TRT Français : Comment avez-vous fait vos premiers pas dans le monde de l'opéra ?
Narimène Bey : J'ai découvert l'univers de l'opéra grâce à ma professeure de solfège, qui a décidé de nous initier à La Flûte enchantée. Avant de me lancer dans une carrière, j’ai cherché à me former autant que possible. J'ai suivi des études de chant et de musique au conservatoire. J’ai d’abord commencé par les concours. Cela m'a vraiment forgé.
TRT Français : Quelles ont été les principales barrières auxquelles vous avez été confrontée ?
Elles étaient très nombreuses. Je pense que la première barrière, dont je ne parle pas tant que ça, c'est la barrière financière. J'ai passé un jour le concours pour être soprano dans le Chœur national de l'Opéra de Bordeaux avec 70 autres chanteuses. J’avais un budget limité, je n’avais pas les moyens d’acheter un billet de train onéreux. En observant autour de moi, je réalisais que la majorité d’entre elles portaient des robes absolument sublimes. Peut-être pas de haute couture, mais ça y ressemblait. Elles étaient aussi bien coiffées. Elles bénéficiaient du soutien financier de sponsors, de leurs familles. Je me suis sentie complètement défavorisée par rapport aux autres parce que moi, j'étais en train de tout calculer, tout compter. Mais voilà, je me disais que mon talent allait rééquilibrer le tout.
TRT Français : Pouvez vous partager une expérience illustrant les défis que vous avez rencontrés en portant le voile dans le milieu de l’opéra en France ?
Lors d’un entretien avec une agence d’opéra renommée en France, la directrice m’avait entendu à un concours et m’a complimentée sur ma voix la qualifiant même d’extraordinaire. Cependant au cours de notre discussion, elle a soulevé à plusieurs reprises l'obstacle que représentait mon turban en France. Selon elle, il était impossible de faire carrière en le portant. Je me suis souvent retrouvée confrontée à la question de la non-pertinence du voile dans l’interprétation des rôles. Il m’a même été demandé de l’enlever à plusieurs reprises. Je pense que l’art doit permettre à des artistes de s’exprimer librement. Je me demande souvent s’il existe en France des metteurs en scène suffisamment audacieux pour remettre en cause ces préjugés. On me répond souvent que non mais j’aimerais y croire. Certains me répondent avec bienveillance et d’autres sont fermés à toute idée de changement.
TRT Français : Qu’est-ce qui a motivé votre décision de vous installer en Arabie saoudite ?
Tout d'abord, une belle opportunité professionnelle qui était en lien avec la musique qui me permettait à terme d'élargir aussi mon carnet d'adresses. En juin 2022, lors d’un séjour d’un mois à Abu Dhabi, j’ai pu explorer les opportunités professionnelles dans la région, grâce notamment à mon frère qui y résidait. A l’origine, je cherchais à m’installer dans un pays arabe développé. Ce n’est donc pas spécifiquement pour des considérations religieuses que j’ai opté pour l’Arabie saoudite. Cependant, j’étais consciente des défis que cela impliquait, notamment en matière de développement de l’opéra dans le pays et en matière de formation et d’offre de programmation contrairement à la France où il y a une forte exigence.
Malgré cela, de nombreux professionnels de la région m’ont encouragée à venir me rassurant sur le fait que ma présence serait facilitée et que des artistes aux profils similaires au mien était très sollicités dans la région et y auraient toute leur place. Alors lorsque l'opportunité s'est présentée, je l'ai saisie.
TRT Français : Vous avez réussi à constituer un réseau assez influent. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous avez développé vos relations professionnelles ?
L’élaboration de mon carnet d'adresses a été le fruit d'une démarche audacieuse. J'ai activement recherché les artistes renommés ou les producteurs et autres, susceptibles d'être touchés par mon travail. Et dès que j'en repérais un, je lui envoyais une vidéo de mes prestations par exemple.
TRT Français : Vous avez eu comme autre expérience récente à l'étranger une première date en Algérie, en mai dernier. Est-ce que vous comptez revenir ? Envisagez-vous d’y retourner ?
C'est mon souhait le plus cher. On sait à quel point les Algériens sont attachés à leur pays. Donc oui, cela a toujours fait partie de mes aspirations, de ce que je voulais absolument faire. J’ai été profondément touchée par le contact avec le public algérien et de la réception de mon art et de ma voix. Je vise désormais plus grand mais il me faut le soutien du pays. Cependant, l'opéra, encore aujourd'hui, n'est pas très développé en Algérie. Il n'y a pas beaucoup d'artistes algériens dans ce registre qui se produisent en Algérie, notamment parce qu'il me semble que la culture du raï, la musique traditionnelle algérienne et arabo- andalouse sont tellement fortes et imprégnées dans le pays que c'est assez compliqué.
TRT Français : Quel regard portez-vous sur la place de l’opéra aujourd’hui ?
Je pense qu’il est amené à disparaître. Des personnes autour de moi confient : «cela ne nous intéresse pas d'aller écouter avec des personnes autour de nous qui appartiennent à un autre monde, qui vont nous regarder de haut, qui vont nous juger». Il va falloir investir de l'argent pour monter des structures plus inclusives. Parfois, des mélanges entre différents styles de musique se font mais ce n’est pas suffisant. L’opéra risque de rester dans l’entre-soi.