A l’initiative transpartisane d’une trentaine de parlementaires (Nupes, Modem, Renaissance et LIOT), un appel dans le quotidien "Libération" a été lancé lundi afin d’obtenir la régularisation des travailleurs sans papiers. Ils veulent peser dans les débats et protéger le projet de loi sur l’immigration de l’influence des Républicains. Ces derniers considèrent que la régularisation des sans-papiers en France constitue une "ligne rouge" à ne pas franchir. De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin souhaite lui donner une forte tonalité droitière afin d’obtenir les suffrages des Républicains. Comment le gouvernement va-t-il réussir à concilier ce qui semble inconciliable ?
Un appel de parlementaires à sortir de l’hypocrisie collective
L’appel, qui se veut humaniste et concret, consiste à expliquer que les travailleurs immigrés en situation irrégulière occupent des postes dans des secteurs en tension que personne, même en situation régulière, ne veut en France.
"Tout d’abord, nous assumons la nécessité d’une régularisation de travailleuses et de travailleurs sans papiers, dans tous ces métiers qui connaissent une forte proportion de personnes placées en situation irrégulière. Ce sont bien souvent ceux que l’on retrouve en première ligne dans les secteurs en tension comme le BTP, l’hôtellerie-restauration, la propreté, la manutention, l’aide à la personne. Des milliers de personnes sont maintenues dans la précarité, a fortiori les vrais-faux indépendants comme auto-entrepreneurs, dans les métiers les plus pénibles comme les plus utiles socialement."
Pour les signataires de cet appel, ces travailleurs en situation irrégulière apportent une réelle contribution à la France, tant sur le plan économique que social. Les parlementaires mettent en exergue ce qu’ils appellent l’hypocrisie collective sur le sort des travailleurs sans-papiers.
"Si ces immigrés travaillent tout de même, c’est pour survivre et parce que les employeurs ont besoin de salariés. Les pouvoirs publics ferment les yeux ou ignorent leur situation en raison du caractère indispensable de ces travailleurs pour notre économie et pour répondre aux besoins sociaux. Leur précarisation est le résultat d’une hypocrisie collective : ne pas les autoriser légalement à travailler mais continuer à solliciter leurs concours. Sans papiers, sans reconnaissance, ils éprouvent les plus grandes difficultés pour se nourrir, se loger, se soigner et accéder à une vie sociale normale."
Presque toutes les associations syndicales et patronales souhaitent leur régularisation afin qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions, disent-ils. Les signataires de l’appel rappellent les difficultés administratives, en particulier à la Préfecture, pour obtenir un titre de séjour.
Un caillou dans la chaussure de Darmanin
Alors que Darmanin a indiqué qu’il attend la fin des élections sénatoriales pour reprendre les discussions, notamment avec le groupe centriste et le groupe Les Républicains au Sénat concernant la loi sur l’immigration, l’appel des parlementaires pourrait entraver la préparation de la loi. Le Gouvernement de Borne dont il fait partie, peine à trouver de majorité sur un texte de loi, qui a été reporté à plusieurs reprises, désormais prévu pour l’automne. Les difficultés, en plus de celle-ci, sont nombreuses : utilisation du 49.3 et motion de censure possible faute de majorité, des potentiels candidats en 2027 (Darmanin, Edouard Philippe, Bruno Le Maire) qui prennent des positions plus personnelles que collectives. L’enjeu pour eux est de paraître determiné sur les questions d’immigration, de sécurite et d’islam.
Pour Gérald Darmanin, le projet de loi immigraiton "est le texte le plus ferme de ces vingt dernières années", et il avait précisé, en parlant des Républicains, qu’il y a "des propositions, nombreuses, sur lesquelles nous sommes d’accord". Cependant, la droite sera intraitable et rappelle, par la voix de Bruno Retailleau, le constat qu’elle a fait: "On a les pompes aspirantes les plus avantageuses d’Europe : sur le soin, gratuit pour les étrangers, sur le regroupement familial, sur le droit d’asile, et là il faudrait ajouter une nouvelle pompe aspirante ? […] Le chômage touche deux fois plus les immigrés que les Français d’origine, donc il y a un problème". Il a, d’ores et déjà, affirmé, catégoriquement, que la droite républicaine s’opposerait à la régularisation des sans-papiers. Pour lui, c’est l’efficacité qui doit primer et le "en même temps" ne fonctionne pas en matière migratoire.
Comment concilier les positions dissonantes des deux ailes de la macronie ? C’est un vrai dilemme auquel Macron et le gouvernement de Borne se trouvent confrontés en raison des positions clivantes et irréconciliables sur la régularisation des sans-papiers au sein même de leur majorité. Le sujet est explosif, il pourra difficilement, auprès des partis et de l’opinion publique, passer par le 49.3 en force, une seconde fois après les retraites. Aussi, cette “hypocrisie collective” n’est-elle pas le fruit de l’impossibilité de penser, sereinement en France, l’immigration sans stigmatisation et sans angélisme ?