Fin de soirée amère pour certains préfets d’Ile-de-France. Les résultats obtenus par Jean-Luc Mélenchon dans les banlieues populaires de la région parisienne auraient provoqué le mécontentement d’Emmanuel Macron. Par le biais de son ministre, Gérald Darmanin, il aurait reproché à ses représentants leur manque d’anticipation.
Autrement dit, aucun d’eux n’aurait été capable de "repérer sur les réseaux sociaux les appels à voter pour Jean-Luc Mélenchon". Une sinécure quand on sait que la semaine précédant le premier tour, des appels d’imams ont circulé dans les groupes WhatsApp. Avec un message clair : "Voter pour le moins pire des candidats à l’élection présidentielle : Jean-Luc Mélenchon". Le "moins pire" étant celui épargnant le plus les Français de confession musulmane. Un paramètre fédérateur auprès des populations musulmanes françaises, tant les polémiques les concernant se succèdent à cadence régulière.
Peut-être faut-il voir le dîner de soutien organisé à la Grande mosquée de Paris, mercredi soir comme une session de rattrapage. Pointé sur les réseaux sociaux comme un mélange des genres, entre islam et politique, plusieurs personnalités s’y sont, pourtant, pressées à ce dîner. A commencer par Jean Castex, premier ministre, Jean-Pierre Elkabbach et Karim Zéribi, tous deux éditorialistes politiques. Avec une idée en tête, "parler à ces musulmans" pour qu’ils refusent l’abstention, voire le vote Le Pen.
Au-delà du sacre de la France Insoumise —et de Jean-Luc Mélenchon— le premier tour de l’élection sonne bien comme un tournant. Dans un sondage Ifop pour La Croix, paru le 11 avril, l’on apprend que 69% des Français de confession musulmane interrogés ont voté pour Jean-Luc Mélenchon.
Un score important qui rappelle celui de Ségolène Royal, alors candidate socialiste à la présidentielle de 2007, mais aussi celui de François Hollande en 2012. En Seine-Saint-Denis, ils avaient respectivement raflé 60% et 80% des suffrages exprimés au premier tour.
Des électeurs sans valeur
Parler, alors, de surprise relève au mieux d’amnésie. Au pire, d’impréparation. Certes, la science électorale confirme un désintérêt du vote chez les jeunes — 87% des 18-24 ans se sont abstenus au 1er tour des élections régionales— mais aussi dans les classes populaires — 67,3% d’abstention en Seine-Saint-Denis lors de la présidentielle de 2017. Un constat dont les responsables politiques ont conscience mais qui peut les tromper, aussi.
Deux erreurs stratégiques émergent alors et semblent avoir dérouté le candidat Macron. La première tient en un axiome : les quartiers populaires et les populations musulmanes qui les composent ne votent pas. Ils ne sont donc pas dignes d’intérêt. Pire, il devient possible de les instrumentaliser, voire de les assigner à des fonctions électoralement payantes.
Si Emmanuel Macron avait convaincu une frange des Français musulmans de voter pour lui en 2017, c’est parce qu’il avait su proposer une approche plus libérale sur le plan des valeurs. Aucune polémique autour du voile ou de la laïcité n’a, par exemple, entaché la première partie de son mandat. La suite est connue : des ministres qui débordent sur la droite, des attaques terroristes dont l’exécution de l’enseignant Samuel Paty et une loi contre le séparatisme jugée islamophobe et attentatoire aux libertés publiques.
Pragmatisme anglo-saxon vs vieille France
La seconde erreur résulte de la première. Une déception inversement proportionnelle à l’espoir qu’Emmanuel Macron avait suscité chez certains. Et qui explique, aujourd’hui, la détestation dont il fait l’objet. Emmanuel Macron incarne, finalement, toute la contradiction de l’Etat français. A force d’avancer des idées libérales —refus de l’assimilation, laïcité ouverte, indifférence au voile — il finit par pointer, en creux, son incapacité à tenir ses engagements face à cette matrice républicaine, mal à l’aise avec les enjeux que posent de nouvelles générations de Français.
Une déception capable de transformer les abstentionnistes, lassés de la stigmatisation électoraliste des musulmans, en votants et en mélenchonistes convaincus. Sur ce point précis, la Macronie s’est révélée défaillante. Défaillante à saisir l’ampleur du rejet dont elle fait, désormais, l’objet. Si les résultats de Jean-Luc Mélenchon en banlieue s’inscrivent dans le sillage de ceux de Français Hollande en 2012 ou de Ségolène Royal en 2007, ils marquent néanmoins un tournant.
PS et quartiers, clap de fin
D’abord parce qu’en 2012, le Parti socialiste était encore identifié comme un parti gouvernemental, seul capable de battre la droite de Nicolas Sarkozy. Jusqu’en 2008, Jean-Luc Mélenchon en est un cadre de premier plan avant de prendre l’inclination traditionnelle du vote ouvrier, qui plaide pour le parti socialiste. Sans parler de la nécessité du vote utile dont les habitants des quartiers se font l’écho.
Deux ans auparavant, la candidat Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’était illustré par des mots — « nettoyer au karcher » — jugés insultants envers les jeunes des quartiers. Des propos annonciateurs d’un tournant sécuritaire mais aussi identitaire à venir. Une fois élu, Nicolas Sarkozy créera le très décrié ministère de l’Immigration et de l’identité nationale. Un intitulé brutal, presque nauséabond, véritable défouloir de la parole raciste.
Ensuite, parce que les quartiers populaires, cimentés par le vote ouvrier, se positionnent traditionnellement à gauche. Pour le Parti socialiste, particulièrement. Identifié comme une boussole de la vie politique française, le lien des Français de l’immigration avec ce parti s’est délité progressivement, à partir des années 2000. Ainsi, le score d’Anne Hidalgo au premier tour sonne comme l’acte de décès du Parti socialiste dans les quartiers populaires.
Le plébiscite de Jean-Luc Mélenchon du 10 avril marque l’affranchissement des Français issus de l’immigration du giron socialiste. Une émancipation silencieuse ponctuée d’incompréhensions (l’affaire Pascal Boniface en 2003) ou de crises plus franches (rapport à la laïcité, proposition sur la déchéance de nationalité…).
Le vote "musulman", un fantasme
Depuis la confirmation de Jean-Luc Mélenchon, observateurs et opposants (de gauche inclus) persiflent, ciblant le "vote communautaire" du candidat. Communautaire, voire islamo-gauchiste.
Face à tant de réactions, une question surgit : le ralliement de cette frange de la population à Jean-Luc Mélenchon confirme-t-il l’existence d’un vote dit "musulman" ? Dans un pays laïque comme la France, le vocable suscite des atermoiements. D’autant que parler d’un vote "musulman" parait schématique. Comme le souligne Vincent Tiberj, professeur à l’IEP de Bordeaux, "les musulmans n’ont pas des logiques de vote religieuses".
D’autant que la volatilité du vote devient une constante de l’élection présidentielle. La victoire d’Emmanuel Macron en 2017 en est un cas concret. Son élection résulte de l’érosion des partis. Couplée à l’obsolescence du clivage droite/gauche, elle annonçait la refonte de la vie politique française.
Même enclins à passer d’un camp à l’autre, serait-il juste d’imaginer les Français de confession musulmane voter "comme un seul homme" ? Une telle affirmation évacue la complexité des populations musulmanes, tout en maintenant une approche caricaturale de la réalité. Si les luttes peinent à converger à l’intérieur même des marges, c’est que les intérêts divergent aussi.
De qui parle-t-on lorsque l’on convoque l’imaginaire des quartiers populaires ? Tous les Français musulmans vivent-ils dans ces zones ? Comment votent ceux qui n’y vivent plus et qui ont pratiqué une "ascension sociale" ? Ces électeurs, si souvent captifs de la Gauche, placent-ils les questions socio-économiques devant le fléau de l’islamophobie ? Après tout, la classe sociale peut, à certains égards, prémunir des affres du racisme. Au moins jusqu’à un certain point… Car il est évident que la stigmatisation constante et assumée des musulmans depuis l’élection de Nicolas Sarkozy — que Macron a échoué à endiguer— a constitué un point de ralliement de l’électorat dit "musulman".
C’est ce que confirment les travaux de V. Tiberj, qui affirme que "la religion n’a jamais été le ressort du musulman, au contraire des catholiques pratiquants". D’ailleurs, en 2012, 80% des catholiques avaient choisi Nicolas Sarkozy, contre 93% des musulmans en faveur de François Hollande. Selon lui, "le sur-vote à gauche est corrélé au fait que le groupe soit discriminé". Sous la présidence Macron, le harcèlement administratif subi par les musulmans du fait de la loi séparatisme a créé une telle ligne de fracture entre ces citoyens et Macron qu’il explique en grande partie la répulsion qu’il suscite.
Si ce premier tour dessine les contours d’un vote "confessionnel" flou, il n’en exprime néanmoins qu’un aspect. Au lendemain du premier tour, des voix à gauche et à droite ont bien tenté d’assimiler le vote La France Insoumise à un vote "islamiste". Une façon d’en amoindrir sa portée, de l’essentialiser. De le disqualifier, aussi. Reste que, là encore, l’expression masque mal le mépris accolé à ces votants qui votent peu. Qui ne valent donc rien.
Pourtant, à qui sait bien lire entre les lignes, elle dissimule un autre sentiment. Une forme de frayeur que certains ont touché du doigt, à commencer par Emmanuel Macron peut-être. Les quartiers et les Français issus de l’immigration, quand ils votent, pourraient être les nouveaux faiseurs de rois. L’idée est assez nouvelle pour ne pas paraître audacieuse. Alors, gardons en tête que l’Ile-de-France a fourni, à elle seule, plus de 1.300.000 voix, installant Jean-Luc Mélenchon en arbitre du second tour. Reste à voir comment va se passer "le troisième tour", annoncé par le nouvel homme fort de la Gauche.
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