"Clairement, les élèves du 93 n'ont pas accès aux mêmes droits que les autres”. Cela fait deux mois que Charlotte Pavez, enseignante de CE1 dans une école élémentaire de Romainville, se mobilise pour les élèves des établissements scolaires de son département, à travers des grèves, des marches et autres actions. En ce lundi de rentrée des classes à la suite des vacances de printemps, l’enseignante a rejoint environ un millier de ses collègues, venus comme elle battre le pavé parisien "pour exiger un plan d’urgence pour l’école publique, contre le choc des savoirs" dont les mesures, annoncées par Gabriel Attal, lorsqu’il était ministre de l’Education, ont été détaillées dans le Journal Officiel paru dimanche 17 mars.
La création de "groupes" en mathématiques et français, pour les élèves en classe de 6e et 5e à la rentrée 2024, et de 4e et 3e un an plus tard, en est la mesure la plus critiquée. Une partie des enseignants redoutent un "tri" des élèves et s’interrogent par ailleurs sur les moyens disponibles pour leur mise en œuvre, en raison du manque de professeurs.
"Je suis venue manifester aujourd'hui parce que l'école qu'on nous propose, ce n'est pas celle que je défends”, explique Charlotte Pavez. Entre la réforme du choc des savoirs et les discriminations territoriales qu'on vit dans le 93, ce qu'on a, c'est une école du tri, une école du tri social, une école du tri raciste et une école du tri validiste, puisque le 93 est un département qui cumule les besoins et c'est celui auquel on donne le moins, parce qu'effectivement on est un département pauvre et un département avec beaucoup d'immigration".
La professeur dénonce des mesures "inspirées par l'extrême droite". "Mes élèves n'ont pas les mêmes chances que les autres et je vois que toutes les réformes qu'on accumule ne vont leur laisser aucune chance de réussir", déplore-t-elle.
Manque de moyens et absence des professeurs
Parmi les manifestants se trouve Emilie, une lycéenne de terminale du lycée Blaise Cendrars à Sevran. Des enseignants et des élèves de ce lycée de Seine-Saint-Denis avaient dénoncé avec ironie l'état de délabrement de leur établissement et le manque de personnel dans une vidéo publiée sur TikTok il y a plus d’un mois, devenue virale, avec plus de deux millions de vues. "Je manifeste aujourd’hui pour dénoncer le manque de moyens dans le 93, notamment avec des lycées où il manque des chaises, des tables, où il ya des fuites d’eau, où il n'y a pas de rideaux, il y a des projecteurs qui ne marchent pas, sans compter les professeurs qui sont pas remplacés. " A cause d’un professeur de SVT absent et non remplacé de septembre à avril de l’année dernière, la jeune fille a dû se réorienter cette année : "Pendant peut-être 6 mois, je n’ai pas eu cours alors que c'était ma spécialité et, du coup, à cause de ce manque de professeurs, j'ai dû changer de spécialité parce que ce n'était pas possible de la garder en terminal”, précise la lycéenne, venue à la manifestation avec une petite délégation de son lycée, composée d’élèves et de professeurs. "En fait, les élèves perdent un an à un an et demi de scolarité entre la petite section et la terminale à cause des non-remplacements de professeurs absents, explique Emilie Benoit, professeure-documentaliste dans un collège de Pierrefitte sur Seine et syndiquée chez Sud éducation. " Les syndicats Sud éducation, FSU, CGT Éduc’action et CNT éducation ont mené une grande enquête auprès des établissements de Seine-Saint-Denis au mois de novembre pour connaître, de manière précise, nos conditions de travail, pour vraiment pointer tous les manques et chiffrer le budget nécessaire pour le 93, explique Charlotte Pavez.
358 millions d'euros sont nécessaires pour chaque année sachant que les uniformes vont coûter 2 milliards d'euros par année et le service national universel, c'est aussi plus de 2 milliards. Donc on a, tout de même plus de 4 milliards pour embrigader les enfants et vendre un programme qui est franchement digne de l'extrême droite, alors qu'on pourrait répondre aux besoins réels des écoles et des élèves", considère l’enseignante, syndiquée chez SNUIPP FSU.
"En fait, tous les ans, en Seine-Saint-Denis, il y a des grèves, de chaque établissement, de chaque école pour demander les moyens qui manquent, parce que, à toutes les rentrées, il manque des professeurs, des personnels et les bâtiments sont toujours en mauvais état, explique Emilie Benoit, qui poursuit : de ce fait, on s'est accordés pour mutualiser tout le monde et remonter les doléances de tout le département dès novembre " au lieu de demander, chacun dans notre coin, une audience au rectorat .
L’intersyndicale sud CGT-CNT-FSU s'est, de ce fait, réunie et a mis en place cette mobilisation pendant plusieurs mois pour aboutir à la grève du 26 février, jour de la rentrée des vacances de février. Au 22 avril elle concerne 30% de grévistes dans le 1er degré et 30% dans le 2nd degré, selon des chiffres communiqués par les syndicats. Face à une mobilisation qui dure dans le temps, Matignon d’abord, puis le ministère de l’Education nationale ont invité l’intersyndicale à une audience les 10 et 15 avril. En attendant de potentielles mesures et des propositions concrètes qui devraient être annoncées vers la mi-mai selon les syndicats participant à la rencontre avec Nicole Belloubet, ceux-ci appellent, d’ores et déjà, à la poursuite de la mobilisation avec d’autres journées de grèves et des opérations écoles, collèges, lycées déserts, dans lesquelles les parents sont invités à ne pas envoyer leurs enfants en classe.