“La France, qui aurait pu arrêter le génocide (ndlr: au Rwanda) avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté”. La phrase, attribuée au président Macron a circulé dès jeudi 4 avril, en prélude à une vidéo commémorant le génocide des Tutsis perpétré par les Hutus, au Rwanda.
Depuis, le chef de l’état a fait publier une vidéo, ce dimanche 7 avril, détaillant des propos déjà très commentés. D’abord, parce que la France n’a jamais pleinement assumé ses responsabilités dans la perpétuation du massacre des Tutsis. Massacre, méthodiquement pensé et organisé par les Hutus, à l’origine de près d’un million de morts. Déjà en mai 2021, le président avait reconnu “la responsabilité” de son pays dans le génocide.
“Pour la rafle du Vel d'Hiv, il a fallu cinquante ans pour que le chef de l'État reconnaisse officiellement que la France s'est rendue complice de génocide. Pour le génocide des Tutsis, certes il faudra du courage; mais là aussi la reconnaissance est inéluctable: quand aura-t-elle lieu?”, réagit Patrice Garesio, co-président de Survie. Des mots dénotant avec le silence assourdissant des autorités françaises mais qui s’inscrivaient dans la démarche mémorielle voulue par le jeune président dès son élection en mai 2017. Preuve de son engagement, il avait alors installé une commission présidée par l’historien Vincent Duclert. A l’issue de ces travaux inédits- 8000 documents dont des archives de l’État rendues accessibles- le rapport publié en mars 2021 concluait aux “responsabilités lourdes et accablantes” de l’état français. Véritable tournant dans la mémoire de ce génocide, l’étude avait poussé Macron à reconnaître dès mai 2021 lors d’un voyage à Kigali, la "responsabilité" de la France dans le génocide.
Les limites du “en-même-temps” mémoriel
Ensuite, parce que le président est, déjà, accusé de reculade. S’il affirme n’avoir “aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher de ce que je vous ai dit ce jour-là” (ndrl : à Kigali, en mai 2021), Macron réfute les accusations de complicité de Paris. Si l’Elysée a fait fuiter la déclaration de jeudi confessant sans ambages la passivité criminelle de la France durant les 100 jours du génocide des Tutsis, la déclaration de ce dimanche ne mentionne ni responsabilités, ni excuses de la France, mais bien au contraire.
Un rétropédalage manifeste qui, ajouté à son absence aux cérémonies de la 30e commémoration du génocide organisées à Kigali, éclaire la position d’équilibriste du président français.
Quitte à froisser Kigali, exaspérée par l’absence du chef de l’Etat français et plus globalement la façon dont Paris traîne les pieds en matière judiciaire.
Le premier procès pour génocide en France a eu lieu en 2014. Une lenteur que dénonce François-Xavier Nsanzuwera, ancien procureur de la République, impliqué sur la question: “la justice française traîne des pieds pour juger les génocidaires…”, fustige-t-il. D’autant qu’une centaine de personnes liées de près ou de loin aux massacres sont sur le sol français”, souligne le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPRD).
Si Macron tablait sur deux procès par an, il semble que le rythme soit ardu à tenir. Depuis 2001, le CPRD est à l’origine de 35 procédures mais le temps avançant, de nombreux accusés, âgés, ne sont plus en capacité cognitives de comparaître, quand ils ne sont pas déjà morts.
En creux, une question émerge. Est-ce que la France est prête à assumer sa “responsabilité”, terme employé par le président lui-même à Kigali en mai 2021 ?
Résurgences coloniales
Pour l’ONG Survie, qui lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme, la question relève presque de la rhétorique. “Le président ne parle que du génocide des Tutsis du point de vue historique”, éludant, “tout ce qui concerne le rôle de la France et de la justice”. Un double discours qui n’échappe pas à l’ONG très impliquée dans la reconnaissance de la complicité de la France dans ce massacre. La définition du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est claire sur le sujet: la participation ou l’aide apportée au génocidaire, même si l’accusé n’avait pas d’intention génocidaire, suffit à caractériser la complicité. Qui ne dit mot consent et les déclarations de Macron, aussi instables soient-elles, confirme le laisser-faire.
Patrice Garesio, co-président de Survie va plus loin. Pour lui, “Macron poursuit son opération de communication qui vise à exonérer la France et ses représentants de l’époque de complicité de crimes de génocide des Tutsis”. Et, si le président prône “d’avancer ensemble”, peut-être faut-il rappeler un fait concomitant à cette 30e commémoration. Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères est arrivé au Rwanda hier. Au programme, participer aux cérémonies de commémoration et signer un accord commercial de 400 millions d’euros. A Survie, le message est clair. “Faire du business sur le dos des rescapés et de la justice”.