Beyrouth-sur-Seine, où est-ce que c’est ?
Une journaliste du Monde a écrit que j’ai construit à mes parents une sorte d’abri, une maison de papier intitulée Beyrouth-sur-Seine et j’aime beaucoup ce commentaire. Beyrouth-sur-Seine c’est donc ce livre, ce territoire que j’ai créé pour que mes parents se sentent enfin un peu chez eux.
Est-ce que vous faites partie de ces artistes qui racontent l’histoire du Liban ?
Je ne sais pas si je raconte l’histoire du Liban, mais je raconte une histoire inspirée de celle de mes parents, de ma famille, de ma propre histoire aussi et toutes ces histoires-là sont très liées à celle du Liban.
Est-ce que vous arrivez mieux à poser des questions à vos parents ?
Tout dépend de la situation mais les deux prennent plaisir maintenant à poursuivre le livre sans que je leur demande, à me raconter d’autres histoires, d’autres anecdotes qui ne sont pas écrites dans le roman.
Pourquoi est-ce aussi important de ne pas tout dire ?
C’était ma démarche. Je ne voulais pas leur faire du mal. Percer des silences qu’ils ne voulaient pas percer. Justement, je voulais faire entendre les silences. Cela fait partie de l’histoire de ma génération de Libanais, de parents, d’oncles, de cousins qui ne veulent pas raconter la guerre.
Qu’est-ce que cela fait d’être un Libanais qui fait les allers-retours ?
Je ne me décris pas ainsi. Je ne saurais pas décrire quel type de Libanais je suis. Nous avons tous un lien avec notre pays d’origine. Moi je suis rattrapé par lui tout le temps, mon cœur est resté là-bas.
Comment est votre "WhatsApp Liban", même s’il est en silencieux ?
Oui, je le mets en silencieux. Rire. Notre WhatsApp est composé de photos de fleurs, du ciel, de la mer. Nous retrouvons aussi beaucoup de photos d’avant, tant des articles de journaux que des anniversaires. C’est le moyen de ma mère pour regrouper sa famille, à défaut de pouvoir les réunir physiquement. Quand je parle de l’anecdote où ma mère trouve une technique chez Telecom pour ne pas payer, je veux aussi rappeler qu’avant, les appels étaient très chers. Aujourd’hui, WhatsApp est gratuit. Tu peux parler tout le temps avec ta famille. Cela a changé sa vie.
Quelle place avez-vous voulu donner à la photo dans votre livre ?
Ce livre est né des photos. Il y a six ans, je travaillais au village de ma mère au Liban. Et c’est à ce moment là que j’ai découvert les photos de mes parents dans les années 80 à Paris mais aussi celles de la guerre. Je voulais d’abord en faire une expo photo. Les photos sont celles que mes parents et leurs proches ont prises. Dans le livre, par exemple, on trouve une photo de mon père qui lit la presse arabe à la cité universitaire, une photo de ma mère dans les ruines de Beyrouth en 1982. Je ne pouvais pas faire sans. C’était ma façon d’intégrer leur regard.
Le Liban est un pays "voué à l’assassinat" selon un politicien que vous citez. Comment ça ?
C’est un cri de colère et d’ironie en même temps. Si le pays va mal c’est que nous nous y sommes tous mal pris et que nous nous y prenons tous mal.
"Alone together" ; vous utilisez cette expression à plusieurs reprises.
Trois chapitres se succèdent ainsi. Mon oncle qui joue cette chanson de Chet Baker sur la ligne de démarcation de Beyrouth. Puis, quand j’écrivais ce livre : j’étais entouré par ma famille, par leurs témoignages et les photos mais j’étais seul. Et enfin, énormément de Libanais ont quitté le pays. Nous sommes éparpillés dans les quatre coins du monde avec cette même blessure en chacun de nous, blessure que nous partageons sans nous le dire. Nous sommes alone together, seuls ensemble.
Nous passons de 1975, à 2014, à 1982 etc. Comment trouvez-vous l’équilibre en sautant de l’avant à l’après ?
La guerre de 1975 à 1991 n’a pas été jugée. Les problèmes n’ont pas encore été résolus. Il y a des liens entre les événements actuels et les années de cette guerre. Dans la presse libanaise, énormément d’articles reviennent sur des éléments de la guerre pour mieux comprendre les crises d’aujourd’hui. C’est notre quotidien de faire des allers-retours en permanence entre les époques et les pays, ma narration peut être parfois déroutante mais elle ressemble tout simplement à ma vie, à nos vies.