France: que contient le traité franco-algérien de 1968 remis en cause par des parlementaires ?
La remise en question de l'accord franco-algérien de 1968 sur l'immigration, qui établit des dispositions spécifiques pour les Algériens régissant leur mobilité, résidence et emploi en France, est débattue au sein de l'opposition de droite française.
Assemblée nationale française / Photo: Reuters (Reuters)

Qu'est-ce que l'accord franco-algérien de 68 ?

Il s'agit d'un accord bilatéral signé le 27 décembre 1968 qui crée un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi. Le texte, qui relève du droit international et prime donc sur le droit français, écarte les Algériens du droit commun en matière d'immigration. Ils n'ont, depuis, pas de carte de séjour en France mais des "certificats de résidence pour Algérien", dont 600.000 ont été délivrés en 2022.

Pourquoi cet accord ?

L'accord est signé six ans après la fin de la guerre d'Algérie (1954-1962), alors que la France a besoin de bras pour soutenir son économie.

Dans le décret d'application du 18 mars 1969, la démarche est justifiée par "la nécessité de maintenir un courant régulier de travailleurs", passant notamment à l'époque par l'Office national de la main d'oeuvre, et qui "tienne compte du volume de l'immigration traditionnelle algérienne en France".

Les Algériens restent aujourd'hui en France les premiers ressortissants étrangers, en nombre.

Quelles sont les principales dispositions ?

L'accord crée un régime d'immigration favorable pour les Algériens. Leur entrée est facilitée (sans qu'ils n'aient besoin de visa de long séjour), ils peuvent s'établir librement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante et accèdent plus rapidement que les ressortissants d'autres pays à la délivrance d'un titre de séjour de 10 ans.

Dans le cadre d'un regroupement familial, les membres de la famille reçoivent également un certificat de résidence de 10 ans dès leur arrivée si la personne qu'ils rejoignent possède ce titre.

Les Algériens peuvent aussi solliciter un titre décennal après trois ans de séjour, contre cinq pour les autres nationalités.

En revanche, puisque leur statut est régi par ce seul accord, ils ne peuvent pas prétendre aux autres titres créés récemment, comme le "passeport talent" ou la carte "étudiant programme de mobilité".

Les étudiants algériens, eux, y perdent: ils ne peuvent pas travailler, pour un job étudiant par exemple, sans solliciter une autorisation provisoire et cet emploi ne peut excéder 50% de la durée annuelle de travail pratiquée dans la branche concernée (contre 60% pour les autres nationalités).

L'accord est-il inchangé depuis 1968 ?

L'accord a fait l'objet de trois révisions, en 1985, 1994 et 2001, qui ont débouché sur trois avenants, mais les grands principes du texte ont été maintenus, en particulier le régime dérogatoire au droit commun.

Dans son projet de loi sur l'immigration, en cours d'examen parlementaire, le gouvernement a souligné que les dispositions ne concernent pas les "ressortissants algériens qui sont exclusivement régis par l'accord franco-algérien".

Pourquoi est-il remis en cause aujourd'hui ?

Le groupe d'opposition de droite Les Républicains (LR) a déposé une proposition de résolution appelant à la "dénonciation, par les autorités françaises, de l'accord franco-algérien". Elle sera examinée lors de la "niche" (journée réservée) de ce groupe d'une soixantaine d'élus (sur 577) à l'Assemblée nationale jeudi.

Le groupe Horizons, composante de la majorité, a indiqué qu'il voterait pour. C'est son président Édouard Philippe, ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron, qui avait relancé le débat autour de cet accord en juin.

"Bien entendu, il y a des relations historiques extrêmement puissantes entre la France et l'Algérie, mais le maintien aujourd'hui d'un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié", avait-il déclaré.

"La dénonciation sèche de cet accord n'est pas pertinente, tant pour des raisons juridiques que politiques" et "nous serions collectivement perdants" en mettant fin à l'accord, a répondu mardi lors de la séance de questions au gouvernement la secrétaire d’État chargée de l'Europe, Laurence Boone. Le gouvernement va toutefois "travailler pour améliorer les choses dans le cadre existant", a-t-elle déclaré.

"Fâcher nos amis algériens"

Avec leur proposition de résolution, les Républicains ont provoqué quelques remous au sein de la majorité présidentielle.

Le vote d'un tel texte n'aurait aucun effet contraignant. Mais des députés Renaissance -la formation du président Emmanuel Macron- ne voyaient pas d'un mauvais œil l'envoi d'un "signal" à l'Algérie, en remettant en cause le statut favorable accordé à ses ressortissants.

Après un débat interne, le groupe "s'est finalement rallié à la position majoritaire de voter contre", explique sa vice-présidente Marie Lebec. Même si "on est tous d'accord sur le fait que l'accord n’est plus opérationnel".

Une résolution parlementaire, "ça n'a pas de sens, c'est une mauvaise manière faite à l'Algérie alors que nos rapports se sont améliorés ces derniers mois", estime Mme Lebec.

Son collègue Mathieu Lefèvre abonde, même si lui aussi trouve l'accord "totalement obsolète": cela "n'apporterait pas grand-chose si ce n’est fâcher nos amis algériens et on ne fait pas de la diplomatie au Parlement à la place du président de la République".

Face au "piège" tendu par la droite, selon les mots d'une source gouvernementale, l'exécutif aura l'occasion d'"expliquer son état d'esprit" jeudi sur le sujet, se réjouit une source Renaissance, indiquant qu'un "travail de renégociation" était dans les tuyaux.

Agences