Rwanda: Macron reconnait que la France n'a "pas eu la volonté d'arrêter le génocide"
À l'occasion du 30e anniversaire du génocide rwandais, le président français a reconnu que Paris "aurait pu arrêter" les massacres mais "n'en a pas eu la volonté". Mais 30 ans plus tard, les procès des responsables réfugiés en France perdurent.
Rwanda: Macron reconnait que la France n'a "pas eu la volonté d'arrêter le génocide" (Others)

Le président français, invité par son homologue rwandais Paul Kagame aux commémorations de dimanche, ne s'y rendra pas et sera représenté par son ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et le secrétaire d'Etat chargé de la Mer Hervé Berville, né au Rwanda.

L'Elysée a fait savoir dès jeudi que le président français s'exprimera dimanche "par une vidéo qui sera publiée sur ses réseaux sociaux", et dont la teneur a été en partie dévoilée.

"Le chef de l'État rappellera notamment que, quand la phase d'extermination totale contre les Tutsi a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d'agir, (...) et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n'en a pas eu la volonté", a rapporté la présidence à l'AFP.

En mai 2021, le voyage à Kigali du président français, et ses mots sur place, avaient scellé un rapprochement avec Paul Kagame, qui n'avait eu de cesse de mettre en cause la France.

Cette question du rôle français avant, pendant, et après le génocide a constitué, pendant des années, un sujet brûlant dans les relations franco-rwandaises, conduisant même à une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays entre 2006 et 2009.

Des procès qui traînent

Trente ans plus tard, les procès contre les responsables du génocide rwandais accueillis en France perdurent toujours alors que des associations dénoncent "l'impunité" de militaires et politiques français.

Plusieurs associations des droits humains ont dénoncé les "obstacles" persistants dressés par les autorités françaises dans les procédures judiciaires visant les responsabilités présumées de militaires et d'anciens responsables français à l'époque du génocide des Tutsi au Rwanda, fustigeant un "tabou".

La Fédération internationale pour les droits de l'Homme (FIDH), la Ligue des droits de l'Homme (LDH), l'association Survie et l'Observatoire des droits de l'Homme au Rwanda (ODHR) étaient représentés à cette conférence à Paris.

"Ce que l'on demande, c'est qu'il n'y ait plus les obstacles qu'on rencontre encore de la part des autorités françaises, à ce que les procédures aboutissent, qu'il y ait une vraie volonté de lutter contre l'impunité", a déclaré lors de la conférence Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH et président de la LDH.

"Les affaires les plus emblématiques dans lesquelles on continue à avoir des obstacles sont celles qui visent les militaires ou les politiques français", a-t-il affirmé, dénonçant le "refus de communication de documents".

"La commission Duclert a obtenu toute une série de documents qui sont considérés comme ne pouvant pas être communiqués à la justice, c'est quand même absolument aberrant… On donne plus aux historiens qu'on ne donne aux juges qui sont chargés de la lutte contre l'impunité, de faire justice pour les victimes, pour la vérité", s’est-il indigné.

Une commission de chercheurs et historiens mandatés par le président Emmanuel Macron et présidée par l'historien Vincent Duclert a rendu en 2021 un rapport historique qui passe au crible la politique française au Rwanda dans les années 1990.

Ce rapport a conclu aux "responsabilités lourdes et accablantes" de la France dans le génocide des Tutsi, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir, qui a fait plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994.

Depuis 2005, six rescapés de la région rwandaise de Bisesero, Survie, la FIDH et d'autres parties civiles accusent la force française Turquoise d'avoir sciemment abandonné aux génocidaires des centaines de Tutsi à Bisesero du 27 au 30 juin 1994, qui les avaient pourtant suppliés de les sauver des tueurs.

Le rapport Duclert a qualifié ces événements de "drame humain" et d"échec profond" pour la France.

"Les juges ont eu un peu trop tendance à épouser la thèse des militaires qui consiste à dire qu'ils étaient dans une confusion pendant trois jours à Bisesero: c'est parfaitement faux; ils étaient au contraire dans la clarté de leur mission et des informations qui étaient portées à leur connaissance", a affirmé jeudi Eric Plouvier, avocat de Survie.

"On demande qu'on poursuive les investigations sur la nécessaire chaîne militaire et politique qui n'a fait l'objet d'aucune investigation; dire comme les juges aujourd'hui que tout se cantonne au commandement militaire de l'opération Turquoise qui va d'un officier supérieur à un autre sans aller jusqu'à Paris, c'est pas acceptable", a-t-il souligné.

"Ce que l'on souhaite, c'est qu'on considère que ce qui a été réuni au cours de cette instruction constitue des charges justifiant un renvoi devant une cour d'assises", a poursuivi l'avocat.

Les procès en France

Le premier procès a eu lieu en France vingt ans après le génocide des Tutsi. En mars 2014, l'ex-officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa est condamné à vingt-cinq ans de prison. Une peine confirmée en appel en 2016.

En juillet 2016, Octavien Ngenzi et Tito Barahira, deux anciens bourgmestres du village de Kabarondo (est du Rwanda) sont condamnés à la perpétuité pour crimes contre l'humanité et génocide. Une peine qui a été là aussi confirmée en appel, en 2018.

Tandis que le procès Simbikangwa interrogeait les cercles du pouvoir, au plus près de la matrice génocidaire, celui des bourgmestres a donné à voir un crime de proximité, un génocide entre voisins, sur les collines où les habitants participaient autrefois ensemble aux travaux communautaires.

Quatre autres hommes ont été par ailleurs jugés en première instance.

Fin 2021, c'est un citoyen "ordinaire", Claude Muhayimana, ancien chauffeur d'hôtel franco-rwandais accusé d'avoir transporté des miliciens, qui est condamné à quatorze ans de réclusion.

Puis en juillet 2022, un ex-préfet, Laurent Bucyibaruta, est condamné à vingt ans de prison. Il est mort en décembre 2023.

En juillet 2023, un ancien gendarme rwandais naturalisé français, Philippe Hategekimana, se voit infliger la réclusion criminelle à perpétuité. Et en décembre 2023, c'est au tour de l'ancien médecin Sosthène Munyemana d'écoper de 24 ans de prison.

Tous ont fait appel.

Attentat contre Habyarimana: un cul-de-sac judiciaire

Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais, le Hutu Juvénal Habyarimana, est abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile. Les massacres débutent quelques heures plus tard.

L'enquête sur cet attentat a été longue et difficile et son enjeu - désigner des responsabilités dans le déclenchement du génocide - déterminant pour le nouveau pouvoir rwandais.

Deux principales thèses se sont opposées au cours des investigations, marquées par une rupture diplomatique de trois ans entre Paris et Kigali: celle d'un attentat commis par les soldats de l'ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, devenu président en 2000, et celle d'un acte perpétré par la garde présidentielle hutu.

Le 15 février 2022, la Cour de cassation a définitivement validé le non-lieu prononcé en 2018 dans ce dossier qui a empoisonné les relations franco-rwandaises pendant plus de vingt ans.

Les enquêtes toujours en cours

Selon le parquet national antiterroriste (Pnat), 12 enquêtes préliminaires et 26 informations judiciaires visant des personnes soupçonnées d'avoir organisé ou d'avoir été complices du génocide sont actuellement en cours au pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris, autorisé à poursuivre des personnes soupçonnées de ces crimes en vertu d'une compétence universelle.

L'information judiciaire ouverte pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité visant Agathe Habyarimana, veuve du président hutu mort en 1994, âgée de 81 ans et vivant en France, est toujours en cours. A l'approche de la commémoration des 30 ans du génocide, le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard a assuré que la justice française avait "toujours en ligne de mire" ce dossier, vieux de près de 17 ans.

Une personne morale fait aussi l'objet d'investigations pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité: la banque BNP Paribas, accusée par plusieurs ONG d'avoir financé en 1994 un achat d'armes au profit de la milice hutu. Personne n'a été placé sous le statut de témoin assisté ou mise en examen à ce jour, selon une source proche du dossier.

Enfin, l'enquête sur de possibles responsabilités de l'armée française, accusée par des survivants d'avoir abandonné des centaines de Tutsi qui ont été massacrés sur les collines de Bisesero, fin juin 1994, a fait l'objet d'un non-lieu. Les parties civiles ont fait appel de l'abandon des poursuites.

TRT Français et agences