"Je me suis enfermé là-dedans: je suis parti en endettement, j'ai fumé tout ce que j'avais", témoigne Paul-Olivier, un ancien parieur de 29 ans.
Le jeune homme, qui ne souhaite pas rendre public son nom de famille, a connu une "descente aux enfers" qui l'a vu parier jusqu'à 10.000 euros sur des matchs de football.
"Mon cerveau pensait toujours au fait que je pouvais gagner, pas que je pouvais perdre", raconte-t-il. "Je me réveillais, je pensais à ça, je me couchais, je pensais à ça, je me renfermais sur moi et je ne voyais plus mes amis."
L'ancien parieur, qui est désormais sevré mais ressent toujours une "épée de Damoclès", a connu deux éléments classiques de l'addiction.
Il devait sans cesse augmenter la dose, allant jusqu'à parier sur des championnats lointains comme au Kazakhstan. Et il a longtemps caché sa situation à ses proches, malgré une situation financière intenable à force d'ouvrir des crédits bancaires.
Son histoire n'est pas un cas isolé. L'addiction aux paris sportifs est un phénomène désormais assez répandu pour que les autorités sanitaires s'en saisissent.
Combien d'accros ?
L'agence Santé publique France vient de lancer une campagne destinée au grand public. "Particulièrement addictifs, ces paris peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé et la situation sociale des joueurs qui les pratiquent et de leur entourage", prévenait cette semaine l'agence dans un communiqué.
La campagne précède de peu la Coupe du monde de football, occasion attendue de longue date par les géants des paris en ligne, parmi lesquels la Française des jeux, Winamax ou Betclic.
Mais l'opération s'inscrit dans un contexte plus large. Depuis quelques années, le marché des paris en ligne s'envole. L'an dernier, en France, son chiffre d'affaires a quasiment bondi de moitié et quelque 4,5 millions de comptes ont été recensés.
Même si un seul joueur peut détenir plusieurs comptes, ce chiffre, qui ne cesse d'augmenter d'une année à l'autre, montre combien les paris en ligne touchent une part importante des Français, le plus souvent jeunes.
Combien d'accros parmi eux ? A l'heure actuelle, les autorités sanitaires ne sont pas en mesure de faire un décompte précis. Mais on peut en avoir un ordre de grandeur.
"Sur 100 parieurs sportifs, une quinzaine risque de basculer dans une pratique problématique", estime l'agence, à partir d'une enquête réalisée en 2019 sur de multiples thématiques de santé auprès d'un panel d'environ 10.000 français.
Publicités peu régulées
Sur le terrain, les soignants constatent, sans conteste, un bond des consultations pour ce type d'addiction.
"Ca ne fait que progresser depuis 2017, avec une augmentation depuis le confinement" en 2020, rapporte à l'AFP le psychologue Thomas Gaon.
M. Gaon exerce à l'hôpital parisien Marmottan, où il reçoit plus largement des patients atteints d'une dépendance aux jeux d'argent: casino, PMU, tickets à gratter...
"Ce sont les mêmes ressorts: l'envahissement, l'escalade, les problématiques de dettes et de mensonge", souligne le psychologue.
Mais dans les paris en ligne, "le support change la donne en démultipliant l'accessibilité", explique-t-il, soulignant aussi la "banalisation" de ces paris à grand renfort, notamment, de publicités peu régulées par rapport au tabac ou l'alcool.
"Il y a de plus en plus de joueurs, donc de plus en plus de joueurs qui tombent malades", résume-t-il. "S'il y a cent personnes qui jouent, une sur cent, c'est négligeable. Si vous avez 10 millions de joueurs, un sur cent, ça fait 100.000 personnes."
Et, prévient le psychologue, il est difficile de prévoir qui sera frappé: "On ne peut pas pas savoir qui est vulnérable et qui ne l'est pas. Ca peut toucher tout le monde".