En réalité, elle raconte la métamorphose de la vie politique française.
Si les élections présidentielles ont "consacré" la victoire d’Emmanuel Macron, elles ont surtout révélé la profonde fracture de la gauche française. Tandis que la start-up Nation incarnée moins par Emmanuel Macron que par la macronie a fait voler en éclats le clivage politique traditionnel, à gauche, un nouveau centre de gravité a émergé avec la Nupes. La nouvelle union populaire écologique et sociale dessine un clivage profond à l’intérieur même des forces de gauche. Avec des sujets essentiellement sociétaux comme la place de l’islam dans la société française ou plus internationaux comme la politique d’Israël.
Recherche leader désespérément
Parmi les figures en rupture avec la Nupes, Carole Delga. A Bram (Aude), la présidente de la région Occitanie- qui ne cache pas ses velléités de leadership face à la majorité présidentielle mais surtout face à la Nupes…- s’est fixée comme ambition de "repenser la gauche". Devant son auditoire, l’élue se réjouit du nombre de participants. 1700 personnes ont fait le déplacement : "cela veut dire une mobilisation plus importante que la plupart des universités d’été de tous les partis politiques nationaux". Et Carole Delga de pointer, ceux qui ignorent les dynamiques à l’œuvre dans les territoires.
Une façon pour elle de rappeler que le cœur de la vie politique française bat aussi en dehors de la capitale. Une pic, adressée aux caciques de la Gauche. Car la présidente de la région Occitanie a des comptes à régler. Si la déroute du parti socialiste à la dernière élection présidentielle, a terrassé la formation de gauche, elle a aussi ouvert des perspectives à ces figures-dont Carole Delga- prêtes à réinventer le PS. Et pourquoi pas, souffler le leadership, laissé vacant par les errements du PS et de la gauche en général. Preuve des fissures dans le bloc de gauche, Carole Delga s’était ouvertement (et vivement) prononcée, au moment des négociations, contre le rapprochement entre la NUPES et le parti socialiste, accepté par son premier secrétaire, Olivier Faure.
Et alors que les sirènes de la NUPES ont fini par capter l’attention de bon nombre de socialistes, d’écologistes ou de communistes, ressuscitant une union de la gauche, certes claudicante, ce bloc est encore loin de marcher sur ses deux jambes. Sur 131 députés NUPES élus, lors du deuxième tour des élections législatives le 19 juin 2022, 72 appartiennent à la France insoumise…Une domination numérique qui donne à la Nupes une couleur idéologique et un chef en coulisse (et en retrait), Jean-Luc Mélenchon, loin de gagner le cœur de tout le peuple de gauche.
Nupes, cet attelage d’argile ?
Un constat que les universités d’été des quatre formations de la NUPES (LFI, Europe Ecologie les Verts, parti communiste et socialiste) ont bien montré.
Si les écologistes rejettent l’idée d’une liste commune NUPES aux élections européennes de 2024, le débat porte sur le positionnement du parti qui oscille entre radicalité assumée et consensus pour drainer davantage de soutien. Chez les communistes, l’encombrant Fabien Roussel n’en finit plus de s’affronter avec la LFI. Sa sortie sur "la Gauche des allocations" prononcée lors de la traditionnelle Fête de l’Humanité a provoqué la furie des responsables de la Nupes. F.Roussel visait, en creux, la LFI. Dans son programme de campagne, J-L Mélenchon plaidait, par exemple, pour la réduction du temps de travail ou la réintégration des chômeurs radiés trop rapidement.
Côté PS, Olivier Faure, pro-Nupes fraie tant bien que mal avec les anti-Nupes tel que Carole Delga. L’urgence étant, à la fois, de se remettre des 1.72% d’Anne Hidalgo à la présidentielle et surtout, de repenser un projet en phase avec les valeurs du parti, enfant de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), fondé en 1905 par Jean Jaurès et Jules Guesde. Quelles perspectives pour la Nupes et la gauche française à la lumière de ces disparités ? En réalité, les soubresauts que traverse ce bloc ne sont qu’un angle du bouleversement de l’échiquier politique français. Car la dramaturgie de la récente élection présidentielle, caractérisée par une scène politique mouvante, prouve que la "vie politique (française, ndlr) n’en est qu’à ses débuts", expliquent Emeric Bréhier et Sébastien Roy, auteurs d’une note pour la Fondation Jean Jaurès. Initiée dès 2017 par la tornade LREM (Renaissance, depuis) "la profonde rénovation démocratique" et la fin de "l’ancien monde", devenu un quasi-slogan de campagne d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle de 2017, n’a pas eu lieu. Pire, Macron qui détenait les clés d’un possible dépoussiérage du logiciel formolisé des partis a échoué en 2022 à décrocher "une majorité nette et claire" au parlement.
Retour de bâton
Finalement, en voulant siphonner le traditionnel clivage gauche/droite, Emmanuel Macron n'a-t-il pas ouvert le champ des possibles. Notamment à l’extrême-droite, devenue, par son entremise d’ailleurs, son meilleur ennemi. S’il se murmure que l’intéressé s’inquiète déjà de la montée de l’extrême-droite, victorieuse en Suède et en Italie, l’enjeu pour lui sera d’endiguer l’ascension de Marine Le Pen. Dans sa course à l’Elysée, le score de la candidate, s’il faut le rappeler, est passé de 17% en 2012 à 42% en 2022.
Emmanuel Macron ne l’ignore pas. Une victoire du Rassemblement national en 2027 lui serait, forcément, imputable. Il entrerait, alors (à nouveau), dans l’Histoire. Mais par la mauvaise porte. Dans un contexte d’incertitudes internationales, d’inflation, de crise migratoire auxquels s’ajoutent les obsessions françaises -islam et laïcité-, les idées du RN sont sur des rails, lancées à pleine vitesse. De son côté, la droite traditionnelle peine à s’extirper de la torpeur dans laquelle elle est plongée. Les 4.8% de Valérie Pécresse (Les Républicains) à la présidentielle ont ouvert la voie à une guerre de leadership. Résultats ? Une vie politique française tripartite prise en tenaille entre le centre macronien, l’extrême-droite et l’extrême gauche.
Avec le recul, les tribulations de ces acteurs politiques sont moins une cause qu’une conséquence. A commencer par l’enracinement désormais structurel de l’abstention. "Si elle fut un peu moins forte qu’en 2017, elle dépasse allègrement les 50%", selon la Fondation Jean Jaurès. Cette réalité porte certes un sérieux coup à la légitimité des élus- moins de 40% des inscrits ont voté pour E.Macron au second tour de la présidentielle-, mais elle peut aussi, comme le soulignent E.Brehier et S.Roy, pousser les responsables politiques à améliorer les modalités du vote.
Crise systémique
"Lutter contre la mal-inscription électorale" ou promouvoir "le vote par anticipation, le vote électronique, le vote par correspondance". Egalement plébiscité, le vote de valeur ou encore le jugement majoritaire, inventé par deux chercheurs, Rida Laraki et Michel Balinski, sont autant de pistes capables d’assainir la démocratie représentative française.
Selon Chloé Ridel, haut fonctionnaire et présidente de l’association Mieux voter, "le scrutin des élections présidentielles est un scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui mesure mal l’opinion".
Avec l’impossibilité d’exprimer une adhésion ou au contraire un rejet, le scrutin actuel abaisse la démocratie et donc le vote. L’électeur choisit le candidat par défaut. Une réalité qui accentue, à la fois, défiance et crise de la représentativité.
Dans une tribune publiée par La Croix, C.Ridel souligne que "la tripartition de la vie politique" aggrave la situation. "Quand deux partis concentraient 60 % à 80 % des voix sur un axe gauche-droite bien identifié, les électeurs des partis -satellites- pouvaient plus facilement se reporter et se sentir représentés par un des deux finalistes. Depuis que nous sommes entrés dans une tripolarisation de la vie politique, le mode de scrutin favorise structurellement la force se trouvant au centre".
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