El Mordjene : Une interdiction qui suscite la controverse
Les deux dernières cargaisons de la pâte à tartiner El Mordjene seraient bloquées à la douane française. Le produit, tant convoité par les consommateurs, est depuis ce week-end interdit en Europe.
A Massy, depuis plusieurs semaines, les clients font le pied de grue par dizaines devant le marché de l’Opéra. Dans cette épicerie du 91, les consommateurs viennent " de toute la France, parfois même de Belgique, de Suisse ou d’Angleterre", pour un pot de pâte à tartiner (Rita Reyes) (Others)

La pâte à tartiner el Mordjene, ne pourra plus être importée en France ni même dans l’UE. Le produit Algérien de la marque Cebon, qui fait le buzz depuis plusieurs semaines, ne serait pas conforme aux réglementations européennes, selon le ministère français de l’Agriculture.

Le ministère français assure que l’Algérie ne remplit pas “l'ensemble des conditions nécessaires pour permettre à un pays tiers d'exporter vers l'Union européenne des marchandises contenant des produits laitiers destinés à la consommation humaine dans le respect des exigences européennes en matière de santé animale et de sécurité sanitaire des aliments"

En effet, l’union Européenne possède une législation alimentaire rigoureuse en vue de "protéger la santé humaine et les intérêts des consommateurs” et de “favoriser le bon fonctionnement du marché unique". Selon l’article 20, 3ème alinéa, du règlement n°2202/2292, seuls certains pays sont autorisés à exporter des produits contenant du lait. L’Algérie ne fait pas partie de cette liste.

Pourtant la pâte à tartiner El Mordjene circulerait sans problème depuis sa commercialisation en 2021. Si le ministère Français de l’Agriculture précise avoir ouvert une enquête dans ce sens, du côté des consommateurs, la situation a laissé place à l’incompréhension et la colère.

L’Algérie dans le viseur de la France ?

A Massy dans l’Essonne, Sadi a parcouru près de 40 km pour se procurer la célèbre pâte à tartiner. Malgré plus d’une heure et demie de trajet, le Franco-algérien est rapidement déçu à son arrivée.

"J'ai eu la mauvaise surprise de voir qu'il n'y en avait plus. Lorsque j’ai demandé pourquoi, on m'a expliqué que l’exportation de cette pâte était interdite en Europe. Une nouvelle loi, apparemment. J'ai effectué des recherches et franchement, c'est plutôt un acharnement contre l'Algérie. Il y a eu tout ce qu’il s'est passé pendant les Jeux Olympiques (NDLR : polémique autour d’Imane Khelif) et maintenant on nous interdit la pâte à tartiner!"

Même son de cloche du côté de Samar venue elle aussi de loin à la recherche de la pâte "au goût de Kinder Bueno".

"Je trouve ça dommage, en réalité, parce qu’aujourd'hui il n'y a plus de pâte à tartiner El Mordjene". Elles ont été bloquées, car tout simplement c'est un concurrent redoutable du Nutella."

Si jusque-là certains commerces affichaient une "rupture de stock" temporaire, désormais face aux dernières annonces, se procurer de la pâte à tartiner algérienne devient quasiment impossible. Les deux dernières cargaisons seraient, selon les commerçants, bloquées au Port de Marseille.

A Massy, depuis plusieurs semaines, les clients font le pied de grue par dizaines devant le marché de l’Opéra. Dans cette épicerie du 91, les consommateurs viennent " de toute la France, parfois même de Belgique, de Suisse ou d’Angleterre", pour un pot de pâte à tartiner. Depuis ce week-end Faiçal, le responsable de la superette est contraint de décevoir des centaines de clients.

"C'est compliqué parce qu’il y a une énorme demande vu l'engouement. C'est difficile de répondre à la demande des gens, on n'a pas assez de marchandises. Ce n'est pas que la clientèle maghrébine, loin de là. Tout le monde en veut parce que tout le monde mange du Nutella. On voudrait bien que ça se débloque, franchement, parce que ça fait plaisir à tout le monde."

En Algérie, si la société Cebon communique très peu sur le sujet, l'Association algérienne de protection et d'orientation du consommateur et son environnement, explique à TRT Français de son côté que "l’entreprise algérienne fondée en 1997 par deux frères, est devenue victime de son propre succès". Face à l’interdiction du produit en Europe, l’APOCE émet certains doutes.

"Ce qui est inquiétant c'est que ce produit n'a commencé à déranger en Europe et en France de manière particulière, qu'à partir du moment où il a eu du succès. Pendant des années, il a été vendu, avec d'autres produits algériens de la même catégorie et de la même entreprise et puis d'un coup, en septembre 2024, on nous annonce que c'est un produit qui n'est pas conforme. Alors la question qu'on se pose c’est,est-ce que c'est réellement parce que le produit n'est pas conforme ? Ou est-ce que c'est un lobby d'entreprises puissantes qui ont manœuvré pour que cette interdiction se fasse ?, se demande Hadj bekkouch Habib Marouane, chargé des relations publiques de l’APOCE à TRT Français.

Et d’ajouter "il faut savoir que ce produit a déjà été testé par l'Organisation algérienne de la protection du consommateur. Nous détenons un label propre à notre organisation, qui soumet les produits à une sorte de concours et on laisse le consommateur faire son choix. En 2023, c’est le produit El Mordjene qui a été labelisé Ikhtiyari (mon choix, ndlr). Cela veut dire que le produit est déjà testé en Algérie et il correspond déjà aux normes, puisqu’avant d’intégrer un produit à ce concours, on fait une série d'analyses. On ne laisse pas un produit nocif pour la santé sur le marché, on n'en fait pas un produit à publicité."

« L'image de l'Algérie dérange »

Pour l’APOCE, la polémique d’El Mordjene ne serait pas liée à un problème de sécurité sanitaire puis qu” “le lait en poudre utilisé pour la fabrication du produit proviendrait notamment de France”.

" L’Algérie est un pays qui autrefois était étiqueté d'être exclusivement pétrolier, et qui n'avait aucune production. Aujourd'hui, c'est un pays qui essaie d'en sortir, et qui essaie de diversifier son économie. Donc, ce qu'il faut savoir, c'est que quand on s'attaque à un produit algérien comme ça, on s'attaque à l'économie algérienne. Aujourd’hui, on commence avec ElMordjene. Si on se tait, ce seront d'autres produits qui seront attaqués. L'image de l'Algérie, aujourd'hui, on a l'impression qu'elle dérange.", indique le chargé des relations publiques de l’APOCE.

Selon Hadj Bekkouch, ce genre de polémiques pourrait avoir des conséquences à long terme sur la commercialisation de produits étrangers en Algérie.

"Nous ne voulons pas d'une confrontation entre l'Algérie et la France. Nous appartenons à une génération qui veut réellement un échange économique, basé sur la confiance avec un principe gagnant-gagnant. Nous espérons aussi que l'Association de protection du consommateur en France fasse un pas pour le bien du consommateur français. On a tendance à ne pas comprendre le marché algérien. Aujourd’hui il y a des entreprises étrangères en Algérie, il y a très certainement d'autres entreprises françaises ou autres qui voudront s'installer en Algérie. Si on agit de la sorte avec des produits algériens, il ne faudra pas s'attendre à ce que ça se passe bien pour les produits étrangers en Algérie."

Pour le moment, L’APOCE "attend que les autorités françaises prennent part à ce dossier." De leur côté, de nombreux commerçants de l’hexagone disent espérer un déblocage de la situation. Pour leur part, les consommateurs de la pâte à tartiner continuent de contester, sur la toile, l’interdiction du produit en Europe. Certains ont lancé le Htag #Liberezelmordjene pendant que d’autres appellent au boycott des concurrents d’El Mordjene.

TRT Francais