Une action devant le siège de Safran, groupe industriel français, près de Paris a eu lieu ce lundi 11 mars pour dénoncer la “complicité de l’entreprise française dans le génocide du peuple palestinien”. (Others)

Ce lundi matin, ils sont une vingtaine, hommes et femmes de tout âge, à scander en chœur "Israël assassin, Safran complice !" devant le siège de Safran Electronics & Defense, à Malakoff, aux portes de Paris. Ils sont venus demander que "Safran, et toutes les entreprises d’armement, cessent toute collaboration et livraison d’armes, de technologie militaire et de pièces détachées à Israël".

"Safran est une entreprise complice du génocide en Palestine" explique Loïc, professeur de philosophie de 38 ans, cofondateur de Stop Arming Israel, un collectif français constitué début novembre 2023, en réponse à l’appel à l’aide lancé le 16 octobre 2023 par le collectif de syndicats palestiniens Workers in Palestine "End all complicity. Stop Arming Israel".

"Safran collabore avec des entreprises d’armement israéliennes, explique Loïc, qui a dû se former sur la question et consacre désormais tout son temps libre à cette campagne.

En 2010, Safran a annoncé avoir développé un drone avec Elbit systems, le premier fabricant d’armes en Israël. Et depuis 2021, ils développent des jumelles avec Raphael, le deuxième fabricant d’armes israélien, qui permettent de mieux viser et cibler les Palestiniens pour que les bombes tombent mieux dessus".

"Safran vend des composants électroniques à l’armée israélienne qui sont intégrés au système anti-missile aérien Arrow 3, qui est le Dôme de fer", explique de son côté Laura, également cofondatrice de la campagne Stop Arming Israël, en lisant le communiqué au mégaphone devant l’entreprise française.

"On est là aujourd'hui pour pointer du doigt Safran. Ça pourrait être Thales, Dassault, MBDA, Nexter et beaucoup d’autres » explique Loic. En effet, le collectif, depuis une première action de sensibilisation menée le 15 novembre devant le Milipol, le salon international de l'armement et de la sécurité intérieure des États, se rend chaque semaine sur les sites d’entreprises d’armement.

"Au salon Milipol, il y avait 52 entreprises israéliennes invitées pour faire la promotion de leurs armes qui sont testées sur le peuple palestinien qui est vraiment utilisé comme cobaye pour le développement des armes et des technologies militaires. Ils les mettent d’ailleurs en avant comme étant éprouvées au combat", se rappelle Laura, qui s’était rendue devant ce salon avec d’autres militants "pour dénoncer la présence de ces entreprises et toutes les entreprises complices qui contribuent à l'armement d’Israël".

La France, fournisseur historique d’armement à Israël

"Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, il faut remonter dans l'histoire puisque la France a été le premier fournisseur d'armement d'Israël au moment de sa création, de 1948 jusqu’en 1967, non seulement du matériel, des armes prêtes à l’emploi mais aussi des usines qui lui ont permis après de constituer aussi sa propre industrie d’armement", expliquait quelques jours plus tôt Patrice Bouveret, le directeur de l’Observatoire des armements, auteur d’un ouvrage intitulé La coopération militaire et sécuritaire France-Israël, publié en 2017.

"De Gaulle a imposé en 1967 un embargo, qui ne concernait d'ailleurs pas qu’Israël mais le Moyen-Orient au moment d'un déclenchement de la guerre. La coopération militaire a ensuite repris dans les années 80 mais de manière totalement différente, parce qu'Israël, entre temps, avait bien évidemment construit sa propre industrie d'armement, notamment avec l'aide des Etats-Unis. Et donc la coopération qui se construit est une coopération d'échange au vrai sens du terme. La France a aussi acheté des armes à Israël, et continue d'acheter du matériel militaire dans des domaines que la France n'avait pas développés, notamment toute la technologie des drones qui provient au départ d'Israël. Et la France, de son côté, ne vend plus des armes terminées, des fusils, des canons, des chars ou des avions comme elle a pu le faire, elle vend des éléments qui entrent dans la fabrication des armes, mais qu'Israël assemble elle-même".

Pour le chercheur, c’est ce qui permet au gouvernement français d’affirmer que la France ne vend pas de matériel militaire, mais "que des composants et dans des montants extrêmement faibles". "Ce qui est vrai en soi, si on compare au montant global d’armement vendu par la France, troisième exportateur d'armes dans le monde, le premier par tête d'habitant vue la population (ndlr: La France est devenue depuis le deuxième exportateur d'armes au monde). ". La France vend 27 milliards d’euros d'armement dans le monde, et "seulement" 20 millions d’euros à Israël en moyenne, selon les rapports fournis par le ministère des Armées au parlement. "On a des difficultés à savoir précisément quel type de matériel la France vend à Israël" regrette Patrice Bouveret.

Mobilisation des travailleurs du secteur de l’armement

Depuis, les militants mènent au moins une fois par semaine une action de tractage devant les entreprises d’armement, devant les usines et les sièges "pour aller rencontrer les personnes qui travaillent dans le secteur de l'armement, les informer et leur demander de partager les informations".

Selon l’ancienne ministre des Armées Florence Parly, ils seraient 200 000 à travailler dans l’armement en France. 85% d’entre eux sont des ingénieurs et 15% sont des ouvriers, selon des chiffres minutieusement référencés par Loic, qui est devenu par la force des choses expert en armement.

Ce lundi matin, c’est Asma qui est chargée de distribuer les tracts aux employés de Safran qui se rendent à leur bureau. La plupart se fendent d’un simple "merci" tandis que l’un d’entre eux lance un "j’assume".

Laura considère que les travailleurs du secteur de l’armement, "sont ceux qui peuvent agir le plus directement". "Ils ont des leviers, ils ont des informations" et "on n'est jamais très loin d'un résultat concret au final".

Pour s’en convaincre, Loic évoque la grève des dockers de Marseille qui avaient bloqué le 10 mars 1950 les expéditions de matériel militaire lors de la guerre d’Indochine : "Ça prouve que dans le passé, les dockers étaient capables d'arrêter les ports pour que les armes n'aillent pas tuer les gens. Nous, on appelle vraiment les travailleurs des ports, des aéroports, de l'armement à cesser le travail, refuser que leur travail serve à la fin à tuer des Palestiniens".

LFI appelle la France à cesser d’armer israël

Ce matin, ce ne sont pas des ingénieurs de Safran qui ont rejoint le rassemblement de Stop Arming Israel mais deux députés français, élus en Seine Saint Denis sous les couleurs de La France insoumise (LFI). Le fondateur de la formation, Jean-Luc Mélenchon est d’ailleurs intervenu lors de la manifestation à Paris le 9 mars 2024 pour appeler à un cessez-le-feu immédiat à Gaza : "Si les Etats-Unis d’Amérique cessent d’armer Israël, cessent d’armer Netanyahu, alors le massacre n’aura pas lieu. Si toutes les nations refusent de livrer des armes, le massacre n’aura pas lieu. Si l’Union européenne est capable de sanctionner militairement la Russie, elle doit être capable de sanctionner économiquement son partenaire, le gouvernement d’Israël."

"Le gouvernement français émet des protestations à l'Assemblée nationale, en disant ‘Ce n'est pas normal, on ne peut pas accepter ça, ce n'est pas tolérable’. Mais ça, ce sont des mots, des paroles, du blabla et c'est du vent. Parce que dans le même temps, la France continue à vendre et à exporter des armes à l'État d’Israël", regrette ainsi Jérôme Lepagne. "Pour l'instant, le gouvernement français est dans le double discours. Il est dans la duplicité. Il est dans les déclarations indignées pour la façade, mais en réalité et en coulisses, il continue sa politique. Sébastien Lecornu, le ministre de la Défense, il y a quelques jours, a tenu en quelque sorte à rassurer l'opinion et les députés qui l'interrogeaient en disant : ‘en définitive, on ne livre pas vraiment des armes, on livre quelques composants, etc’. Tout ça pour mieux noyer le poisson. Parce que dans le même temps, il continue à le faire. Pour l'instant, la position de la France n'a pas changé, elle n'a pas bougé. Mais notre responsabilité à nous, c'est d'établir les faits tels qu'ils sont et de dire : ‘Vous êtes responsables, vous êtes complices, on ne vous laissera pas faire’. Et il y a, il y a que par la mobilisation et l'amplification de la mobilisation qu'on peut faire bouger les lignes".

Son collègue Thomas Portes est présent au rassemblement ‘pour dire stop au génocide du peuple palestinien et pour dénoncer les complicités d'entreprises qui se font de l'argent sur le dos des cadavres des Palestiniens. C'est le cas de Safran, qui a vu ses actions en bourse augmenter, qui engrange des bénéfices records’.

Il estime "que le gouvernement français est en train de prendre conscience tardivement de ce qui est en train de se jouer en Palestine", mais enjoint urgemment la France "à prendre des sanctions immédiates contre Israël, que ce soit économiques ou au niveau des livraisons d’armes".

Ce matin, l’action devant le siège de Safran a duré à peine une heure, sans aucune violence. Elle s’inscrit dans le cadre d’une journée mondiale contre les entreprises d’armement complices du génocide, avec des actions dans plusieurs régions de France, ainsi qu’à Copenhague, Berlin ou Munich.

TRT Francais