Gérald Darmanin enfonce le clou. Depuis l’annonce tonitruante de la fin du droit du sol à Mayotte, le ministre de l’Intérieur assume et persifle. "Il faudrait, donc, que les beaux esprits parisiens que j’entends depuis dimanche (…) sortent du périphérique et aillent à Mayotte", a exhorté le ministre dans un interview accordée au quotidien régional Ouest-France. Une adresse sarcastique lancée à ses détracteurs jugés déconnectés du terrain contrairement à lui.
Annoncée dimanche, depuis Mayotte,"la décision radicale", pour reprendre les termes de Darmanin, à savoir d’acter la fin du droit du sol, donne le sentiment d’ouvrir une boîte de Pandore. D’autant que l’annonce semble compenser le délaissement de l’État français. A balayer les chiffres clés concernant ce département, on comprend que la question sécuritaire semble plus opportune que la question sociale. Le département le plus jeune et le plus pauvre de France connaît un taux de chômage record culminant à 70% ; 42% de la population vit avec moins de 160 euros par mois… Les chiffres sont parlants et montrent mal comment le droit du sol pourrait endiguer des enjeux structurels, issus de l’abandon socio-économique de l’État français.
Appel d’air à l’extrême-droite
Si le premier flic de France assure circonscrire cette mesure à Mayotte, uniquement, il est difficile d’ignorer le champ des possibles qu’elle ouvre. Du côté de la droite, Eric Ciotti, patron de Les Républicains, appelle à étendre la suppression à tout le territoire national. Côté Rassemblement national, son président Jordan Bardella se réjouit de revoir les idées de son parti reprises par le gouvernement, martelant une nouvelle formule taillée pour les réseaux sociaux : "la nationalité française s’hérite ou se mérite".
Si le ministre Darmanin se défend d’être"dans l’idéologie", la mesure annoncée dimanche émane pourtant d’un positionnement politique payant électoralement. La question de l’immigration étant l’éternelle martingale de politiques avides de rendement électoral, il n’est pas étonnant, alors, de voir le gouvernement, souvent accusé de naviguer à vue, de poursuivre dans cette voie. D’ailleurs, la suppression voulue par G. Darmanin marque une régression. En vigueur depuis 1993, le droit du sol à Mayotte succède au droit colonial. Jusqu’à cette période, la loi établissait une distinction dans les démarches d’obtention de la nationalité française. Habitants de l’Hexagone et Mahorais n’étaient pas logés à la même enseigne. La loi Pasqua-Méhaignerie abroge ce statut dérogatoire remettant tous les Français sur le même pied d’égalité.
Limitation du droit du sol dès 2018
Dans une île où Marine Le Pen a obtenu 59% des suffrages à l’élection présidentielle de 2022, la mesure annoncée réjouit-elle la population mahoraise ? Darmanin répond par l'affirmative. Un constat auquel Estelle Youssoupha, députée LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) souscrit. Ses nombreuses prises de position médiatiques dénoncent l’insécurité générée par l’immigration clandestine, à commencer par celle issue des Comores.
Autre phénomène pointé par l’élue, celui des"bébés papiers". Chaque année, sur les 12 000 naissances à l’hôpital de Mayotte, 90% des mamans sont comoriennes ou étrangères, rappelle-t-elle. Et E. Youssoupha d'ajouter: "elles viennent uniquement pour le droit du sol". Largement élue en 2022, ses propos reflètent, visiblement, l’avis d’une majorité de Mahorais. D’ailleurs, en 2018, en première lecture du projet de loi Asile et immigration, le Sénat avait adopté un amendement du sénateur LREM de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi. Il limitait le droit du sol à une condition pour les enfants nés sur l’île : la présence régulière sur le territoire national de plus de trois mois.
Un précédent révélant, aujourd’hui, le durcissement de la politique de la France en matière de droit de la nationalité. Et qui inquiète les spécialistes du droit.
Vers une révision constitutionnelle
David Libeskind, avocat, pointe la rupture de l’unité du droit introduite par le ministre."La République est une et indivisible. Cette situation de différence viole les principes constitutionnels et l’égalité des citoyens devant la loi", s’inquiète-t-il.
L’avocat va même plus loin."Quand on sait qu’une personne sur deux est étrangère à Mayotte, on voit bien que de moins en moins d’enfants auront la nationalité. En effet, avec les dispositions envisagées par Darmanin, il faudra que les deux parents soient français pour que l’enfant obtienne la nationalité. On va donc vers une érosion du nombre de Français dans ce territoire". En un mot, il ne sera plus possible de devenir Français, si l’on n’est pas soi-même enfant de parent français.
Piège, instrumentalisation ou coup marketing, les réactions ne manquent pas depuis dimanche. Si certains doutent de l’aboutissement du projet, David Libeskin, lui, s’en inquiète."La mesure a toutes les chances de passer", selon lui. Concrètement, deux options se présentent à G. Darmanin pour mener son projet à son terme.
"Soit Macron passe par un référendum après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées du parlement. Après tout, le sujet concerne tous les Français. Soit, il réunit le parlement en congrès à Versailles auquel cas, il lui faudra obtenir 3/5 des suffrages du congrès pour ouvrir une révision constitutionnelle. Avec un sénat à droite et une majorité relative au palais Bourbon, cela a toutes les chances de passer…".
Si le projet devait aller jusqu’à son terme, D. Libeskin y verrait "un coup de griffe aux valeurs républicaines. Sur la nationalité, il y a toujours eu unanimité entre la droite et la gauche", souligne-t-il. "Abandonner le droit du sol au profit du droit du sang, c’est ouvrir la porte à une conception racialiste de la nationalité française".