Elle a dû se résoudre à organiser des "job-dating", l’expression est usitée en anglais, ce qui en dit long sur notre incapacité, en France, à défendre la langue, si maltraitée, de ce pays. Le métier de professeur s’exerce désormais dans des conditions devenues si délétères qu’il n’a plus guère d’attraits. C’est pourquoi l’institution a recours à des "contractuels" sous peine de ne pas remplir son cahier des charges.
Ces contractuels viennent d’à peu près partout et personne ne se demande si ce métier n’aurait pas une spécificité qui empêche précisément n’importe qui d’y prétendre. Mais nécessité faisant loi, il faut absolument mettre un enseignant, formé à la va-vite, devant chaque classe afin que la réalité n’en vienne pas à démentir les promesses de M. Pap Ndiaye. "Il est vrai, admet le ministre, que nous avons recours à une proportion d’enseignants contractuels qui est importante". À ce rythme, la situation de déshérence dans laquelle se trouve l’école républicaine ressemblera bientôt à l’état de carence en prélats que connaît l’Église. Des milliers de postes n’ont pas été pourvus aux concours enseignants. Évoquant cette question, Jean Piaget dont les travaux sur l’intelligence de l’enfant notamment sont fameuses, écrivait, en 1972, dans Où va l’éducation ? : "il y a d’abord le problème de la valorisation ou de la dévalorisation du corps enseignant primaire et secondaire, dont l’opinion publique n’estime pas les services à leur juste valeur, d’où la désaffection et la pénurie qui sévissent en ces professions et constituent l’un des dangers majeurs pour le progrès et même la survie de nos civilisations malades."
"Il y a des difficultés structurelles liées à l’attractivité du métier" déclare le ministre de l’Éducation nationale. La question des salaires figure en bonne place parmi ces difficultés qu’il évoque. Sur les ondes de RTL, le ministre ne l’a guère dissimulé, (comment l’eût-il pu ?). "Les salaires ne sont pas à la hauteur des travaux et des efforts demandés", a-t-il dit dans un de ces euphémismes dont les hommes politiques aiment à orner leurs discours. Le président Macron propose de porter à 2000 euros le salaire des enseignants. Mais cette promesse sera-t-elle tenue ? Il est permis d’en douter, car c’est 800.000 enseignants qu’il faut augmenter, ce qui représente un certain coût pour les finances de l’État. Rien n’est moins sûr dans la perspective de lendemains durs et incertains.
C’est à l’effritement du pouvoir d’achat des enseignants que l’on assiste depuis quarante ans. Cet effritement s’est accompagné d’une détérioration de leur image dans la société. Les Français sont peut-être attachés à leur école, mais ils n’aiment pas les enseignants. Car ce n’est pas aimer un enseignant que de l’agresser physiquement, ce n’est pas aimer un enseignant que de le sous-payer, ce n’est pas aimer un enseignant que de ne pas le respecter.
France Doppia, dans son livre "Maternelles à la dérive" peint sur le vif des situations ubuesques. Des parents qui surveillent obsessionnellement la maîtresse et qui, en intervenant, parasitent sans cesse son travail. L’omniprésence des parents, leurs "interventions, sans parler des agressions, empêchent l’école d’accomplir l’une de ses missions : aider l’enfant à devenir un élève, un être autonome qui apprend à se conduire selon la raison" comme l’indique Maurice Maschino, professeur de philosophie à la retraite. Cette situation génératrice de stress, de découragement, risque de conduire ceux qui aiment profondément un métier qu’ils voient si méprisé au désespoir et même au suicide. Les exemples en sont légion et je n’en veux pour preuve que le cas de feu de Mme Lise Bonnafous, professeur de mathématiques au lycée Jean-Moulin de Béziers, qui, en octobre 2011, (mais qui s’en souvient ?) s’est immolée par le feu devant ses élèves. Il n’est pas rare que des jeunes femmes professeurs se fassent traiter de « garces », parce qu’elles ne consentent pas à ce que des élèves orchestrent l’anarchie. Et ce qui est étonnant, c’est que ces élèves n’ont pas conscience qu’il s’agit ici d’une insulte. Et ils le disent avec l’ingénuité qui sied à leur âge.
Les conditions de l’exercice du métier de professeur sont autrement préoccupantes et même, disons-le, franchement alarmantes. Jeté dans l’arène, l’enseignant du second degré se trouve face à des élèves, nourris au lait de la société de consommation. Beaucoup admis à suivre le cours de philosophie peinent à suivre le propos du professeur. Comment des élèves qui sont incapables de rédiger un paragraphe dépourvu de fautes pourraient-ils accéder à l’univers de la pensée, sans la maîtrise des fondamentaux ? D’autres ignorent tout de la périodisation en histoire. Quand finit L’Antiquité ? Quand commence et s’achève le Moyen Âge ? La Renaissance ? Aucun éclair ne jaillit de ces chères têtes qui, et c’est fort heureux, ne sont plus uniquement blondes. Les copies qu’ils remettent sont souvent "torchonesques" à souhait. Ils se distinguent par un sens tout à fait stupéfiant de l’incuriosité, la pauvreté de leur lexique et l’imprécision dans l’usage des mots. Leur répugnance à l’effort est tout à fait remarquable, leurs difficultés à mémoriser sont considérables. On les surprend à cultiver cet idéal de réussir sans peine. À cette fin, il leur faut des recettes prêtes à l’emploi et jetables après. La seule réponse qu’on ait trouvée, c’est de revoir les exigences à la baisse. Un ministre de l’éducation a dit autrefois qu’il fallait mettre l’élève au centre. Mettre l’élève au centre signifie, avant tout, lui communiquer les savoirs fondamentaux. Presque tout le monde en convient, on est loin du compte !
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