La demande pour l’or physique en Russie a bondi de 350 % au cours du premier semestre de cette année, affirment les experts du Conseil mondial de l’or. Quelque 12 tonnes de lingots d’or ont été achetés par les citoyens, incités par l’État à investir activement dans le précieux métal. Ce genre d’investissement peut, bien entendu, être lucratif et porter ses fruits sur le long terme, comme il peut engendrer des pertes. Il ne faut qu’un concours de circonstances pour que s’écroule ce mur en briques d’or massif.
Pourquoi la demande a grimpé si haut ?
L’analyste des marchés de matières premières à Otkritie Investments, Oxana Lukicheva, explique que la grande volatilité du rouble et les hauts risques d’ordre politique et économique sont à l’origine de la hausse enregistrée dans la demande pour l’or depuis février.
"Ces investissements (en or) peuvent être une bonne alternative à l’achat de devises. Le ministre des Finances Anton Siluanov a lui-même décrit l’or comme une alternative idéale" au dollar, avait expliqué le Premier ministre Mikhail Mishustin. Le dollar américain est instable, exposé aux risques et "ne peut être un concurrent de taille au précieux métal", a-t-il commenté.
La demande de lingots d’or en particulier a augmenté après l’avènement d’importants allègements fiscaux. Auparavant, le taux applicable aux opérations d’achat d’un lingot chez une banque était de 20 % de TVA, et n’offrait aucun remboursement de taxe en cas de vente. Ces coûts rendaient les transactions en or physique non profitables aux particuliers. En outre, le paiement des 13 % de taxe sur le revenu a été annulé sur les profits réalisés sur la vente de lingots d’or.
Explosion des volumes d’achat
En cinq mois, les clients de Sberbank ont acheté 10, 9 tonnes de barres d’or, indique "Kommersant". VTB a fait part de la vente de 2 tonnes d’or en lingots mi-avril dernier ; depuis, cette banque n’a pas révélé de données plus récentes. D’autres banques non moins influentes (RSHB, MKB, Sovcombank) ont aussi annoncé une "demande élevée pour l’or" dans les derniers mois sans fournir davantage de données en chiffres. PSB a vendu non moins qu’une tonne de barres d’or à ses clients dans le secteur public au cours des quatre derniers mois.
L'exposé des motifs de la loi de suppression de la TVA a souligné que la demande escomptée sur les métaux précieux en barres chez les citoyens peut atteindre 50 % de tonnes par an, soit 15 % du volume total de production. Toutefois, la directrice du Centre Sokolov d’analyses, Alina Kolpakova, estime à 10-11 tonnes l’éventuelle demande annuelle sur les petits lingots d’or de 20 gr de poids.
Types de lingots et catégories de demandeurs
Les experts s’accordent à conclure que la majorité des riches russes se sont mis à acheter massivement les métaux précieux à en juger par la quantité de barres d’or vendue ces derniers mois. Compte tenu des conditions présentes, une barre d’or de 13 kg est moins chère que plusieurs petits lingots en quantité équivalente. "Les clients riches préfèrent généralement garder jusqu’à 20 % de leur portefeuille sous forme d’or physique", a affirmé Evgeny Safonov, directeur du département capital privé de PSB.
Selon "Kommersant", VTB aurait vendu jusqu’à 100 kg en barres, alors que les clients de MKB ont manifesté un intérêt pour les barres standard de 11 à 13 kg. Les clients de Sovcombank, quant à eux, préfèrent le plus souvent l’achat de barres d’un kg aux habituelles barres de 12.5 kg. Chez Rosselkhozbank, les champions des ventes étaient les barres de 5 gr et de 10 gr.
Parallèlement, Sberbank soutient qu’actuellement, la "demande pour les grandes barres d’un kg et plus régresse graduellement, alors que la demande sur les lingots plus petits reste élevée. A noter, toutefois, que les experts mettent en garde que l’achat de lingots d’or est un investissement à long-terme, même en l’absence de restrictions fiscales".
Quels inconvénients ?
L’achat d’or massif est davantage une pratique d’épargne qu’une source de revenu, a expliqué à Izvestia l’analyste financier du Groupe CMS Vladimir Sagalaev. Il faut évaluer sur une période de plus de dix ans pour discerner l’existence d’un revenu notable dans ce genre d’investissements. En outre, l’achat de lingots d’or ne peut générer de revenu passif à l’instar des stocks, bondes et épargnes ; ce qui n’arrange pas les clients qui cherchent des sources de revenu à travers l’investissement.
A noter également que les banques ont tendance à racheter leurs lingots d’or dans un nombre limité de branches, à des prix 15 à 25 % moins chers que le prix de vente. Par conséquent, seule une dévaluation de la monnaie russe peut autoriser une augmentation des cours.
D’autre part, il est nécessaire de se prémunir de l’expertise nécessaire et d’offrir pour la vente des "briques précieuses" dans un état immaculé. "Un simple défaut dans un lingot, ne serait-ce qu’une égratignure, se traduit immédiatement par une perte considérable dans sa valeur", fait remarquer Evgeny Nadorshin, économiste en chef à PF Capital.
Il faut aussi garder à l’esprit, poursuit Sagalaev, les risques inhérents qu’encourt l’or massif, comme le vol, en raison de sa valeur même, d’où la nécessité de procédés de stockage sécurisé telles les chambres fortes, ce qui présente certains inconvénients. Les banques sont mieux équipées pour ce service, mais encore faut-il en payer les frais. A ce propos, Sagalaev fait remarquer que les alternatives telles que les comptes en or ou les comptes d’or négociés en bourse ne présentent pas de problèmes de stockage puisqu’il s’agit d’investissements sur papier.
Les causes de la chute des cours
Un autre problème que les autorités et les banques préfèrent garder sous silence est la dépréciation rapide de la valeur d’or massif acheté alors que le cours du métal était à son apogée à cause de l’état de panique due aux sanctions, comme il a été relevé par Moscow Times. Le prix comptable de l’or raffiné établi par la Banque centrale russe a, en effet, perdu 56 % sa valeur après une chute de 7,7 mille roubles par gramme le 11 mars à 3,4 mille roubles.
Comme résultat, la valeur estimée de la quantité d’or retenue entre les mains des particuliers est tombée de 33,7 milliards de roubles au premier trimestre, à 22,2 milliards de roubles au 5 août. Les pertes enregistrées pendant cette période étaient de 11,5 milliards de roubles, selon les calculs de la même publication, basés sur les estimations officielles de la Banque centrale.
Cependant, la ruée vers l’or est loin de montrer des signes de faiblesse. "Un appui supplémentaire aux opérations d’achat peut être fourni par l’intensification du processus de dévaluation, ce qui promet d’attirer vers le marché les fonds accumulés chez la population en réserves de devises étrangères (environ 85 milliards de dollars selon des estimations récentes de la Banque centrale)", relève l’analyste des marchés de matières premières, Lukicheva.
En venir à l’essentiel
Il y a toutefois un bon côté. Les cours d’or ne fluctuent pas de manière aussi fébrile que les autres actifs comme les actions, même en période de crise, nuance Sagalaev. L’or est également connu pour une augmentation soutenue en valeur, ce qui en fait "un bon actif de protection et moyen d’épargne", reconnaît l’analyste.
L’historique des données montre que l’or se porte plutôt bien en phases inflationnistes au cours des fluctuations rapides des cours, explique-t-il.
Sans oublier que l’or massif est pris comme caution dans les prêts garantis et représente le moyen le plus sûr d’obtenir un crédit puisqu’il s’agit d’actifs tangibles de grande valeur.
Enfin, le contribuable russe n’est pas sans savoir que les barres d’or sont assimilées à l’acquisition de propriété. Négocier l’or peut donc offrir l’avantage de déductions fiscales appropriées.