"Il n'y a plus de joie". Bousculés ces derniers mois par les discours politiques et les pressions incessantes de l'administration, les quelque 20.000 musulmans de Nice, dans le sud-est de la France, se préparent à célébrer une fête de l'Aïd teintée d'amertume.
"On dirait qu'on n'est pas des citoyens à part entière", explique l'imam Otmane Aissaoui, président de l'Union des musulmans des Alpes-Maritimes (Umam), dénonçant "des actes islamophobes" dans les lycées ou les universités, "les femmes avec le foulard vues d'un mauvais œil, les contrôles inopinés dans les mosquées... On le sent plus ici qu'ailleurs".
Le malaise n'est pas nouveau. L'islam a régulièrement été un thème de campagne politique dans la région et les attentats du 14 juillet 2016 puis de la basilique Notre-Dame en 2020 ont provoqué des réactions de haine qui ont visé jusqu'aux proches des musulmans tués sur la Promenade des Anglais.
Cependant, avec l'arrivée en septembre du préfet Hugues Moutouh, puis les contre-coups de l'attaque du Hamas le 7 octobre et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza, la situation s'est tendue.
Alors que le maire Christian Estrosi faisait flotter le drapeau israélien sur le fronton de la mairie, le préfet a inlassablement interdit les manifestations pro-palestiniennes, faisant valoir que le département était "dans le trio de tête" en matière d'actes antisémites.
Retoquées à chaque fois par le tribunal administratif, ces interdictions n'ont cessé qu'en janvier.
Puis, en février, M. Moutouh a ordonné la fermeture temporaire d'une petite librairie musulmane, fustigeant la présence de livres fondamentalistes. Un arrêté lui aussi retoqué par le tribunal administratif: les livres incriminés sont aussi en vente dans des librairies grand public.
Evoquant une grande incompréhension, la gérante a invité le préfet à boire le thé dans sa boutique, où elle vend depuis deux décennies foulards, abayas, tapis de prière et livres sur la spiritualité. Mais elle n'a jamais reçu de réponse.
L'absence de dialogue a aussi dominé la crise autour du collège Avicenne, un établissement musulman hors contrat accueillant une centaine d'élèves, dont le préfet a ordonné la fermeture en mars, à la demande du ministère de l'Education nationale.
"Un sentiment d'injustice"
La qualité de l'enseignement n'est pas en cause, d'autant que les élèves brillent à l'examen du brevet puis dans les lycées publics. Mais Avicenne a tâtonné pour répondre aux exigences de la loi contre le séparatisme en matière de transparence sur l'origine de ses financements.
Là aussi, le tribunal administratif a estimé en référé que les erreurs relevées dans la comptabilité de l'établissement ne justifiaient pas la fermeture, en des termes laissant peu de suspense quant à la décision sur le fond, attendue fin juin.
Paradoxalement, le collège a vu ses candidatures doubler et va créer une classe supplémentaire en septembre. Mais il garde "un sentiment d'injustice" et "d'acharnement", explique son directeur Idir Arab: "Vous avez un petit projet qui marche dans un quartier où tout s'effondre, pourquoi aller le fermer ?"
Le collège, où les enseignants sont de toutes confessions et les tenues vestimentaires très diverses, réclame en vain depuis des années à passer sous contrat. "Ils parlent de séparatisme mais c'est nous qui subissons ce séparatisme", regrette M. Arab, également blessé par la condamnation sans réserve du collège par M. Estrosi.
Dans ce contexte, la proposition du maire de Nice de louer de nouveau la vaste salle du palais Nikaïa pour la fin du ramadan, envoyée aux associations cultuelles moins de 48 heures avant la fête, est restée lettre morte en avril.
De même, les options se réduisent pour le sacrifice de l'Aïd al-Adha, ou Aïd el-Kébir, qui débute dimanche en France, après que le dernier site agréé dans le département pour accueillir les fidèles a été épinglé par la justice. Plus de 600 ovins et 45 bovins y ont été saisis fin mai.
Par comparaison, cinq sites sont agréés dans le Var voisin. Résultat: à Nice, beaucoup de familles se sont résolues à envoyer l'argent du sacrifice à l'étranger.
Contactés par l'AFP, M. Estrosi n'a pas donné suite tandis que M. Moutouh n'a pas pu répondre en raison de la réserve électorale.