Vendredi matin, l’église protestante de Courbevoie bruissait, sans doute, d’une agitation inhabituelle. En effet, les fidèles ont laissé la place à Martin Kopp qui donnait à ses camarades militants les dernières explications de l’action qu’ils s’apprêtaient à mener, quelques instants plus tard, aux abords de la tour de la Défense de TotalEnergies qui accueillait le 24 mai son Assemblée générale.
A l’initiative de Greenfaith, ONG interreligieuse internationale qui lutte pour la justice climatique, des personnalités religieuses et des croyants ont décidé de jeûner et d’interpeller les actionnaires de TotalEnergies à leur entrée dans l’Assemblée générale, pour demander, notamment, l'abandon immédiat du projet d'Oléoduc de Pétrole Brut d'Afrique de l'Est (EACOP) entre l’Ouganda et la Tanzanie et du nouveau champ pétrolier Tilenga, tous deux portés majoritairement par la multinationale pétro-gazière. "On est rassemblés ici, un groupe interreligieux, en jeûnant, pour dire que nous avons faim et soif de justice climatique", explique, à TRT Français, Martin Kopp, docteur en écothéologie et coordinateur de GreenFaith en France.
"EACOP est, vraiment, devenu un symbole qui coche toutes les cases du pire". Pour le jeune homme de 36 ans, ce projet est une véritable "bombe climatique et sociale". S'il est mené à terme, EACOP sera le plus long pipeline chauffé au monde, parcourant 1 443 km entre la ville de Kabaale en Ouganda et le port de Tanga en Tanzanie. Tilenga sera un champ de pétrole de 400 puits, dont 132 dans le parc naturel des Murchison Falls (Ouganda).
"C’est une attaque vis-à-vis de la biodiversité et du vivant, alors qu'on sait qu’aujourd'hui on est entré dans la sixième extinction de masse des espèces. En émettant 379 millions de tonnes équivalent CO2, EACOP et Tilenga vont aggraver le bouleversement climatique, face auquel des pays comme l'Ouganda et la Tanzanie sont parmi les plus vulnérables. On est là aussi, en jeûnant, pour marquer notre solidarité avec les personnes qui sont affectées par le projet localement. Il faut savoir que plus de 100 000 personnes sont expropriées partiellement ou totalement, et que la manière dont les tombes ont été déplacées ne respecte pas les rites spirituels locaux, que cela été vécu, localement, comme des profanations".
“En tant que musulman, on doit lutter contre l’injustice“
"Depuis quelques semaines, une dizaine de nos membres Greenfaith en Tanzanie sont harcelés parce qu'ils ont manifesté pacifiquement contre ce projet, précise de son côté Hala, qui filme l’action du jour pour Greenfaith. Ils ont été, à un moment, interpellés par la police, privés de nourriture et d'eau ; et on jeûne, aujourd'hui, en solidarité avec eux et en solidarité avec toutes les personnes qui sont impactées par ce projet". Hala, de confession musulmane, est engagée pour l’environnement depuis son adolescence. "Ça fait vraiment sens pour moi de ne pas, uniquement, croire et prier mais, aussi, de me lever et d'agir. Et puis, l'islam est une religion qui prône le respect de la création divine, du vivant dans son entièreté. En tant que croyante et pratiquante, je ne saurais détourner les yeux de ce qui se fait sur la planète".
L’Imam Kadjoura Baradji, également présent lors de l’action, estime "qu’en tant que musulman, on doit lutter contre l’injustice". "Le prophète de l'islam disait, si la fin des temps arrive, et si on sait que c'est notre dernière heure, l'action qu'on peut faire, c'est planter finalement quelque chose pour les générations futures" poursuit le religieux, qui espère "sensibiliser également des membres de la communauté, [pour] que la question écologique devienne un vrai point de réflexion au sein de nos communautés, et qu'on commence à agir dans cette perspective-là". Il jeûne ce jour parce que c’est un acte "symbolique", qui permet de "se mettre à la place d’autrui".
"L'idée, c'est d'inviter l'Assemblée générale de Total à se mettre à la place des autres, si on devait reprendre la symbolique. Jeûner, c'est faire preuve de partage. Et ce projet ne va pas dans ce sens-là. On vient spoiler, on vient voler les gens. Jeûner, c'est également faire preuve d'une maîtrise de soi, et ne pas être dans la cupidité. Et on voit que l'Assemblée Total n'est pas dans cette perspective-là", explique le jeune imam de 28 ans.
Noa jeûne également "en tant que juive, en tant que croyante, parce que je pense qu'en tant que croyant, on a une responsabilité". "On m'a toujours appris, dans ma foi, qu'il fallait faire le bien. Et je pense qu'il y a une nécessité à ne pas rester passif face à l'avenir du monde et qu'en tant que croyant, on doit s'engager et on doit essayer de mobiliser nos communautés pour se mettre au service de l'intérêt général et du bien commun, pour promouvoir une société du lien au lieu d'une société des biens, une société de l'intérêt général plutôt que des intérêts privés qui sont ceux de Total". "Aujourd'hui, les actionnaires de Total se réunissent pour voter le plan de stratégie des prochaines années de TotalEnergies et nous, on a envie de leur dire de ne pas voter cette stratégie, d‘arrêter des projets climaticides".
Leur action terminée, à savoir prise de parole, minute de silence et chant partagé, la petite troupe décide d’essayer de se rapprocher de la tour TotalEnergies pour interpeller les actionnaires et leur distribuer des tracts explicatifs.
"Pour moi, aujourd'hui, le discours à travers les religions peut aussi venir toucher les actionnaires à travers leurs émotions, leur foi, estime Noa. Et pour moi, c'est un des modes d'action qui est légitime et pertinent parmi tous les autres".
A quelques kilomètres de là, au même moment, des militants écologistes d’Extinction Rebellion organisaient un blocage au siège social d’Amundi, actionnaire majoritaire de TotalEnergies. 103 personnes y ont été interpellées, selon la police.
Le chemin vers la justice climatique semble encore long.