L’ESJ Paris rachetée par Bolloré, Arnault, Dassault et Saadé : vers une dérive idéologique ?
L’ESJ Paris, la plus ancienne école de journalisme, a été rachetée par des investisseurs conservateurs, ce qui suscite des craintes sur une possible dérive idéologique et le risque de former des journalistes proches des idées d’extrême droite.
Vincent Bolloré lors de son audition par la commission d'enquête TNT à l'Assemblée Nationale / mars 2024 / Photo: AFP (AFP)

Le rachat de l’École supérieure de journalisme de Paris (ESJ Paris) par un consortium d’investisseurs conservateurs, dont Vincent Bolloré, suscite de vives inquiétudes auprès de ceux qui défendent les valeurs fondamentales du journalisme, tels que l’intégrité, l'éthique et la quête de vérité.

Fondée en 1899, cette école de journalisme, la plus ancienne au monde, a longtemps été perçue comme un bastion de l'indépendance et de l'excellence journalistique.

Cependant, son acquisition par des figures proches de l'extrême droite et des milieux d'affaires conservateurs soulève des questions sur son avenir.

Ce rachat, qui inclut des personnalités comme Bernard Arnault, la famille Dassault et Rodolphe Saadé, est perçu par certains comme un signal que l’école pourrait devenir un lieu de formation pour des journalistes en phase avec les idées de la droite radicale et de Vincent Bolloré, dont l'influence sur les médias français est déjà largement critiquée.

Le rachat de l’ESJ Paris marque une première dans le paysage des écoles de journalisme en France.

Contrairement à d’autres institutions comme l’ESJ Lille ou le Centre de Formation des Journalistes (CFJ) à Paris, reconnues pour leur indépendance et leur modèle associatif, l’ESJ Paris adopte une structure privée et lucrative.

Influence des actionnaires ?

Une étudiante ( Marie, le prénom a été modifié) a exprimé sa crainte au journal Libération , notamment sur l'impact de ce changement sur l'orientation de l’enseignement et sur sa future insertion professionnelle. Cette dernière craint que l'école, qui, jusqu'ici, offrait "une formation équilibrée", devienne un outil de diffusion de points de vue conservateurs, voire d'extrême droite.

La reprise par des propriétaires de grands groupes médiatiques soulève des inquiétudes également parmi les experts en déontologie journalistique. Le lien direct entre les financiers de l’école et des médias influents alimente le débat sur l’impartialité des formations.

Dans un entretien au Monde, Pierre Savary, directeur de l’ESJ Lille, affirme que “ce modèle d’école à but lucratif, adossé à des groupes de presse, est inédit en France” et met en garde contre une marchandisation de l'éducation journalistique, qui pourrait compromettre les valeurs fondamentales de la profession.

Savary défend un modèle associatif, garant, selon lui, de l’indépendance des étudiants et craint que l’influence des actionnaires n’oriente les programmes de formation pour servir des intérêts économiques ou idéologiques.

Guillaume Jobin, qui était, jusqu'à présent, le président de l'établissement, a dirigé l'école pendant 18 ans. Il a notamment contribué à offrir une formation en journalisme à des journalistes du Moyen-Orient, tout en créant une formation à distance en langue arabe. Son mandat a aussi été marqué par plusieurs accusations, notamment à la suite d'une enquête très à charge publiée par Le Point, qui l’a notamment critiqué sur ses positions pro-palestiniennes. Ces prises de position auraient-elles joué un rôle dans ce changement à la tête de l’école ?

Guillaume Jobin assure plutôt à TRT français que "ces patrons de presse ont été attirés par ma position pro-arabe et particulièrement pro-Maroc, j'ai souhaité leur transmettre l'ESJ afin d''assurer un contrepoids", l'objectif étant de permettre d'offrir aux étudiants une formation respectueuse des différentes sensibilités.

Dans une interview réalisée au sein même de l’ESJ pour faire le bilan de sa présidence, Jobin a, par ailleurs, exprimé ses inquiétudes concernant l’avenir du journalisme. Il a notamment pointé la partialité des médias français sur des conflits comme celui entre Israël et Gaza, et entre Israël et le Liban, affirmant que les médias français qui ont importé ces conflits en France ont perdu leur neutralité et leur rôle d’information.

Lorsque la journaliste lui a demandé ce qu'il fallait changer pour mieux former les journalistes, Jobin a répondu sans détour : "le problème ne vient pas de la formation des journalistes, ils sont bien formés, le problème vient des patrons des médias...il a insisté sur la nécessité de disposer de dirigeants de médias indépendants, respectueux de l’information. Il a, de surcroît, critiqué le rôle des propriétaires de presse, évoquant entre autres l’exemple du Parisien, qu’il qualifie de “parti pris anti-palestinien”.

Il y a quelques mois, dans une interview pour TRT Français, Jobin avait exprimé ses préoccupations concernant la couverture de la guerre à Gaza, il avait alors déclaré : "Depuis le 7 octobre, il n’y a plus aucune objectivité dans les médias français, à de rares exceptions près. 98% ou 99% des médias français sont pro-israéliens, soit par parti pris idéologique, comme c'est le cas pour certains médias de droite, soit par manque d'informations ou de recul par rapport au sujet”.

La direction de l’école va désormais être confiée à Elhame Medjahed, ancienne présentatrice sur Europe 1, tandis que Vianney d’Alançon, entrepreneur catholique, prendra la présidence.

Ce dernier est décrit comme un homme d'affaires ayant des affinités avec des valeurs très ancrées à droite. L’école devrait bientôt quitter ses locaux historiques pour de nouveaux espaces, marquant une rupture avec son passé.

Si certains étudiants espèrent une amélioration des moyens financiers de l’établissement grâce à ce rachat, beaucoup redoutent toutefois une dérive idéologique qui pourrait affecter la réputation de l’ESJ Paris.

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TRT Français et agences