nostalgiques en mal d’idéal, ou des élucubrations de rêveurs en proie aux chimères.
J’essaye de garder la tête sur les épaules, et refuse de souscrire à des élans fantasmagoriques d’un certain nombre de nos faiseurs d’opinion, qui ont ressorti, pèle mêle, Tarek Ibn Ziad, la Zellaka, la bataille des trois rois. C’est à mon sens, des commentaires de trop. Je me définis, non par rapport à l’Autre, mais par rapport à Moi (J’entends ici le Moi collectif) et ce que je peux receler comme potentiel, par ce sentiment d’appartenance et de conscience de complémentarité.
Je me situe dans ce giron que nous partageons, dans le cadre d’une civilisation et qui nous porte, dont on a été sevré, au nom de valeurs universelles, de pragmatisme, de la modernité clé en mains, et que sais-je encore. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Et nous nous complaisions dans l’enfer, fait d’appartenance étriquée et de Moi éclaté… Nous sommes devenus nos propres geôliers, fiers d’arborer nos propres fers.
Humblement, je m’incline devant ces joueurs marocains qui évoluent en dehors de leur pays, et qui peinent à parler correctement l’arabe, mais tiennent pour autant à le parler à chaque interview. Ceux-là même qui n’ont connu de monde que celui de leurs clubs en Europe, et qui tiennent à des valeurs : le respect dû aux ainés, le baisemain à la maman, la prosternation à la gloire de Dieu….
Dans leurs clubs, ce sont des joueurs talentueux. Chez eux ce sont des héros. Et cela fait la différence. Certains ont pour langue maternelle, l’amazigh, ma langue maternelle, mais savent que la langue arabe, n’est pas la langue d’une ethnie, qu’elle vit, comme elle a vécu avec d’autres langues, d’autres peuples, que cimente un destin commun.
Il faudra bien sûr capitaliser sur cette nouvelle donne. Car, nous sommes édifiés, désormais, que nous sommes capables de remporter les défis, si tout simplement, on sait canaliser nos potentialités. On a davantage besoin d’aiguillon psychologique, que de savoir technique, bref de révolution culturelle. Et les peuples nous ont montré la voie…
O damnés de leur terre, où que vous soyez, l’histoire tourne toujours, et vous avez encore votre mot à dire.
Merci à ces proscrits qui nous ont montré que l’espoir est permis. Merci au Qatar et à son peuple, pour leur générosité de cœur. Merci à tous les supporters, qui nous ont fait sentir que nous ne sommes pas seuls.
Du petit cajibi où je griffonne (où plutôt je pianote) ces lignes, je sens désormais que mon monde est aussi grand que mon appartenance, aussi vaste que mon rêve, fait d’un destin commun.
Merci, à tous celles et ceux qui ont manifesté leur soutien à l’équipe de mon pays. Je suis marocain, mais pas que marocain désormais.
On avait besoin de ce moment d'allégresse. Puisse-t-il se transformer en aiguillon et en source d’inspiration ?
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