Monsieur Mehdi: "En France, les artistes ne sont pas logés à la même enseigne"
A 74 ans, Abdelmajid Mehdi -alias Monsieur Mehdi- expose ses œuvres au Palais Tokyo à Paris. Pourtant, depuis de très nombreuses années, cet artiste autodidacte d’origine marocaine, vit en France dans la précarité la plus totale.
A 74 ans, Mehdi Abdelmajid -alias Monsieur Mehdi- expose ses œuvres au Palais Tokyo à Paris (Others)

Abdelmajid Mehdi est exposé au palais Tokyo dans la capitale française. Un rêve inimaginable, il y a encore quelques années, pour l’artiste d’origine marocaine qui a longtemps vécu dans sa voiture. Depuis quelques mois, le septuagénaire est logé dans un foyer pour personnes âgées situé dans le Val-de-Marne et ne touche qu’une centaine d’euros par mois.

Arrivé à l’âge de 20 ans en France, celui que l’on appelle Monsieur Mehdi a dû faire face à de nombreuses épreuves, notamment celle de se retrouver à la rue. S’il a aujourd’hui un toit sur la tête, la situation du Marocain originaire de Taza est toujours aussi délicate.

''Exposer à Paris une nouvelle fois, c’est, bien sûr, ce que j'attendais. Mais en France, les artistes ne sont pas tous logés à la même enseigne. Aujourd'hui, je suis sans famille, sans retraite, dans un foyer pour personnes âgées. C'est honteux, c'est scandaleux. C'est, malheureusement la politique de l'immigration qui est mal traitée, et cela, sous les différents gouvernements. C'est ça la France”, confie-t-il à TRT Français.

Monsieur Mehdi poursuit : “Sur 54 ans de présence en France, je me retrouve avec 120 euros d’allocations. Heureusement qu’il y a des gens autour de moi pour m’aider, des amis, des jeunes'', raconte Abdelmajid Mehdi.

Premières années de disette en France

Abdelmajid vit avec sa famille à Taza, au Maroc, lorsqu’il s’inscrit, dans les années 60, en compagnie de ses camarades, sur les listes de ''l’office national de l’immigration français''. Par la suite, le jeune homme et ses amis reçoivent une promesse d’emploi dans le secteur de l’automobile. Mais une fois arrivés en France, ils sont dirigés vers un tout autre secteur, sans avoir été consultés.

''Quand on a posé le pied sur le sol français en 1970, on s’est sentis trahis parce que l'office de l'immigration nous a envoyé dans le nord de la France pour travailler dans une usine de chiffons. On a refusé car ils nous avaient promis de travailler dans des usines consacrées à l’automobile. C'était incompatible avec nos aspirations. On était instruits, on venait de quitter l'école, et en plus, moi, j'étais artiste. Finalement, on a été renvoyés en Normandie, dans une autre usine de novopan en tant qu’ouvriers spécialisés''.

Pendant dix ans, Abdelmajid et ses camarades cohabitent, à l’étroit, dans des logements de fortune commandés par leurs employeurs.

''On était 4 dans chaque cabanon Algeco. On a perdu une tranche de vie sociale. Au lieu de se marier, fonder une famille et avancer dans la vie, malheureusement, on a gaspillé une dizaine d'années dans cette usine.''

Après une décennie de dur labeur, Abdelmajid quitte l’usine pour passer un brevet de maîtrise professionnel (équivalent bac +2, ndlr) et devenir ''dessinateur, projeteur, métreur''.

À la fin de sa formation, le jeune diplômé passe quelques semaines à l’hôtel, faute de logement, avant d’être accueilli, par des prêtres, dans un presbytère. Au bout de quelques semaines, Abdelmajid décide de quitter la province, pour se rendre en Ile-de-France où un nouvel emploi l’attendait.

''J’ai été victime de violences policières suite à un contrôle au faciès''

C’est dans les Hauts-de-seine, que Abdelmajid est embauché, en 1987 en tant que ''cadre publicitaire''. Sans domicile fixe, il loge tantôt chez son employeur, tantôt dans sa voiture. Pendant plusieurs années, malgré ses divers contrats de travail, le jeune homme est toujours confronté à la même problématique.

''Que j'aie un emploi ou non, trouver un logement est compliqué, parce qu'on vous demande plusieurs fiches paye etc... Or, ma trajectoire d'emploi, a toujours été entrecoupée. Et ça a continué jusqu’à aujourd'hui. J'ai galéré, j'ai galéré !'', raconte avec amertume le septuagénaire.

Lorsque son patron quitte la capitale, Abdelmajid sombre un peu plus dans la précarité et est contraint de dormir, continuellement, dans sa voiture. Il sera d’ailleurs victime d’une ''injustice'' dont il se souvient encore en détails.

''Je me suis retrouvé sans logement, encore dans mon véhicule à Courbevoie. Un matin de mars 91 pendant le ramadan, j’ai été victime de violences policières suite à un contrôle au faciès. La police est arrivée, elle m'a matraqué, malmené, saccagé, traîné dans la boue. Ils m’accusaient d’attentat à la pudeur sur la voie publique alors que je dormais juste dans mon véhicule. C’était d’une violence inouïe', regrette-t-il.

Abdelmajid est par la suite ''conduit de force'' dans un hôpital psychiatrique, avant d’être renvoyé au Maroc. Au bout de quatre ans, le passionné d’art revient en France où il travaillera par intermittence et trouvera encore refuge dans sa voiture, dans le métro, sous les ponts ou encore dans des hôtels sociaux. À force de ''galères'', Monsieur Mehdi, va ''perdre peu à peu la santé''.

''Tout le monde était au courant qu’il était à la rue mais personne n’a rien fait''

De fil en en aiguille, Abdelmajid Mehdi, se retrouve dans le Val de Marne, toujours dans son véhicule. Une voiture qu’il retrouve, incendiée, après quelques mois, à Vitry. À la rue, seul, à l’âge de la retraite, il rencontre alors un groupe de jeunes étudiants et travailleurs qui prendront soin de lui.

''Je venais d’arriver à Paris quand j'ai connu Monsieur Mehdi. J'étais étudiant, je vivais en colocation dans une maison avec des amis. Il vivait en face de chez nous, au début, dans sa voiture. Au fur et à mesure des discussions, on a commencé à sympathiser et on lui a proposé de venir à la maison pour pouvoir avoir accès à l'eau etc… Une personne du groupe lui a d’abord acheté une fourgonnette. Puis par la suite avec d’autres personnes, on a cotisé pour lui mettre à disposition un un camping-car avec tout le sanitaire etc…'', raconte Ayoub, l’un des jeunes du quartier.

Au fil du temps, le camping-car de Monsieur Mehdi est continuellement taggué, pillé puis saccagé. Le mobile-home devient peu à peu insalubre et invivable. Parallèlement, Abdelmajid fait la rencontre d’une certaine Sherazade qui décide de lui venir en aide et de médiatiser son histoire.

''À l'époque quand on essayait de trouver une solution, on allait à la mairie et chez la police, tout le monde était au courant qu’il était à la rue mais personne n’a rien fait. Ça a vraiment bougé quand Sherazade a médiatisé le cas de Monsieur Mehdi ; ça s’est fait la veille pour le lendemain, on lui a proposé un logement'', explique Ayoub à TRT Français.

Aujourd’hui, Monsieur Mehdi a retrouvé un toit mais vit toujours sous le seuil de pauvreté. S’il regrette de ne pas avoir pu fonder de famille, il continue de se consacrer à son art et ses travaux.

''Mon domaine d’exploration, depuis une trentaine d’années c’est la vie après la vie de l'homme, l’au-delà. Je représente dans mes œuvres la formule psychologique de l’être humain. Aujourd’hui, la science qui domine c'est la zizanie et les guerres, donc, j’essaye d’éveiller la conscience du public'', explique Abdelmajid Mehdi.

Jusqu’à la fin du mois de juin, le public peut découvrir les œuvres de Abelmajid Mehdi au Palais Tokyo de Paris, dans le cadre de l’exposition collective Signal initiée par l’artiste Mohamed Bourouissa. Par ailleurs, dans le futur, Monsieur Mehdi espère ''progresser dans ses recherches'' et exporter ses travaux en Europe, au Royaume-Uni et au Moyen-Orient.

''Mon rêve, c'est de vivre le plus longtemps possible et laisser mon empreinte derrière moi pour les générations futures, pour qu'elles ne se cassent pas la gueule comme moi. Je prépare d’ailleurs un livre sur cette trajectoire de vie malheureuse et scandaleuse'', conclut l’artiste.

TRT Francais