Séisme à l’Elysée. Le même jour, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, est renvoyé devant la Cour de justice de la République (CJR) et le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, est mis en examen par le Parquet national financier pour prise illégale d’intérêt.
"La République exemplaire d'Emmanuel Macron se transforme en République des affaires" dénonce Manon Aubry, eurodéputée LFI.
"Lundi noir pour -la République exemplaire-" a titré Mediapart dans une édition spéciale consacrée aux affaires Kohler et Dupond Moretti. Affaire Benalla, affaire Richard Ferrand… les polémiques judiciaires se multiplient dans l’entourage de Macron depuis avril 2017. Dans son article-réquisitoire, Mediapart liste une quarantaine d'affaires dont des proches de Macron (ministres, députés, membres du cabinet) ont été touchés depuis son arrivée à l’Élysée.
Kohler a été mis en examen par le Parquet national financier pour prise illégale d’intérêt dans le cadre de l'enquête visant ses liens familiaux et professionnels avec l'armateur MSC.
Dupond-Moretti est lui accusé d’avoir profité de sa fonction ministérielle pour régler ses comptes avec des magistrats anticorruption auxquels il s’était opposé quand il était avocat. Ainsi, pour la première fois de l’histoire de la Ve République, un ministre en exercice est renvoyé devant la CJR, juridiction spécialement chargée de juger les ministres ou ex-ministres pour des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.
Point commun entre les deux affaires: la prise illégale d’intérêts. En bref, la justice leur reproche d’avoir tiré profit personnel de leurs fonctions.
Une promesse non tenue
Malgré les révélations, aucun des deux hommes ne va quitter ses fonctions.
Leur maintien de poste contredit les promesses faites par Macron en 2017, alors en pleine campagne présidentielle. Invité sur le plateau de France 2 le 3 mars 2017, à quelques semaines du premier tour des élections présidentielle, le candidat Macron avait été clair : "Dans le principe, un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu'il est mis en examen."
Le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, a assuré un nouveau principe. "Nous avons une doctrine : quand un ministre est condamné, il quitte le gouvernement", a-t-il expliqué sur LCI. Une mise en examen ne justifie donc plus à elle seule un arrêt de fonction.
Le ministre de la Justice va donc continuer à diriger l’institution judiciaire tout en devant répondre devant la CJR et le secrétaire général de l’Élysée va continuer à conseiller le président de la République.
Des appels à la démission
Alors que Macron n’a réagi à aucune des deux affaires, le maintien en poste des deux hauts responsables fait réagir l'opposition.
"Emmanuel Macron n'a eu de cesse de protéger Alexis Kohler comme d'ailleurs M. Dupond-Moretti de les couvrir… Il doit démettre de leur fonction le ministre de la Justice et Alexis Kohler", dénonce Manon Aubry, députée européenne La France insoumise, présidente du groupe de la gauche au Parlement européen.
Pour le chef des députés LR Olivier Marleix, le maintien en fonction à l’Elysée d’Alexis Kohler "serait une injure à l’institution judiciaire".
"Secrétaire général de l'Elysée, ce n'est pas rien : c'est le deuxième homme le plus puissant de l'Etat français et là, il reste à l'Elysée. Comment est-ce possible ? Comment garder la moindre crédibilité ?" a dénoncé le socialiste Olivier Faure.
"Cela confirme l'affairisme et les énormes soupçons de conflits d'intérêts qui entourent l'équipe d'Emmanuel Macron et Emmanuel Macron lui-même depuis le début de sa carrière", pointe Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement National.
"Entre Kohler et Dupond-Moretti le même jour, le président Macron doit maintenant choisir : être président de la République ou chef de clan. Devant l’effondrement démocratique qui menace ici comme ailleurs, ses choix pèseront lourd", a indiqué pour sa part le député écologiste Benjamin Lucas.
Le silence règne-t-il dans les médias français ?
Critiquant le silence de Macron dans un article titré "Kohler, Dupond-Moretti : et soudain, il ne se passa rien", Mediapart pointe également du doigt la couverture médiatique des deux grandes affaires. Pour Mediapart, les médias français n’ont pas couvert suffisamment les deux affaires.
"Dans les journaux télévisés comme dans les matinales, le sujet est traité marginalement. Pas d’invités spécifiques. Pas de chroniques particulières. Pas la manchette du Monde ni du Figaro, les deux plus grands quotidiens français. Quel décalage avec des affaires pourtant d’une bien moins grande importance, également révélées par Mediapart, comme le protocole Covid piloté depuis Ibiza par Jean-Michel Blanquer, qui avait suscité des éditions spéciales et des commentaires en boucle ! " écrit le journaliste Michaël Hajdenberg. Et d’ajouter : "Le président de la République bénéficie de ces choix journalistiques incompréhensibles qui préfèrent s’attarder sur des affaires simples et symboliques, plutôt que sur celles relevant de la corruption".
Pour Anticor, l’association qui avait porté plainte contre Kohler, "le n°1 de l'administration, un des hommes les plus puissants de l'État est mis en examen pour une infraction grave à la probité. On ne peut pas demander aux citoyens d'avoir confiance en leurs représentants politiques dans ces conditions".
Affaibli à l’Assemblée, entouré de deux personnes proches poursuivies par la Justice, la cote de popularité de Macron dégringole, alors que la défiance des Français envers la classe politique s’accentue.