Tunisie: pourquoi une nouvelle arrestation parmi les ONG d’aide aux migrants ?
Plusieurs membres d’une ONG d’aide aux migrants ont été arrêtés en Tunisie, le dernier en date est le fondateur des Enfants de la Lune. Quel lien avec l'accord migratoire signé avec l’Union européenne ?
Des migrants recueillis après un naufrage à Zarzis en Tunisie / Photo: AP (AP)

Le fondateur de l’association des Enfants de la Lune de Médénine, une organisation qui apporte son aide aux migrants dans le sud de la Tunisie, Abdallah el Saïd, ainsi que la secrétaire générale et la trésorière de l’ONG, ont été arrêtés le 17 novembre, venant allonger la liste des membres de la société civile mis sous les verrous en Tunisie.

Les arrestations se succèdent en Tunisie. Des journalistes, des avocats, des hommes politiques, des syndicalistes ont été arrêtés. Récemment, cinq influenceurs se sont retrouvés en prison pour “atteinte à la pudeur et harcèlement d’autrui via les réseaux sociaux”.

Les associations de défense des droits de l’homme y voient une nouvelle restriction des libertés. Selon l’organisation Human Rights Watch, 170 militants sont actuellement incarcérés. Les responsables d’ONG sont poursuivis sous divers chefs d’accusation: association de malfaiteurs, blanchiment d’argent, et terrorisme.

Pour Raed Jarrar, de l’ONG Dawn, ces arrestations ne sont plus une surprise. “Ce qui est surprenant, c’est que l’Union européenne (UE) et les États-Unis continuent à soutenir le gouvernement Saïed, alors qu’il ne respecte aucune loi tunisienne ou internationale. C’est pourtant un président qui amène la Tunisie vers une dictature”.

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C ‘est dans ce contexte que l’ambassadeur européen auprès de la Tunisie salue la coopération entre l’UE et la Tunisie dans le dossier migratoire. Giuseppe Perrone s’est exprimé sur Radio Mosaïque le 20 novembre dernier, se félicitant des résultats obtenus: “La Tunisie et l’Union européenne ont jusqu’à présent réussi à combattre la migration irrégulière et la traite des êtres humains. Notre approche repose sur (...) la lutte contre la migration irrégulière, la politique d’asile, le retour volontaire et l’ouverture de voies pour une migration légale ou régulière, afin de garantir le succès de cette vision commune“.

Un accord migratoire avec l’UE source de violence

La Tunisie et l’Union européenne ont signé un accord pour lutter contre la migration irrégulière en 2023. Il prévoit que la Tunisie prenne en charge au moins en partie la gestion de l'immigration illégale à destination de l'UE via la Méditerranée, en échange de financements.

En février 2023, le ton a été donné dans un discours du président Kaïs Saïed, qui a accusé les “hordes de migrants clandestins” d'être complices d’un complot visant à modifier l’identité arabo-islamique du pays. La gestion migratoire prend depuis près de deux ans un tournant policier et répressif.

Pour Raed Jarrar, les mesures policières, les arrestations de militants qui aident les migrants, les arrestations des voix qui critiquent cet accord, toutes ces restrictions des libertés découlent bien entendu de l’accord avec l’UE.

“C’est indubitablement lié. Cinq personnes qui géraient ou travaillaient pour des associations de défense des migrants ont été arrêtées ces derniers mois. La Tunisie est un nouvel exemple de la façon dont l’Europe et les États-Unis soutiennent des États policiers, des “hommes forts” quand il s‘agit de servir leurs agendas sécuritaires. Les États-Unis soutiennent par exemple l’Égypte, l’Union européenne soutient les régimes nord-africains quand il s’agit de lutter contre les migrants, peu importe qu’ils utilisent une violence excessive, le racisme et des moyens illégaux.”

Giorgia Meloni, soutien indéfectible de Saied

Walid Bourouis, journaliste tunisien exilé en France parle de “carte migratoire” quand il évoque le président tunisien. “Il ne va pas s’arrêter car l’Union européenne et Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, le soutiennent. Il fait le sale boulot. Tant qu’il fait le sale boulot dans le désert, il pourra bien arrêter tout le monde”, dit-il.

Le journaliste tient tout de même à rappeler que le président a modifié la Constitution en 2022. “Il s’est attaqué en priorité aux magistrats, aux avocats, aux journalistes. Il a un projet dictatorial, son projet, c’est d’être Kadhafi, il y a un climat de peur qui règne en Tunisie actuellement, même de simples citoyens sont arrêtés, mais Kaïs Saïed joue la carte migratoire et il l’utilise très bien. Cela lui permet même de masquer les problèmes économiques, l’inflation”, dénonce Bourouis.

Selon les autorités tunisiennes, entre le 1er janvier et le 15 avril 2024, 21 270 migrants ont ainsi été interceptés en mer par la Garde nationale, contre 13 903 sur la même période en 2023, selon les chiffres communiqués.

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