Fuir le Sud du Liban : Récits d'un exode sous les bombardements
L’escalade au Liban a forcé au déplacement des dizaines de milliers d’habitants du Sud. Autant de vies brisées dont Clotilde Bigot nous transmet quelques témoignages, depuis Beyrouth.
Entre 180.000 et 300.000 personnes ont dû fuir les attaques israéliennes dans le Sud-Liban. / Photo: AFP (AFP)

Des scènes de panique dans le sud, et des milliers de voitures qui prennent la direction du Nord du pays, coincés pendant des heures sur la route sous les bombardements israéliens.

Ces scènes, le monde entier les a vues, horrifié. Mais Hassna Jaber, elle, les a vécues. Cette habitante de Mhaibib dans le sud-est du pays est arrivée ce matin dans le centre de déplacés de Bir Hassan. “On est partis hier aux alentours de 15 heures, et nous sommes arrivés à 6 heures du matin”.

Quinze heures sur la route, avec peu d’eau, peu d’essence, et une angoisse perpétuelle. “On a mis six heures, rien que pour entrer dans Beyrouth”, se souvient-elle. Aujourd’hui, Hassna s’est installée avec son mari dans l’école technique de Bir Hassan, dans le complexe éducatif de Nabih Berri, président du parlement libanais, et du parti Amal, allié du Hezbollah.

Internally displaced young girls play inside a classroom at the Technical Institute of Bir Hassan turned which has been turned into a shelter, in Beirut

Ici, ce sont les scouts de Al-Rissala, proches du mouvement Amal qui s’occupent de tout. “Nous ne voulons pas être interviewés,” explique Alow, le chef de cette brigade, “les Israéliens nous viseront après, on a déjà perdu dix de nos hommes hier dans le Sud!”. En ligne, on voit une image d’une ambulance en feu, et des photos de martyrs, qui étaient à l’intérieur du véhicule et aux alentours.

“Hier, dans l’après-midi, nous avons amené des milliers de matelas venant d’organisations, mais aussi d’entreprises qui nous en ont offerts, et nous les avons installés dans les anciennes salles de classe, dans les trois bâtiments ici”.

Des conditions précaires

Des familles, pour la plupart, avec des dizaines d’enfants qui courent, rigolent, et des parents à la mine fatiguée. Le tout dans un décor délabré, à l’image de l’état du Liban actuellement. Les trois écoles ont été vidées de leurs chaises, entreposées à la hâte dans les couloirs, et, dans chaque salle, quelques tables font office de séparation entre les familles.

Les écoles de la capitale sont toutes fermées depuis hier, sur ordre du ministère de l’Education, et 170 ont été réquisitionnées dans la région de Beyrouth et du Mont-Liban, au Nord de la capitale. “Nous ne savons pas exactement combien de personnes ont quitté le Sud, mais nous estimons entre 180.000 et 300.000”, explique Khalil Mawla, en charge d’une des écoles. “Ces gens sont venus avec rien, ils ont quitté leurs maisons à la hâte et sont très fragiles,” dit-il en murmurant pour éviter qu’ils ne l’entendent. “Mais nous n’avons plus de place, tout est pris, et certains ont dû continuer encore plus au Nord, jusqu’à Tripoli!”.

Khalil Mawla a attendu les familles toute la matinée, et continue à en recevoir d’autres, il a des images terrifiantes en tête. “Nous avons une famille qui est venue, ils nous ont dit qu’ils avaient dû laisser leur enfant, coincé sous les débris de leurs maison qui venait d’être bombardée”. Dans la tourmente, il ne sait même pas combien sont présents aujourd’hui dans les différents établissements.

Nous avons une famille qui est venue, ils nous ont dit qu’ils avaient dû laisser leur enfant, coincé sous les débris de leurs maison qui venait d’être bombardée.

Khalil Mawla

Rayan, elle, est venue avec son frère, sa sœur et ses parents. Cette jeune fille vient de passer son bac, “toute l’année, nous avons eu cours en ligne, ce n’était pas facile, mais heureusement c’est fait!” Cette année, Rayan voulait étudier le droit, pour devenir avocate et “poursuivre Israël pour ses crimes”. Mais Rayan ne pourra pas aller à l’université, tout du moins, pas tout de suite. “Nous avons déjà quitté le sud pour Dahieh (banlieue sud de Beyrouth), et maintenant nous avons dû encore une fois quitter Dahieh pour nous installer ici”. Rayan n’arrive pas à se projeter. “Pour l’instant, ce qui nous importe c’est d’être en sécurité, même si c’est petit,” explique-t-elle dans la pièce où ils vivent à 14. Mais alors qu’elle termine sa phrase, une explosion retentit au loin. Rayan rit, “nous nous sommes habitués”.

Il s’agit d’une nouvelle frappe dans le quartier de Ghobeiry, dans la banlieue sud, à un kilomètre de l’école, qui a visé un des commandants du Hezbollah, Ibrahim Qobeissy, en charge du programme des missiles pour la milice. Il a été tué, ainsi que six autres personnes, dans un bilan encore provisoire. Alors, l’angoisse monte dans l’école, où chacun commence à parler de la frappe, les yeux rivés sur leur téléphone.

C’est la saison des olives, nous l’attendions pour pouvoir ensuite les récupérer et les vendre, c’est notre source de revenus

Monda, mère libanaise déplacée

Monda, elle, a vu ses voisins mourir, elle vient de Aitaroun, et a, elle aussi, mis plus de douze heures à arriver jusqu’à Beyrouth avec ses trois enfants, son mari et sa belle-mère. Alors qu’elle préparait le déjeuner de ses enfants, qui devaient aller en cours, les bombardements ont commencé, et ils ont dû fuir, avec le peu d’affaires qu’ils ont réussi à prendre, en un temps record. Mais Monda vit mal le déplacement, qu’elle voulait éviter à tout prix. “Le sud me manque déjà, ici à Beyrouth, il y a trop de bruit, trop de pollution. C’est la saison des olives, nous l’attendions pour pouvoir ensuite les récupérer et les vendre, c’est notre source de revenus”.

Monda garde espoir que cette guerre s’arrêtera bientôt… “Et vous viendrez à la maison, je fais d’excellents gâteaux!” Le rendez-vous est pris, dans les rires, une note de légèreté alors que la guerre, elle, ne semble jamais très loin.

TRT Francais