“L’année 2022 a été marquée par la campagne présidentielle la plus islamophobe de l’histoire de France”, s’inquiètent les auteurs du Rapport européen sur l’islamophobie, dans le passage concernant la France. En cause, l’arrivée du candidat d’extrême-droite Eric Zemmour “qui a livré un programme anti-musulman très inquiétant”. Mais selon ce rapport, il est loin d’être le seul à avoir tenu des propos islamophobes durant la campagne : “de nombreux autres candidats allant des partis d’extrême droite aux partis centristes ont également tenu des propos islamophobes pendant leurs propres campagnes et ont même promis la promulgation de nouvelles lois contre l’islam et les Musulmans qui iraient encore plus loin que la loi anti-séparatisme. Les Musulmans français se sont donc retrouvés durant le premier tiers de l’année 2022 face à une machine politique qui les a opprimés et intimidés quotidiennement”, précisent les auteurs du texte, parmi lesquels figurent Enes Bayrakli, enseignant à l'université turco-allemande et Farid Hafez, enseignant à l'université de Georgetown, ainsi que de nombreux chercheurs de différents instituts européens.
L’année dernière, ce même rapport avait choisi pour couverture le visage d’Emmanuel Macron, comme incarnation d’une des lois les plus islamophobes, la loi dite "contre les séparatismes". Cette année, le rapport insiste sur le rôle de cette loi : “la réélection du président Emmanuel Macron a permis la poursuite de sa politique contre ce qu’il appelle ‘l’islam politique’ et ‘l’islam radical’ qui, en fait, affecte directement les Musulmans ordinaires vivant en France. Son programme politique anti-musulman conduit de nombreux observateurs à le considérer comme le leader mondial de l’islamophobie car il porte une grande responsabilité non seulement dans le développement d’une telle politique raciste, mais aussi dans la montée de groupes politiques d’extrême droite (parfois très dangereux)”.
Les auteurs du rapport estiment que ces lois mises en place par le président français sont, d’une part, un virage de plus en plus autoritaire et répressif vis-à-vis de l’expression de la “musulmanité dans l’espace public”. Et d’autre part, de plus en plus tolérantes vis-à-vis des discours racistes qui prolifèrent dans les sphères politiques et médiatiques. “Désormais, la place secondaire qu’accorde l’État français à ses propres Musulmans est évidente. L’islamophobie à la française cherche clairement à éradiquer une ‘musulmanité’ de plus en plus visible et bien intégrée dans la société française.”
En France, la pression sur la population musulmane s'est accrue. 1727 institutions islamiques ont été mises sous contrôle, 118 institutions autres ont été fermées et 10 millions d'euros ont été saisis entre janvier et août 2022.
Le "plan de laïcisation" concerne la tenue vestimentaire des femmes et des jeunes filles musulmanes, obligeant les enseignants et les administrateurs à identifier, à signaler et à déposer des plaintes disciplinaires contre les jeunes filles portant des jupes trop longues.
Selon un rapport publié par le Collectif contre l'islamophobie en Europe, 501 plaintes ont été déposées en 2022, bien qu'aucune statistique n'ait été publiée par le ministère de de l’Intérieur. La majorité de ces plaintes avaient pour objet la discrimination et l'insulte. Des infractions ont également été commises dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme.
Belgique
En Belgique, le ministre de la justice, M. Vincent Van Quickenborne, a menacé l'un des imams de la Grande Mosquée de Bruxelles de supprimer le financement de l'État s'il ne démissionnait pas.
M. Vincent Van Quickenborne a également annulé la licence du Conseil exécutif des Musulmans de Belgique (EMB), en invoquant "l'ingérence de puissances étrangères”.
La demande de licence d'une école dont les lieux de culte sont fréquemment attaqués a été rejetée. Le ministre de l'Education de la région flamande, M. Ben Weyts, a annoncé que la demande n'avait pas été acceptée au motif que l'école "enseigne des idées contraires aux valeurs démocratiques de la Belgique”.
Sur les quelque 3000 plaintes déposées auprès du Centre fédéral pour l'égalité des droits (Unia), qui œuvre à la promotion des droits de l'homme, de l'égalité des chances et des droits ainsi qu'à la lutte contre la discrimination, 8,8 % ont été déposées par des personnes indiquant avoir été maltraitées en raison de leurs convictions. La moitié de ces plaintes concernaient des discriminations et un tiers des discours de haine.
Allemagne
Selon une enquête du Centre allemand de recherche sur l'intégration et les migrations, 33% de la population du pays pense que certaines races sont intrinsèquement plus travailleuses que d’autres.
Parmi les personnes interrogées, 61% pensent que le racisme et la discrimination existent, 22% déclarent avoir été victimes de racisme en Allemagne et 45% disent avoir été témoins de racisme.
Selon la déclaration de la police allemande, 58% des minorités ont indiqué avoir été exposées au racisme à un moment ou à un autre de leur vie. 364 crimes contre les musulmans ont été enregistrés en 2022, dont 26 attaques contre des mosquées.
Selon l'enquête 2022 de l'Autoritarismus-Studie de Leipzig, qui mène des études sur la xénophobie, la démocratie et l'autoritarisme, 70,2% des participants préconisent une interdiction des immigrants musulmans, tandis que 79,3% d'entre eux se sentent étrangers en Allemagne.
Dans les résultats de la même enquête en 2020, seuls 24,7% étaient en faveur d'une interdiction des immigrants musulmans.
Pays-Bas
Selon les statistiques publiées par la police, 67% des attaques contre la religion ont été commises contre des musulmans. Les lieux de culte musulmans ont été fréquemment attaqués et des groupes anti-islamiques ont organisé des barbecues autour des lieux de culte pendant le Ramadan.
Trente-neuf des 63 personnes, ayant déclaré avoir été victimes de discrimination au travail étaient musulmanes, et 26 des 30 personnes, ayant déclaré avoir été victimes de discrimination à l'école étaient également musulmanes.
Les musulmans ont déposé 11 des 26 plaintes pour discrimination dans le secteur public et 10 des 15 plaintes pour discrimination dans les médias. 79% des 390 demandes adressées aux institutions de lutte contre la discrimination en 2022 ont été déposées par des musulmans, selon le rapport de Movisie, qui mène des recherches sur la discrimination.
Royaume-Uni
Selon la déclaration du gouvernement britannique, entre mars 2021 et mars 2022, le nombre de crimes commis contre des musulmans en Angleterre et au Pays de Galles a augmenté de 26% par rapport à l'année précédente.
La même déclaration indique que 3459 des 8730 crimes contre la religion sont des crimes contre des musulmans et qu'au moins 35% des plus de 1 800 mosquées du pays sont attaquées au moins une fois par an.
Environ la moitié des attaques contre les musulmans étaient des attaques contre des bâtiments et des vols, tandis que 17% visaient des personnes présentes dans des bâtiments.
Russie et Ukraine
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine n’a pas été sans conséquences vis-à-vis des populations musulmanes de la région. Selon ce rapport, “il est devenu évident que les musulmans vivant en Fédération de Russie ont été mobilisés de manière disproportionnée et utilisés comme chair à canon bon marché, donnant à l'économie politique de la guerre une marque raciale claire. Au niveau national, cela a rendu la vie encore plus difficile pour les musulmans en Russie”, explique le rapport.
“En 2022, la persécution des adeptes de divers mouvements musulmans en Russie s'est poursuivie et plusieurs militants musulmans ont été persécutés. Quarante-quatre partisans du groupe politique mais pacifique Hizb al-Tahrir ont été condamnés, et six condamnations de membres du Tablighi Jamaat (apolitique) et sept poursuites pénales contre des membres du mouvement mystique Nurcular ont été engagées.
Un livre fondamental de la théologie musulmane, l'un des principaux recueils des récits du prophète Mohammed compilés dans le Sahih al-Bukhari, a été inclus dans la liste des documents "extrémistes" dans une décision du tribunal Laishevsky du Tatarstan le 29 août 2022. Dans le même temps, une édition séparée du livre, un résumé de l'original, a été interdite.”
Par ailleurs, le rapport rappelle que l’accueil des réfugiés Ukrainiens s’est accompagné de nombreux commentaires racistes et islamophobes. Dans un éditorial, un célèbre auteur grec anti-musulman décrivait les Ukrainiens et les musulmans comme suit : “de vrais réfugiés – vieillards, femmes, enfants – fuyant une vraie guerre. Les plus jeunes restent derrière pour se battre pour leur patrie. Les musulmans sont avant tout des jeunes, des fanatiques d'Allah, à la recherche de meilleures conditions de vie et, selon le Coran, de colonisation des sociétés chrétiennes. Et ils sont porteurs de croyances, d'habitudes et de valeurs de vie différentes." Dès le lancement de la guerre, différents commentaires racistes et islamophobes avaient été prononcés dans différents médias européens, y compris en France.