La Russie pourrait lancer des vols directs entre Moscou et la République turque de Chypre du Nord (RTCN), un État soutenu et reconnu uniquement par la Turquie.
L'inauguration des vols constituerait un premier pas vers la reconnaissance par Moscou de l'État chypriote turc, une évolution cruciale qui intervient à un moment où la Russie est confrontée à de lourdes sanctions de la part de l'Occident.
L'information a été rapportée par le quotidien turc Milliyet et confirmée à TRT World par un haut responsable du ministère des affaires étrangères de la RTCN. Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait également déclaré qu'il serait "heureux" de voir des vols russes desservir la RTCN.
Moscou serait déjà en pourparlers avec la RTCN et Ankara au sujet d'une éventuelle trajectoire de vol. Il s'agit d'une avancée majeure qui signale un changement d’attitude de la Russie plus favorable à la RTCN. Les Chypriotes grecs et la Russie, qui ont en partage la tradition chrétienne orthodoxe, entretenaient des relations chaleureuses dans le passé.
"La question des avions russes est un sujet traitée à travers une diplomatie de couloir... Il y a une initiative de la Fédération de Russie sur cette question, mais nous ne savons pas comment cela va se terminer", a déclaré un haut diplomate chypriote turc à TRT World, sous couvert d'anonymat.
Ismail Bozkurt, un analyste politique chypriote turc qui fut membre du conseil consultatif présidentiel de la RTCN en charge des négociations avec l’ACG (Administration chypriote grecque), considère également les vols directs russes vers la RTCN comme une possibilité fort probable.
"Quand on regarde les faits, il semble possible que la Russie commence à opérer des vols directs vers la RTCN", a déclarée Bozkurt à TRT World. "Je pense également que la Russie pourrait lever sa pression sur les États turcs [d'Asie centrale] et les autoriser à reconnaître la RTCN", a-t-il ajouté, estimant que les vols directs russes seraient un atout positif pour l'avenir de celle-ci.
Si l'initiative des vols russes devenait une réalité, ce serait un grand pas pour la reconnaissance internationale de la RTCN, a encore indiqué ce diplomate chypriote turc.
Mardi, lors de la 77e session de l'Assemblée générale des Nations unies, le président turc Recep Tayyip Erdogan a également lancé un appel historique à la communauté internationale l’invitant à "reconnaître la RTCN dès que possible".
La RTCN a été créée en 1983 après l'échec des efforts visant à régler la question chypriote qui avait éclaté à la suite de l'intervention militaire de la Turquie en 1974, provoquée par un coup d'État fomenté par la Grèce dans l'île et visant son annexion par Athènes, dirigée à l’époque par une dictature militaire.
L’AGC est une autre entité politique du sud de Chypre dirigée par des Chypriotes grecs. Chypre, île divisée depuis cinq décennies, est située dans la région stratégique de la Méditerranée orientale où de riches réserves de gaz ont été récemment explorées par les États côtiers, dont la Turquie et la RTCN.
Alors que la communauté internationale, y compris la Russie, reconnaît l’AGC comme un État souverain, la Turquie, l'un des États garants de la République turque de Chypre, fondée en 1960 à la suite des traités de Zurich-Londres signés entre Ankara, Londres et Athènes, rejette cette reconnaissance qu'elle considère comme une injustice à l'égard des droits politiques des Chypriotes turcs.
Vers un changement de position ?
Dans des circonstances politiques radicalement différentes, la Russie semble s'éloigner non seulement des Chypriotes grecs, mais aussi de la Grèce, les deux alliés s'étant récemment rapprochés des positions américaines contre Moscou.
D'autre part, la Russie s’est rapprochée de certaines positions turques dans différents conflits régionaux tels que la question chypriote à la faveur de la diplomatie équilibrée adoptée par la Turquie concernant le conflit ukrainien et d'autres questions telles que la guerre en Syrie.
La Turquie, alliée de l'OTAN, s’est attelée à trouver un terrain d'entente entre l'alliance occidentale et la Russie sur l'Ukraine. Elle a également joué un rôle de médiateur entre Kiev et Moscou, ce qui lui a valu les éloges de différentes puissances politiques du monde, y compris le Kremlin.
"Les relations de la Russie avec la Grèce et les Grecs chypriotes sont traditionnellement très bonnes, mais récemment, leur rapprochement avec les États-Unis a suscité la colère de Moscou", explique le responsable chypriote turc. Les relations se sont détériorées davantage depuis que les États-Unis ont levé l'embargo sur les armes à destination de l’AGC, a-t-il noté.
Selon le diplomate chypriote turc, les États-Unis ont promis aux Chypriotes grecs de lever l'embargo sur les armes à destination de l’AGC s'ils remplissaient deux conditions politiques cruciales relatives à la Russie.
Tout d'abord, Washington a demandé une "coopération avec les États-Unis dans la lutte contre le blanchiment d'argent", indique le diplomate, expliquant que le véritable objectif est de contrôler les activités des compagnies offshore russes dans le sud de Chypre.
Deuxièmement, les Etats-Unis ont demandé à l’AGC d'empêcher les navires militaires russes de s'approvisionner dans les ports du sud de Chypre sous contrôle chypriote grec, selon le diplomate.
L’AGC s’est apparemment pliée aux deux exigences américaines, poursuit-il, ce qui explique la levée de l’embargo américain la semaine dernière, suscitant la condamnation d'Ankara qui estime que la décision américaine "conduira à une course aux armements dans l'île, nuisant à la paix et à la stabilité en Méditerranée orientale".
Bozkurt considère qu'"en levant l'embargo sur les armes à destination de l’AGC, les Etats-Unis ont montré de quel côté ils se tiennent dans le conflit chypriote." La Turquie avait également exprimé ses préoccupations concernant l'armement américain de la Grèce, où Washington a récemment établi pas moins de neuf bases militaires. "L'armement de la Grèce et de l’AGC a créé une équation à de nombreuses inconnues", soutient Bozkurt.
Les récentes mesures prises par les Etats-Unis et l’AGC n’étaient pas non plus du goût de la Russie qui a alors pris des mesures susceptibles de “nuire” aux Chypriotes grecs, souligne le diplomate en faisant référence à l’intention du Kremlin de lancer des vols directs vers la RTCN.
Les Russes ont déjà relevé l’existence d’une tendance politique "hostile" de la part de l’AGC à l'égard de Moscou, selon Bozkurt. "En outre, voir des armes américaines atteindre le sud de Chypre est un développement qu'ils n'apprécient pas", fait-il remarquer.
En conséquence, une réaction russe aux récentes actions de l’AGC n’est pas à exclure. "Même s'ils ne reconnaissent pas officiellement la RTCN, ils peuvent agir de manière à laisser entendre qu'ils ont l’intention de le faire", ajoute-t-il.
Entre-temps, pour la première fois, la Russie a nommé un musulman, Murat Magometovich Zyazikov, originaire d'Ingouchie, comme ambassadeur à l’AGC, au grand dam des Chypriotes grecs. Les experts voient dans la nomination de Zyazikov un message direct de Moscou aux Chypriotes grecs, à savoir "une meilleure entente turco-russe sur les questions chypriotes", pour sanctionner leur virage pro-américain.