Son nom de famille n’est pas inconnu, et pour cause, Emmanuel Tjibaou est le fils de Jean-Marie Tjibaou, l’un des fondateurs du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) et l’un des signataires des accords de Matignon qui devaient amener l’île dans un processus d’indépendance. Son père fut assassiné en 1989 et le futur député avait juré ne jamais se mêler de politique. Il était directeur du centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, une instance culturelle et non politique.
Les émeutes qui ont ensanglanté l’île depuis mai 2024 l’ont fait changer d’avis. 10 personnes sont mortes dont des forces de l’ordre et de jeunes émeutiers. 370 personnes ont été blessées et le coût des dégâts se compte en milliards. La révision du corps électoral décidée par la France a été considérée comme une stratégie pour diminuer le poids des Kanaks dans la politique de l’île. Le projet a été retiré par Emmanuel Macron le 12 juin dernier alors que la France entrait elle-même dans une période d’incertitude politique avec la dissolution de l’Assemblée.
La réconciliation comme moteur
Lors de son élection, il a déclaré regretter la situation dans laquelle se trouvait l’île et appelé à la restauration d’un dialogue. C’est le moteur de ce novice en politique. A 47 ans, il se rappelle des émeutes des années 80 au cours desquelles il a perdu des oncles et son père. Il a l’histoire du mouvement Kanak inscrit dans son ADN, mais il connaît également le prix de la division. Lors de sa campagne, il a réussi à rassembler derrière lui les différents groupes indépendantistes qui s’étaient divisés durant les émeutes sur la méthode à suivre. Le résultat est sans appel, Emmanuel Tjibaou l'a largement remporté dans la seconde circonscription du "Caillou", avec 57,44% des voix, à l'issue d'une élection marquée par un taux de participation record.
Un député et un sénateur indépendantistes à Paris
Le candidat avait le profil du candidat rassembleur, un nom connu qui est synonyme de lutte du peuple kanak. Il n’était pas un politique engagé dans les institutions de l’île. C’est ainsi que sa victoire a même mobilisé les jeunes de l’île, pourtant souvent désabusés vis-à-vis de la politique calédonienne.
Sa victoire électorale est symbolique. C’est le premier indépendantiste à être élu député depuis 1986. Rock Pidjot, une figure du mouvement indépendantiste, a siégé à l’Assemblée de 1978 à 1986.
Cette victoire change surtout le lobbying calédonien à Paris. Jusqu’ici c’étaient des “loyalistes”, des anti-indépendance qui représentaient l’archipel du Pacifique dans la capitale française, le découpage électoral avait été fait dans ce sens. D’ailleurs, le second député élu le 7 juillet, Nicolas Metzdorf est un élu du camp présidentiel et est un fervent défenseur de la réforme du corps électoral, il considère que le processus de décolonisation est clos.
Au soir de l’élection législative, Philippe Gomès, l’un des chefs de fil des loyalistes et un des leaders du parti non-indépendantiste modéré Calédonie ensemble, a publié sur Facebook le message suivant : "le dernier clou du cercueil de la Calédonie française vient d'être planté". En filigrane, il accuse les chefs de file loyalistes, Nicolas Metzdorf et Sonia Backès, d'avoir fait fuir les électeurs avec des positions trop radicales.
Emmanuel Tjibaou va rejoindre à Paris son collègue sénateur élu en septembre 2023, Robert Xowie. Ils travaillent déjà ensemble. Ils sont allés ce mercredi rendre visite en prison à Christian Tein, l’un des indépendantistes arrêtés en Nouvelle-Calédonie et incarcéré en métropole fin juin. C’est l’un des dossiers qui attendent les deux hommes. Les sept hommes et deux femmes incarcérés sont à 20 000 km de leur pays et ont des difficultés à communiquer avec leurs avocats et leurs familles. Les deux femmes ne sont plus incarcérées mais elles sont en résidence surveillée en métropole.