Ukraine : Les relations franco-russes dans le brouillard
Le dialogue voulu par le Président français, Emmanuel Macron, avec son homologue russe Vladimir Poutine, dans le contexte de l’offensive russe en Ukraine, soulève plus que jamais la question de la nature des relations entre Paris et Moscou.
Les relations franco-russes dans le brouillard (AP)

Le 7 février, Emmanuel Macron, assumant la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne (UE) depuis le début de l'année, était allé rendre visite au maître du Kremlin afin de tenter de le dissuader de l'option militaire, alors que les troupes et blindés russes continuaient de s'amasser à la frontière ukrainienne.

Le chef d'État français n'a, depuis, eu de cesse de répéter qu'il tenait à « rester en contact » autant que possible avec Poutine afin de « le convaincre de renoncer aux armes », tout en soulignant que la France n’était « pas en guerre contre la Russie ».

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, le 24 février dernier, le président français s'efforce d'entretenir un dialogue régulier avec son homologue russe, Vladimir Poutine.

Ce faisant, Emmanuel Macron cherche à trouver une résolution au conflit en Ukraine, coûteux en termes de nombre de victimes, civiles et militaires, mais aussi en termes économiques et stratégiques pour l'Ukraine et pour l'UE.

Le président français veut aussi s'assurer que la guerre aux frontières de l'Europe, ne s'étende pas à d'autres pays, notamment aux membres de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), ce qui placerait les membres de l'alliance atlantique, dont fait partie la France, dans le feu direct de la guerre.

Bien que le risque d'une extension géographique de la guerre semble s'être dissipé, le prolongement du conflit en Ukraine est néanmoins loin d'être acquis, alors que ni les attentes de Moscou, ni celles de Kiev, ne sont satisfaites.

Quel pourrait être alors le rôle joué par Paris dans la résolution du conflit russo-ukrainien ? Décryptage de la nature des relations franco-russes.

La nature des relations économiques de la France avec la Russie

Les relations économiques France-Russie sont moins importantes, par exemple, que celles entretenues par d'autres pays européens, notamment l'Allemagne, premier partenaire économique de la Russie, l’essentiel des échanges étant constitué par les hydrocarbures exportés depuis la Russie.

La France n'importe pas autant de gaz naturel et de pétrole de Russie que son partenaire d'outre-Rhin de part ses capacités de production en énergie nucléaire, ce qui réduit les besoins français en hydrocarbures, mais aussi de part ses échanges entretenus avec d'autres fournisseurs tels que l'Algérie, ce qui diversifie les sources d'approvisionnement et donc réduit la dépendance énergétique française envers Moscou.

La balance commerciale est déficitaire pour la France, à cause, notamment, de ses importations en hydrocarbures.

Plus de 500 entreprises françaises (et leurs filiales) sont actives en Russie, selon la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe, ce qui fait de l'entrepreneuriat français le premier employeur étranger (avec 160.000 salariés) dans le pays de la Volga.

Aurélien Denizeau, chercheur en relations internationales, note cependant que « la présence française en Russie n'est pas assez organisée ou encadrée par l'État, comme cela peut être le cas pour la présence française dans d'autres pays. Ce n'est pas forcément une présence parrainée par l'État français, ce qui réduit la marge de manœuvre de Paris et explique les décisions individuelles des entreprises françaises de poursuivre ou de suspendre leurs opérations dans ce pays », indique-t-il.

Il s'agit davantage d'investissements autonomes des entreprises françaises, avec par exemple des expatriés (au nombre total estimé de 4.000 à 5.000 avant le début de la guerre en Ukraine) qui ouvrent des commerces, mais aussi de grandes entreprises qui sont implantées en Russie, dont 35 entreprises du CAC 40.

Depuis 2014, les sanctions françaises, en réaction à l'annexion de la Crimée, ont impacté les relations économiques, notamment les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux, ce qui a davantage réduit le poids économique de la France pour la Russie.

Selon les chiffres de 2020, la France est le 6ème fournisseur étranger de la Russie (avec 3,5 % de part de marché contre 4,7 % en 2009) alors que la Russie constitue le 15ème marché pour l'Hexagone.

Le pays de la Volga est le 17ème fournisseur de la France et la France est le 18ème client de la Russie, absorbant 1,5% de ses exportations, selon le Ministère français de l'Économie, des Finances et de la Relance.

La France, qui était le premier pourvoyeur d'investissements directs étrangers (IDE) en Russie avant les sanctions imposées par Paris à la suite de l'annexion de la Crimée a, depuis, reculé en 2ème position, derrière le Royaume-Uni.

Un nouvel élan voulu par Macron dès 2017

Aurélien Denizeau rappelle qu'en 2017, Emmanuel Macron était « conseillé par des personnes telles que Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine, qui prônent une politique gaullo-mitterrandienne », c'est-à-dire le refus d'un alignement géopolitique total aux États-Unis (refus d'un atlantisme total) et l'instauration d'une forme d'équilibre des relations du Quai d'Orsay entre Washington et Moscou, selon les intérêts propres de la France.

Le 29 mai 2017, Emmanuel Macron nouvellement élu à la tête de l'État français, accueillait son homologue russe, Vladimir Poutine au château de Versailles et tentait ainsi d'engager un nouvel élan dans les relations franco-russes après la dégradation de celles-ci sous la mandature de son prédécesseur, François Hollande, dans le contexte de la guerre en Syrie et de l'invasion russe de la Crimée.

Bien que ce nouvel élan ait pu provisoirement inverser la courbe négative des échanges commerciaux entre les deux pays, du point de vue politique et diplomatique, le résultat escompté n'était pas au rendez-vous.

Interrogés par TRT, des chercheurs ont fait état de deux facteurs ayant bloqué ces avancées désirées par l'exécutif français : d'un côté, l'influence de personnes réfractaires, au sein du corps diplomatique français, à un réchauffement des relations avec Moscou, c'est-à dire l'aile dite « atlantiste » du Quai d'Orsay, et de l'autre côté, l'absence ou le manque de volonté d'un tel rapprochement bilatéral, démontrée de la part du maître du Kremlin.

« Vladimir Poutine pense que la principale puissance qui compte en Occident, ce sont les États-Unis. Il ne ressent donc pas grand besoin de négocier avec la France », indique Aurélien Denizeau.

Ainsi, le fait que la France ait adopté une politique de plus en plus atlantiste, donc moins indépendante des États-Unis, peut avoir motivé le chef d'État russe à adopter une telle attitude. L'élan voulu par Emmanuel Macron n'a pas abouti et la guerre en Ukraine en a davantage affaibli les chances de réussir.

Denizeau estime que « le fait que Macron ait tenté une médiation juste avant cette guerre et que les Russes n'aient même pas pris en compte sa tentative » démontre cet affaiblissement.

Cependant, indique le chercheur, « même si la France est dans le camp occidental sur le soutien à l'Ukraine, elle est probablement le pays occidental qui garde les moins mauvaises relations avec la Russie ».

« La France fait partie des pays occidentaux plutôt modérés envers la Russie, ce qui s'illustre par exemple par la volonté de Macron de maintenir le dialogue avec Poutine », ajoute-t-il.

Denizeau explique cela par « la vieille tradition française qui veut que même dans les situations de crise, il faut continuer de parler avec les Russes, et c'est la ligne adoptée par Emmanuel Macron, comme plusieurs de ses prédécesseurs tels que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Mitterrand ».

« La France est sur une ligne perçue comme plus modérée que celles des États-Unis et du Royaume-Uni, fait-il remarquer, ajoutant que parmi les pays de l'UE, « les principales différences d'attitude viennent des intérêts économiques de chacun de ces pays. Ainsi, l'Allemagne sera plus réticente à sanctionner le secteur des hydrocarbures que d'autres pays européens moins dépendants de ceux-là », fait remarquer le chercheur français.

Interrogé sur l'avenir des relations franco-russes, Denizeau indique que « cela dépendra beaucoup de la résolution du conflit. Des tensions vont encore persister pendant un certain temps. Plus le conflit sera résolu de façon raisonnable et avec l'intégration de la France dans ce processus, plus les relations entre la France et la Russie auront des chances de se rétablir, et peut-être même prendre un nouvel élan », indique Aurélien Denizeau.

TRT Francais