Leur demeure de plain-pied, construite sur une terre argileuse, subit les mouvements du sol, qui gonfle avec l'humidité et se tasse en période de sécheresse.
En 2003, année d'une canicule mémorable, les premières fissures étaient apparues. Leur commune de Coulaines dans le département de la Sarthe (ouest) avait été classée en état de catastrophe naturelle et l'assurance avait payé pour refaire les murs abîmés.
Mais à l'été 2020, des fissures "en escalier", les plus sérieuses, sont à nouveau apparues sur un mur de la maison. Puis sur un deuxième en 2022.
"Quand on a vu le mur comme ça... ça fait peur", confie Jean-Luc Chisson, ancien chauffeur-livreur âgé de 62 ans.
Président de l'association Urgence Maisons fissurées Sarthe, qui revendique 400 adhérents, Mohamed Benyahia voit sa maison, dans la commune voisine de Neuville-sur-Sarthe, traversée depuis 2018 par une impressionnante lézarde, que des travaux curatifs n'ont pas résorbée.
"Depuis septembre 2018, je ne vis plus de la même façon. Plus d'activités personnelles, plus de loisirs...", confie cet ingénieur en informatique de 62 ans. "Même l'envie de faire un barbec', je ne l'ai plus".
Qui paie ?
Comme eux, des millions de Français sont vulnérables au risque dit de "retrait-gonflement des argiles".
Appelé à s'aggraver avec le réchauffement climatique, qui accentue la fréquence et l'intensité des sécheresses, il menace surtout les maisons individuelles, aux fondations peu profondes. Plus de 10 millions, soit une sur deux, sont construites sur un sol classé à risque moyen ou fort.
Une situation qui pose un problème économique majeur: qui paie les coûteux travaux de réparation et de prévention ?
En France, le risque est couvert par le régime d'assurance des catastrophes naturelles. Mais beaucoup de victimes ne parviennent pas à se faire indemniser.
A Coulaines, une quarantaine de maisons se sont fissurées suite à l'été caniculaire 2022. Mais faute d'un arrêté ministériel de catastrophe naturelle incluant leur commune, personne n'a pu être indemnisé.
"On ne peut que regarder la maison s'écrouler !", grince Sylvie Chisson. En 2020, elle n'a eu droit à rien non plus, pour les mêmes raisons.
"Ce qu'on ne comprend pas, ce sont les différences de traitement d'une commune à l'autre", déplore le maire socialiste de Coulaines, Christophe Rouillon. "Qu'est-ce qui fait qu'une commune à 10 kilomètres est retenue alors qu'une autre ne l'est pas ? Avec des terres qui sont les mêmes, les températures qui sont les mêmes..."
Coûts triplés
C'est à ce défaut qu'entend s'attaquer une proposition de loi portée par l'écologiste Sandrine Rousseau, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale.
"C'est une loi qui prend à bras le corps la protection dans le réchauffement climatique. Parce que là, une maison sur deux est menacée, ce qui signifie que si vous laissez faire, ni les assureurs ni l'Etat ne seront en capacité de gérer. Et donc il faut modifier les choses pour que l'Etat puisse anticiper", explique la députée à l'AFP.
Le texte prévoit de faciliter la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dans les communes touchées. Et là où il a été reconnu, il rend plus difficile pour les assureurs de refuser des indemnisations.
"C'est vraiment un changement de rapport de force des assurés par rapport aux assureurs. Souvent, les assureurs essaient de montrer que ce n'est pas le retrait-gonflement des argiles la cause principale des désordres, ce qui laisse les propriétaires dans leur grande difficulté", justifie-t-elle.
Cette dernière mesure suscite l'opposition des assureurs, qui estiment qu'elle leur coûterait environ 1 milliard d'euros supplémentaire chaque année.
"Une telle décision aurait un impact financier très, très important sur l'équilibre financier du régime, qui est déjà déficitaire depuis plusieurs années", avance la présidente de France Assureurs, Florence Lustman.
Selon cette fédération, sur la période 2020-2050 et à réglementation constante, le coût des sinistres liés au retrait-gonflement des argiles devrait tripler par rapport aux trente années précédentes, et passer de 13,8 à 43 milliards d'euros.