Élections législatives anticipées: où va la France ?
Avec ces législatives anticipées, le président Macron semble avoir ouvert la boîte de Pandore avec la possible arrivée du RN au pouvoir et la résurrection d’une Gauche que lui-même pensait en mort clinique.
Avec ces législatives anticipées, le président Macron rend possible l'arrivée au pouvoir du RN. Ici, des affiches électorales à Bordeaux  / Photo: AFP (AFP)

La start-up Nation rêvée par Emmanuel Macron semble avoir mis la clé sous la porte. Au lieu de cela, un chaos généralisé qui place la France à un point de bascule. Un point au moins aussi important que la chute de la quatrième république et l’avènement de la cinquième.

Avec 32.3% des suffrages obtenus aux élections européennes (plus du double du score de Valérie Hayer, candidate Renaissance à 15,2%), Jordan Bardella et le Rassemblement national ont balayé le scrutin, poussant Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale.

Dans une allocution télévisée, dans le sillage de celle de J.Bardella, le Président de la République s’est justifié : “Après avoir procédé aux consultations prévues à l'article 12 de notre Constitution, j'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote”. Une déclaration inévitable pour certains tant la majorité s’est retrouvée acculée par le score vertigineux du RN. Une déclaration aux airs de coup de poker pour d’autres. Car la dissolution de la Chambre basse, intervenue à cinq reprises (1962, 1968, 1981, 1988 et 1997) n’a pas tourné à l’avantage de l’exécutif.

Avec une extrême droite aussi haut, le risque pris par Emmanuel Macron interroge directement la responsabilité du Chef de l’État. Comment alors sortir du chaos politique engendré par cette dissolution surprise ? Un chaos synonyme de polarisation du débat politique mais aussi -en cas de cohabitation- de France ingouvernable ?

Tout dépendra bien sûr de la recomposition de l’Assemblée nationale à l’issue des élections législatives anticipées. Une recomposition qui s’articule, officiellement autour de trois blocs, le camp macroniste (Renaissance, Modem et Horizons) écrasée par le RN et le Nouveau Front populaire, formé à l’appel des partis de gauche, au lendemain de la dissolution.

Crédité de 20% des intentions de vote (sondage Toluna Harris Interactive), le camp macroniste ne devrait pas se relever de son camouflet des européennes, confirmant, ainsi, le crépuscule de la majorité présidentielle. Et du Macronisme.

Apparaissent, alors, comme les nouvelles forces de l’échiquier politique recomposé, le bloc d’extrême droite crédité de 33% des votes et celui de la Gauche, à 27%, réuni autour de la France Insoumise, du Parti socialiste, de Place publique, du Parti communiste, des écologistes et du Nouveau Parti anticapitaliste.

Un attelage boiteux tant les dissensions liées aux positions des Insoumis sur Gaza et la guerre en Ukraine ont éclaté au grand jour. Des dissensions mises temporairement de côté, compte tenu des résultats du RN et de l’urgence à lui barrer la route du Palais Bourbon. Un Front populaire calqué sur celui de 1936, à l’initiative de Léon Blum, et sur lequel Emmanuel Macron n’aurait jamais parié un centime.

Sursaut (fragile) de la Gauche

Si cette alliance inespérée qui porte davantage atteinte au camp macroniste que lepéniste, talonne le RN, les lignes de fracture en interne restent profondes au sein même des électorats. Raphaël Glucksmann, tête de liste Place Publique-PS aux Européennes, s’est vu critiqué pour son ralliement, certes tardif, au Nouveau Front populaire.

Taxée d’antisémitisme par une partie de la classe politique, LFI a fonctionné comme un repoussoir pour l’élu européen qui n’a, d’ailleurs, pas participé à l’accord de création du NFP.

Parmi les griefs contre LFI, le refus de qualifier le mouvement de résistance palestinien Hamas comme “un mouvement terroriste” et donc de minorer, implicitement, l’attaque du 7 octobre mais aussi la personnalisation du pouvoir en la personne de Jean-Luc Mélenchon. Le fondateur étant, régulièrement, accusé d’imposer ses vues. D’ailleurs, l’investiture de deux candidats de terrain -Sabrina Ali Benali dans le Val de Marne et Aly Diouara- au détriment d’Alexis Corbière et de Raquel Garrido, critiques à l’égard de Jean-Luc Mélenchon… Reste que le choix des deux candidats reflète une réalité. Le NFP l’a compris. Défendre des idées de gauche, les quartiers et ou les Français héritiers de l’immigration, premières cibles du RN, sans les concernés serait un non-sens.

Vote individualiste

Des électorats volatiles, donc, et qui semblent épouser des intérêts individuels plutôt que collectifs. Dans cette recomposition, la dimension individualiste du vote pourrait expliquer la façon dont les cartes sont rebattues, parfois de manière irrationnelle.

Sinon comment expliquer l’inclination des Français de confession ou de culture juive envers le RN ? Dans un entretien accordé à LCI, le 15 juin, Serge Klarsfeld, 88 ans, historien, avocat et rescapé de la Shoah, déclarait, sans ambages, qu'il “votera pour le Rassemblement national, parce que l’axe de ma vie, c'est la défense de la mémoire juive, la défense des Juifs persécutés, la défense d’Israël”. Et le militant de la mémoire juive a le devoir de choisir entre “un parti antisémite et un parti projuif” à savoir le RN.

Si les propos du militant de la mémoire de l’Holocauste ont été largement commentés, ils illustrent bien la place qu’occupe la défense d’Israël, démocratie ethnique et religieuse, pour ces Français juifs. D’ailleurs, en Israël, l’extrême droite de Marion Maréchal et de Reconquête est arrivée en tête avec 45% des voix.

La France mûre pour l’extrême droite

Encouragé par son triomphe aux européennes, Jordan Bardella, qui a présenté, lundi 24 juin, son programme politique, semble se rapprocher de Matignon. Un nouveau sondage (Odoxa) publié le même jour, montre que 57% des personnes interrogées se disent prêtes à ce que l’extrême droite arrive au pouvoir, 28% d’entre elles souhaitent une victoire du RN. Le reste -27%, sorte de ventre mou, ne souhaite, ni ne craint son arrivée aux affaires.

Il y a eu un changement de paradigme silencieux et progressif en France. Le macronisme ayant été une étape tout comme le vallsisme (Manuel Valls, ancien premier ministre) et le sarkozysme (Nicolas Sarkozy, ancien président).

Le vote barrage au FN était d’envergure en 2002 -Chirac écrasait Jean-Marie Le Pen avec 82% des suffrages au deuxième tour de la présidentielle- mais il s’est réduit comme une peau de chagrin.

Selon l’​​Institut d'études indépendant Odoxa, 47% des électeurs veulent contrer le NFP contre 41% au RN. Un retournement de situation pour la Gauche jugée ambiguë sur des questions telles que l’antisémitisme sur lesquelles LFI n’a pourtant jamais été condamnée.

Or, le vote, s’il s’expliquait jusqu’ici par la sociologie, revêt aussi une dimension irrationnelle et affective où se mêle le rejet de la personne d'Emmanuel Macron et la séduction que représente l’image lisse et sympathique du jeune Bardella de 28 ans. Le nouveau chef du Rassemblement national, l’homme au million d’abonnés Tik Tok, celui qui serre les mains et affiche un grand sourire permanent, pourrait devenir, le 7 juillet prochain; le nouveau Premier ministre français et, ironie du sort, pourrait refermer la page du macronisme.

TRT Francais