Les interrogations se sont accentuées le 25 juin 2022 quand les dirigeants ont accepté sans grandes difficultés, le Togo et le Gabon comme membres à part entière lors du sommet de l’organisation tenu à Kigali (Rwanda), soit 27 ans après le Cameroun qui a adhéré au Commonwealth le 13 novembre 1995.
Mais, que vont chercher des pays historiquement francophones, dans une organisation de pays anglophones ?
Pour les premiers concernés, les réponses sont assez claires. « L’adhésion du Togo est motivée par le désir d’étendre son réseau diplomatique, politique et économique. (…) Et de se rapprocher du monde anglophone », a indiqué sans détour, Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères, de l'Intégration africaine et des Togolais de l’extérieur.
Le président gabonais Ali Bongo a aussi clairement indiqué dans un tweet que cette adhésion permettra à son pays d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire et de nouvelles opportunités sur les plans économique, diplomatique et culturel.
Suivre l’élan de développement des pays anglophones du continent
Interrogé par l'Agence Anadolu, le politologue gabonais Tariq Abdallah explique dans un premier temps, que l’envie des pays francophones de se tourner vers le monde anglophone, relève d’une tentative de ces pays « de vouloir s’aligner sur l’élan de développement » des nations anglophones du continent.
« Le Rwanda, dont le pays a décollé dans son élan de développement depuis son adhésion au Commonwealth, est encore frais à citer comme exemple de motivation » d’après lui.
« Il est aisé de constater que la plupart des pays anglo-saxons sur le continent africain a atteint un niveau de développement que les pays de la francophonie peinent encore à atteindre. Le progrès ou mieux, le miracle économique réalisé par le Rwanda après son adhésion au Commonwealth, est l’exemple le plus parlant et constitue un cas d’école suscitant admiration un peu partout en Afrique » croit aussi Joseph Koba, un autre politologue, cette fois-ci togolais, consulté par l'Agence Anadolu.
Sortir de la zone d’influence de la France
Sur le plan politique, affirme Tariq Abdallah, « l'adhésion de plus en plus des pays de l'Afrique francophone au Commonwealth, leur permet de sortir de la zone d'influence de la France ».
« Il faut remarquer que depuis les indépendances, les nations qui ont connu le tutorat anglophone, se détachent très nettement et connaissent plus d'essor en matière de développement que celles francophones. Donc, les pays francophones, voyant comment la politique des pays anglophones évolue, se disent qu’ils peuvent aussi améliorer leur système politique, voire même démocratique », explique-t-il.
C’est tout autant, et surtout poursuit-il, une décision à vitalité économique et culturelle réaffirme le politologue gabonais.
« C'est quasiment plus de 2,5 milliards de contacts, de rapports qui s’offrent ainsi aux pays francophones qui se tournent vers le Commonwealth, qui offre donc plus de débouchés sur le plan économique que la francophonie. Même chose sur le plan culturel. Le Commonwealth leur offre plus de diversités et de pluralités culturelles que dans le seul cadre de la francophonie » martèle Tariq Abdallah.
Un amour qui va déranger la France
Le politologue gabonais affirme avec certitude que « ce soudain amour des pays de l’Afrique francophone pour le Commonwealth va véritablement déranger la France ».
Parce que, détaille-t-il dans sa logique, cette situation est synonyme de la perte de « l’hégémonie » de la France sur ses 14 anciennes colonies.
« L’entrée du Togo et du Gabon au Commonwealth démontre que les pays entièrement francophones ont aussi leur place dans cette organisation anglophone. Cela va donc certainement créer de petites frictions du côté de la France » dit-il.
Et ce n’est pas tout. Il pense au-delà, que cette nouvelle orientation va entacher les relations entre la France et le Royaume Uni.
« Il y aura aussi ce rapport de force avec la grande Bretagne, qui, signalons-le, ne fait plus partie de l'Union Européenne ; et qui va désormais s'arroger un certain nombre de privilèges en signant des accords de partenariat économique avec les anciennes colonies françaises d'Afrique. C’est-à-dire grignoter partout. Et dans le cas présent, là où la France a des intérêts ».
Il ne s’agit pas de rompre tout lien avec la France
Partageant quelque part la position de son confrère gabonais, le politologue togolais Joseph Koba, y va avec prudence.
Il pense qu’il vaudrait mieux se concentrer sur l’enjeu économique, plutôt que politique.
« Bien que la France soit perçue comme dominatrice dans ses rapports avec ses anciennes colonies, je pense que l’enjeu pour ces pays francophones ayant adhéré au Commonwealth, est beaucoup plus orienté vers le désir de rechercher plus d'opportunités pouvant favoriser leur développement et l’épanouissement de leurs peuples respectifs. Certes, on peut aussi y voir une volonté d’affranchissement vis-à-vis de la politique assez condescendante de la France mais cela ne peut être de nature à rompre tout lien avec la France.», assure-t-il.
D’ailleurs, poursuit-il, si l’adhésion d’un pays francophone au Commonwealth est synonyme de son éloignement de la France, alors le Rwanda par exemple aurait déjà coupé le pont avec la France.
« Or, le constat est que l’actuelle secrétaire générale de l’OIF se trouve être de nationalité Rwandaise. Et pourtant le Rwanda a adopté depuis 2008 l’anglais comme langue officielle » rappelle le politologue togolais.
Le développement est avant tout une question de vision
Pour lui, les pays de l’Afrique francophone doivent faire attention au « juste suivisme » dans cette tendance.
« Il est vrai que le modèle de développement économique observé dans ces États-membres du Commonwealth séduit. Mais il est à retenir que les questions de développement des États sont d’abord une question de vision et de volonté politique » rappelle le Togolais.
Joseph Koba affirme que ce n’est pas parce que les pays francophones vont au Commonwealth, qu’ils connaîtront forcément le développement qu’on semble envier aux pays anglophones. « C’est une question de vision et de volonté politique » qu’il leur faudra avoir.
« Peu importe les opportunités que le Commonwealth pourrait présenter à ses nouveaux adhérents, il leur sera difficile, voire impossible de se hisser à un niveau de développement qu’ils n’ont autrefois pas atteint avec la francophonie », croit-il.
Un partenaire de plus
De toutes les façons, martèle Tariq Abdallah, les pays de l’Afrique francophone qui se tournent vers le Commonwealth, ou qui vont « certainement suivre l’exemple du Togo et du Gabon » n’ont jamais à l’esprit de quitter les anciens partenaires. La francophonie notamment.
Ils se donnent l’opportunité d’ajouter une nouvelle corde de partenaires à leur arc. Et nul ne doit les empêcher, ni même leur mettre le bâton dans les roues du fait de cette décision, « ni même la France, car elle sortirait perdante ».
« La France gagnerait à laisser un libre court à ces nouveaux partenariats de ses anciennes colonies, qui vont de plus en plus se tourner vers la partie anglophone du monde pour leur développement. Pour le simple fait qu'un partenariat doit être multilatéral. Lorsqu'un partenariat reste bilatéral comme on l'a constaté depuis de nombreuses années entre la France et ses anciennes colonies, il survient à la longue, un rapport de domination, d’intérêts. Et on sait tous que la France n'a pas d'amis. Seulement des intérêts », conclut-il.
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