Vu depuis l’Europe, l’élection américaine à venir dope les audiences des chaînes d’information en continu. Souvent anti-américains, les Européens cherchant à se démarquer du giron des Etats-Unis, restent néanmoins fascinés par leurs scrutins. Mais l’inverse est moins vrai. On sait que les Américains s’intéressent peu au monde, mais encore moins au vieux continent. Le duel Kamala Harris vs. Donald Trump est scruté de près par le vieux continent avec une interrogation majeure : lequel des deux serait le plus bénéfique pour l’Europe ? Tout dépend si on souhaite continuer à être dépendant de Washington sur tous les plans ou si l’on assume enfin de se jeter dans le grand bain pour construire une pleine autonomie stratégique.
Un désintérêt américain croissant face à l’Europe
Par exemple, peut-on imaginer que les élections européennes aient suscité le même enthousiasme médiatique outre-atlantique que ce qui se passe en ce moment sur les chaînes françaises, par exemple, qui ne parlent que de l’élection de mardi ? Bien sûr que non. Et les représentants politiques américains ne sont pas là pour changer la donne : il suffit d’éplucher une bonne partie des discours des deux candidats américains à l’élection présidentielle, pour faire un constat amer : l’Europe n’intéresse pas l’Amérique. Alors qu’un Donald Trump n’en parle globalement qu’en négatif en coûts financiers pour Washington, Kamala Harris n’a jamais prononcé lors de l’une de ses allocutions de meetings, une seule fois le mot Europe.
Des relations historiquement en « montagnes russes »
Les relations ont toujours été compliquées entre les deux mondes, mais le fossé risque de se creuser un peu plus encore avec l’arrivée du prochain locataire de la Maison Blanche. Notamment d’un point de vue économique car ce que les Européens redoutent le plus, et en particulier avec le retour de Donald Trump, c’est la guerre commerciale que le milliardaire accélérerait, sous l’influence de son puissant conseiller Robert Lightizer.
Mais pas seulement. La sécurité européenne pourrait aussi être en jeu : si Kamala Harris continuait à soutenir massivement l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, Donald Trump arrêterait les vannes en faveur de Kiev et de Zelensky, donnant un signal encourageant à Poutine, mais négocierait dans le même temps un accord de « paix » aux conditions non pas des deux belligérants mais plutôt du Président russe, pour repartir sur de nouvelles bases. Les Européens pensent que le président russe n’en aura jamais fini et qu’il continuera à poursuivre son doux rêve de conquête de l’Est de l’Europe. Trump assurera du contraire car lui seul sait parler au chef du Kremlin.
Dans le même temps, autre signe d’inquiétude pour Bruxelles : l’ancien président Trump avait déjà menacé les Européens de quitter l’OTAN pour rappeler chacun des membres à ses obligations financières. Ce qui pousserait peut-être, enfin, l’Europe à accélérer sa politique de défense commune et s’émancipant définitivement des Etats-Unis. Les deux éléments cités pourraient être une chance unique pour l’UE : se réindustrialiser à vitesse grand V, chercher de nouveaux marchés et assumer sa propre sécurité. Mais en serait-elle capable et en aurait-elle les moyens ? Rien n’est moins sûr. De toute évidence, ce sera une période de grande incertitude géopolitique au moment où Washington se replierait sur elle politiquement, géopolitiquement et économiquement, donc. Et les gouvernements européens se sont réveillés il n’y a pas si longtemps pour mettre en place au plus vite des « task forces » afin d’évaluer les risques pour leur pays d’un retour du milliardaire à la Maison Blanche. Petite musique qui monte un peu plus encore depuis plusieurs jours en faveur de Donald Trump qui a mené, comme il sait le faire, une campagne au bulldozer, face à une Kamala harris, plus sclérosée, héritière des bévues de Joe Biden et d’une très grande diversité de tendances au parti démocrate la poussant à la plus grande des prudences à chacune de ses déclarations.
Kamala Harris et l’Europe
Longtemps considérée comme invisible, l’actuelle vice-présidente a peiné à se faire connaître et à séduire l’Europe. Si elle s’est rendue quelques fois en Europe notamment à la Conférence de Munich sur la sécurité au début de 2024, elle a peu convaincu, flottant beaucoup entre ses notes et montrant une méconnaissance assez forte des grands enjeux géopolitiques actuels. On ne peut pas dire qu’elle ait vraiment comblé le fossé depuis.
Cela n’est pas pour déconcerter outre-mesure les Européens qui pensent globalement que Kamala Harris assurerait le service après-vente de la politique étrangère de Joe Biden sur le soutien à l’Ukraine notamment et à l’OTAN. Ce fut même un soulagement d’apprendre le retrait de Joe Biden, qui avait relégué la politique étrangère au second plan, alors que pour Bruxelles, c’est une priorité absolue face aux menaces venant notamment de l’est. Beaucoup en Europe continuent à croire et espérer en la relation transatlantique.
Donald Trump et l’Europe
Alors que Trump n’avait aucun ami lors de son élection en 2016, il en va différemment avec ce scrutin. L’enracinement des droites extrêmes en Europe et la multiplication comme des petits pains des gouvernements à droite toute dans un certain nombre d’Etats-membres, sont source de soutien clair et direct pour Trump. Au-delà de son ancien conseiller Steve Bannon qui avait un temps œuvré depuis la Hongrie de son ami Viktor Orban, pour essaimer la bonne parole trumpiste partout sur le vieux continent, Trump peut compter sur nombre de partenaires à commencer bien sûr par l’inoxydable premier ministre hongrois, tête de pont de l’extrême droite dans l’Union. L’Italie de Georgia Meloni comme les Pays-Bas de Geert Wilders sont pro-Trump, comme le gouvernement actuel de Robert Fico en Slovaquie, ou la Serbie qui a toujours été pro-russe. Grâce à ses relais, pour une partie plutôt eurosceptiques voire plus, Trump compte bien mener la vie dure à l’UE en imposant notamment des droits de douane sur tous les produits importés. Trump, qui a accusé Bruxelles d’ « entuber » les Etats-Unis, effectuera s’il est élu un nouveau virage protectionniste, voire isolationniste, pour protéger le marché américain. L’Europe n’est pas seule dans cette galère : cela concernerait aussi la Chine et le Mexique entre autres. L’objectif est de doper la croissance américaine et rééquilibrer la balance commerciale. Cela n’aidera pas l’Europe déjà vieillissante, en stagnation économique et qui aura bien du mal à écouler ses produits outre-atlantique.
Mais le nationalisme de Trump aurait un avantage majeur : la possibilité pour l’Europe de se saisir d’une double injonction : celle de l’autonomie stratégique économique et énergétique, entamée depuis la guerre en Ukraine, et la sécurité commune. L’Europe a prouvé qu’elle pouvait être solidaire et venir en aide à l’Ukraine, même si les objectifs finaux semblent bien loin chaque jour d’être atteints et ce, par manque de vision à long terme et sous-estimation de la capacité de résistance de Poutine. En fait, l’Europe devrait faire comme la Russie après le 22 février 2022 : redéployer son influence, redessiner des alliances et chercher de nouveaux partenaires économiques et énergétiques. Le retour de l’Europe sur la scène internationale ne passera que par-là, et ce n’est pas si Kamala Harris est élue, la béquille financière, militaire et commerciale qui l’aidera à se réinventer.