«Je suis candidate à l’élection présidentielle de décembre prochain ». A l’issue d’une réunion du Conseil national de son parti l’Union pour la citoyenneté et le Progrès (UCP, opposition laïque), Zoubida Assoul a annoncé vendredi, d’un ton grave et solennel, son intention de briguer la présidence de la République algérienne, devenant ainsi la première personnalité politique à afficher clairement ses ambitions pour les prochaines élections présidentielles.
La célèbre avocate, qui défend notamment les détenus politiques et d’opinion emprisonnés après le Hirak de 2019, sait que déclarer son intention de se présenter à l’élection présidentielle n’est qu’une étape dans un long processus qui la conduira au scrutin prévu fin 2024 parce qu’il faudra que son dossier soit accepté par les instances concernées. Mais, « je ne me présente pas pour jouer les figurants. Je suis candidate pour gagner », a-t-elle déclaré .
A huit mois de l’élection présidentielle, l’annonce de la candidature de Zoubida Assoul sonne comme la fin d’un tabou. Jusque-là, la scène politique algérienne est comme paralysée ; aucun homme ou femme politique ne voulant s’avancer. « L’élection présidentielle est comme un tabou », s’est plaint récemment Belkacem Sahli, le président de l’Alliance nationale républicaine (ANR, parti d’opposition modérée de tendance libérale). Le constat est partagé par de nombreux acteurs politiques et ceux issus du mouvement associatif.
« Cette échéance électorale est une (…) opportunité à ne pas rater » pour l’Algérie, a plaidé, pour sa part, Abdelouhab Fersaoui, une figure connue du mouvement associatif.
Cette absence de candidatures à la présidentielle a des raisons. Les partis de l’opposition mettent en cause la fermeture des espaces médiatiques et politiques. Ainsi, les chaînes de télévisions, publiques comme privées, n’organisent plus de débats contradictoires comme ce fut le cas durant la présidence d’Adelaziz Bouteflika. Pis, les activités, de plus en plus nombreuses, de l’opposition ne trouvent pas écho dans les médias. Preuve en est que lors de la conférence de presse lors de laquelle Zoubida Assoul a annoncé sa candidature, il n’y avait aucun média d’importance pour couvrir l’évènement. Seuls cinq journalistes, travaillant pour des médias en ligne ou la presse étrangère, étaient présents. « Les impératifs liés à la sécurité nationale, que nul patriote ne met en cause, (…) ne doivent pas conduire à bâillonner la société et à provoquer l’extinction de toute vie démocratique dans le pays », a ainsi dénoncé, vendredi Youcef Aouchiche, premier secrétaire national du Front des Forces socialistes (FFS, plus ancien parti de l’opposition). « (…). Jusqu’à aujourd’hui, les conditions d’une présidentielle ouverte, transparente et démocratique ne sont pas en place», a regretté, quant à elle, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT, opposition issue de la gauche ouvrière).
Hanoune, doyenne des femmes politiques algériennes, a été plusieurs fois candidate à l’élection présidentielle. Récemment, elle a été reçue par le président Abdelmadjid Tebboune qui l’aurait assurée de sa volonté de laisser la classe politique s’exprimer. «Nous enregistrons le lancement d’une trajectoire politique porteuse de solutions, commençant par une ouverture politique et médiatique – non encore complète », a-t-elle encore nuancé récemment.
En attendant que la situation s’éclaircisse, des idées surgissent auprès de certains cercles politiques qui préconisent de possibles candidatures communes à certains partis politiques. Ainsi, Belkacem Sahli a appelé récemment les formations politiques du « camp démocratique », soit l’ensemble de partis libéraux, à « présenter un candidat commun » face à celui du pouvoir. « Aucun parti ne peut remporter, seul, les élections. C’est pour cela que nous devons unir nos forces », a précisé le jeune politique qui fut ministre sous Abdelaziz Bouteflika, soit une proximité passée avec les autorités qui lui vaut la méfiance de certains autres partis de l’opposition. « Je le dis publiquement : si un candidat de l’opposition émerge et peut nous faire gagner, je peux renoncer à être candidate », a soutenu Zoubida Assoul qui révèle avoir déjà travaillé, en vain, avec d’autres partis politiques pour appuyer une candidature commune.
Au sein du courant islamiste, une seule figure sort du lot : l’ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP, proche des Frères musulmans) qui a annoncé l’an dernier son intention de se porter candidat à la présidentielle si son parti le choisit. « J’ai l’expérience et les compétences pour présider l’Algérie », avait-il indiqué. Récemment, il a néanmoins annoncé que les autorités l’ont empêché de quitter le pays pour des « raisons inconnues ». Cette interdiction lui a été signifiée alors qu’il se préparait à voyager au Qatar puis en Malaisie “pour des activités liées à son soutien à la Palestine dans le cadre du « Forum de Kuala Lumpur »” qu’il préside. Cette situation risque donc de compromettre ses chances lors des prochaines échéances électorales.
En face, le président Abdelmadjid Tebboune n’a pas encore affiché ses intentions même si nombre de ses partisans semblent le pousser vers une deuxième candidature . Le président du Sénat, Salah Gioudjil, 92 ans, ancien maquisard durant la guerre d’indépendance (1954-1962) et deuxième personnage de l’Etat dans l’ordre protocolaire, a ainsi appelé le chef de l’Etat à se représenter. Des comités locaux de soutien à cette possible candidature sont également mis en place par des proches de Tebboune. Mais leurs activités sont parcimonieuses pour l’instant et ils attendent sûrement le feu vert du concerné pour se lancer dans la bataille. Le but étant double : lever l’ambiguïté sur les intentions de l’actuel chef de l’Etat et tordre le cou aux rumeurs évoquant un possible report du scrutin, une fausse information qui ferait suite à une mauvaise interprétation d’une déclaration d’un homme politique proche du pouvoir qui a évoqué cette possibilité. Abdelkader Bengrina, président du parti islamiste El-Bina (la construction) et ancien candidat à l’élection de 2019, a en effet indiqué que « normalement » les élections présidentielles auront lieu « comme prévu » en décembre prochain. «Pour l’instant, rien ne justifie cette possibilité », a-t-il ajouté. Cela a suffi pour certains d’attribuer aux autorités l’intention de décaler l’élection. .
Dans les prochaines semaines, d’autres partis et personnalités vont certainement faire connaître leurs intentions par rapport à la Présidentielle de décembre, ce qui laisse entrevoir la perspective d’une scène politique plus animée.