Les Kényans ont prévu de descendre à nouveau dans la rue, ce jeudi, pour une marche blanche au lendemain de l'annonce par le président William Ruto du retrait du projet de budget prévoyant des hausses d'impôts, à l'origine d'une contestation qui a sombré dans une violence meurtrière.
Ce mouvement de contestation inédit mené par la jeunesse, qui a gagné le pays en moins de deux semaines et a pris de court le pouvoir, a émergé peu après la présentation au Parlement, le 13 juin, du budget 2024-2025, prévoyant notamment une TVA de 16% sur le pain et une taxe annuelle de 2,5% sur les véhicules particuliers.
Le président Ruto, qui, mardi soir, avait affirmé vouloir réprimer fermement "la violence et l'anarchie", a finalement annoncé, mercredi, le retrait du projet de budget et dit vouloir une concertation nationale avec la jeunesse.
"Après avoir écouté attentivement le peuple kényan, qui a dit haut et fort qu'il ne voulait rien avoir à faire avec ce projet de loi de finances 2024, je m'incline et je ne promulguerai pas le projet de loi de finances 2024, qui sera par conséquent retiré", a-t-il déclaré dans un discours à la nation.
- "Trop tardif" -
Une annonce aussitôt qualifiée "d'opération de com" par une figure du mouvement de contestation, la journaliste et militante Hanifa Adan, qui avait appelé plus tôt à une marche blanche "pacifique" à la mémoire des victimes, jeudi.
Nelly, 26 ans, a dit à l'AFP vouloir rejoindre cette marche, jugeant le retrait du projet du budget annoncé par le président "trop faible, trop tardif". "Il aurait pu le faire plus tôt sans que des gens meurent", a-t-elle indiqué.
"Nous allons marcher pour un meilleur avenir au Kenya", a-t-elle ajouté.
- Violence inouïe -
Si de précédentes journées de mobilisation demandant le retrait de ces nouvelles taxes se sont déroulées dans le calme, la manifestation de mardi aux abords du complexe abritant l'Assemblée nationale et le Sénat, dont certains bâtiments ont été incendiés et saccagés, a tourné au bain de sang.
Selon plusieurs ONG, la police a tiré à balles réelles pour tenter de contenir la foule qui a forcé les barrages de sécurité pour pénétrer dans le complexe. Une attaque inédite dans l'histoire du pays indépendant depuis 1963.
Selon l'organe kényan de protection des droits humains (KNHRC), 22 personnes ont été tuées, dont 19 dans la capitale Nairobi, et plus de 300, blessées.
Le président de l'Association médicale kényane, Simon Kigondu, a dit n'avoir jamais vu auparavant "un tel niveau de violence contre des personnes sans arme".
Un responsable du Kenyatta National Hospital de Nairobi, le principal du pays, a affirmé mercredi à l'AFP avoir reçu "160 personnes (...) certaines avec des blessures superficielles, d'autres avec des blessures par balles".
- Endettement -
Mercredi, près du Parlement, la chaussée portait encore des traces de sang tandis que flottait une odeur persistante de gaz lacrymogène.
Des défenseurs des droits de l'Homme ont par ailleurs accusé les autorités d'enlèvements de manifestants. Le police n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP sur le sujet.
Le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a réclamé, mercredi, que les responsabilités soient "clairement" établies, suite au décès des manifestants.
Le gouvernement, qui avait fait valoir que les taxes étaient nécessaires pour redonner une marge de manœuvre au pays lourdement endetté, avait annoncé le 18 juin retirer la plupart des mesures. Mais les manifestants demandaient le retrait intégral du texte.
"Comment gérer ensemble notre situation d'endettement ?", a interrogé William Ruto après avoir capitulé sur le projet de budget.
Il s'est en particulier inquiété d'un trou significatif dans le financement de programmes pour les agriculteurs et les enseignants.
La dette publique du pays s'élève à environ 10.000 milliards de shillings (71 milliards d'euros), soit environ 70% du PIB. Le budget 2024-25 prévoyait sur 4.000 milliards de shillings (29 milliards d'euros) de dépenses, un record.
Le Kenya, l'une des économies les plus dynamiques d'Afrique de l'Est, a enregistré en mai une inflation de 5,1% sur un an, avec une hausse des prix des produits alimentaires et des carburants respectivement de 6,2% et 7,8%, selon la Banque centrale.
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